RAFAEL ANTON IRISARRI – OUBLIEZ L’OUEST

© CHARLOTTE LAMBY

L’Amérique sombre. Et nous avec. En parfaite et docile colonie culturelle. Fascinés par ce grand rêve, nous sommes les caniches bouclés au bout de la laisse. Domestiqués, nous avalons leurs croquettes synthétiques en remuant la queue. Assis, debout, couché. Nous sommes les filles de l’ogre. Un vrai Moyen Age, avec remparts, seigneurs et serfs. Quand vient la peste, nous implorons. De vrais camés de la culture US. Nous répétons  » amen  » ad nauseam au milieu d’une grand-messe à laquelle nous ne comprenons que très peu. A part peut-être le pain et le vin. Alors il faut plonger dans la bouillasse et trouver des eaux claires. Car là-dessous, se trouvent des pépites et des fulgurances. L’album A Fragile Geography de Rafael Anton Irisarri en est une. Le compositeur américain – eh oui – y dépeint les cieux qui s’assombrissent en dépit des étoiles. On y rencontre des glissements de terrain, des torrents de débris. La chute de l’empire américain d’Occident, en quelque sorte. Irisarri fit, un mauvais jour, le projet de quitter Seattle pour New York et entassa tous ses biens dans un camion. Lors d’une nuit d’étape au milieu de nulle part, des voleurs de grand chemin le dépossédèrent de tout. Meubles, instruments, archives, vêtements, souvenirs, tout. Le camion n’a jamais été retrouvé. De ce désastre, est né ce très grand disque. Quarante minutes instrumentales où l’Amérique, notre vieux rêve, est mise à mal. Empire Systems constitue la pierre angulaire de ce travail ; cette pièce pétrie de déclin vous transportera au bord d’un canyon d’une beauté affolante creusé par le désespoir. Un peu plus loin, vous trouverez Persistence, un crépuscule de tendresse et d’optimisme faisant oublier le goût de la poussière brûlée si tenace jusque-là. A Fragile Geography est un disque obligatoire. Sous peine de poursuites.

JÉRÔME MARDAGA

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