Points culminants

Johny be good © SDP

Oubliez les fleurettes et les abécédaires au point de croix : broder, c’est branché. Une seconde vie que l’on doit à l’art contemporain.

L’air du temps se repère parfois à de petits riens. Mais depuis que Lou Doillon et la créatrice Olympia Le-Tan (lire par ailleurs) (olympialetan.com) se font des clins d’oeil sur la broderie via Instagram, on peut bien dire que le signal est grand. Alors, d’accord, la seconde est reine de la discipline. Rien de moins. Depuis 2009, la créatrice française imagine en effet des sacs sur lesquels elle déploie points de chaînette, points de tige et applications de feutrine. Toujours en édition limitée. Ses clutchs reprennent des pépites de la littérature ou des toiles et défilent régulièrement sur les tapis rouges. Produisant jusqu’à trois cents minaudières par semaine, elle fait désormais broder en Inde ou au Portugal et ponctue son prêt-à-porter de ces motifs en pointillés. Forcément.

Mais si ces réalisations ont l’art de l’opulence, une jeune génération de labels manie cette technique comme un signe – épuré – de reconnaissance. Dans la veine, d’ailleurs, de Lou Doillon qui expose ses ouvrages au fil sur Instagram, inspirés de ses dessins à la ligne claire. Ou encore du travail poétique – à la Cocteau – de la designer textile Sofia Salazar, sous le nom de Hiedra (hiedra.bigcartel.com). La petite prouesse du genre, c’est Maison Labiche (maisonlabiche.com), créée en 2011 par un trio parisien, et qui affiche désormais une croissance de 100 % par an. Quand il débarque, c’est avec des tee-shirts unisexe twistés par des pictos ou des mots rédigés au point de chaînette comme une écriture d’écolier. Simplissime. C’est encore sa marque de fabrique. Mais, aujourd’hui, le label aligne près de 250 espaces de vente dans le monde, une boutique parisienne en nom propre, des lignes Femme, Homme et Enfant. Et bientôt une collection denim. La marque ne travaille plus à la main, la demande est trop forte. Elle a donc développé un point façon chaînette à la machine et joue sur le  » do your own  » en proposant, dans son magasin et sur son site, de personnaliser un vêtement avec les lettres qui nous chantent.

Et ce principe est copié et recopié : on ne compte plus les sweats et autres marinières qui, ces dernières saisons, viennent s’orner d’un  » Maman poule  » ou autres quolibets plus ou moins heureux.

Le revival de cet artisanat d’antan, on le doit à l’art contemporain. C’est là que cette pratique désuète a repris tout son sens – jouer la carte de l’intime – et acquis sa dimension rock. La sulfureuse Tracey Emin a ainsi décoré draps et couvertures de mots désespérés racontant son histoire. Jusqu’à la fin de sa vie, à 98 ans, Louise Bourgeois a quant à elle enjolivé les torchons et mouchoirs de son enfance de fleurs, perles et autres fils, parfois de fer. Elle voyait là des parallèles avec le personnage d’Eugénie Grandet, de Balzac, dans lequel elle se reconnaissait. L’Américain Matthew Cox orne, lui, des radiographies avec des têtes d’animaux et des visions fantasmées. Et la Française Céline Tuloup mise sur des mots comme des tags ou des planches du test de Rorschach pour explorer l’inconscient. De son côté, Annette Messager a brodé des phrases reprenant des idées reçues sur les femmes. Une démarche que l’on retrouve encore dans les oeuvres érotiques de la Belge Olga Mathey (cargocollective.com/olgamathey) qui pratique l’activité depuis son enfance, a peaufiné son apprentissage auprès de costumiers et est partie au Mexique, il y a trois ans, pour y apprendre des méthodes traditionnelles.  » Pour la journée des droits des femmes, j’ai conçu une grande broderie, sur une place de la capitale du Chiapas, pendant trois jours, avec un collectif, se souvient-elle. Ça a changé ma manière de travailler. Pendant des années, je l’ai fait seule. C’est un medium très intérieur, de l’ordre de la méditation. Quelque chose de viscéral et piquant. Mais j’ai eu besoin que ça explose.  » De retour, elle se met alors à broder – sans dessin préalable – presque exclusivement sur commande :  » Les gens me racontent leurs histoires et je la transpose. C’est tout le rapport au corps et à la sexualité qui s’exprime.  »

Il y aurait donc de la subversion dans le domaine. De la symbolique en tout cas, quand cette discipline attribuée à la sphère féminine est détournée. Ainsi le Britannique James Merry (jtmerry.com), fidèle de la chanteuse Björk, pour laquelle il dessine de nombreuses créations, brode des végétaux délicats sur les logos sportifs de sweats. Tandis que l’Américaine Jenny Hart (jennyhart.net) est considérée comme celle par qui cette activité manuelle a connu un retour en grâce. Dès 2001, elle s’inspire du tatouage pour esquisser aux points, entre autres, une série de portraits de rock stars. Dans la foulée, elle crée le webshop Sublime Stitching (sublimestitching.com), référence où les traditionnels canevas à fleurettes sont remplacés par des têtes de mort ou des pin-up pop. Quant à la Gantoise Ruth Trioen, elle vient justement de lancer des chemises blanches brodées d’un coeur flanqué d’un  » Love me tender  » façon tatoo, sous le nom de Johny be good (johnybegood.be). L’illusion de l’intime – encore – sur le vêtement.

PAR AMANDINE MAZIERS

 » C’EST UN MEDIUM TRÈS INTÉRIEUR, DE L’ORDRE DE LA MÉDITATION.  »

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