Marie Tihon, les récits de vie d’une jeune photoreporter bruxelloise

© ANTONIN WEBER

La photojournaliste bruxelloise fait partie des lauréats de la bourse Vocatio 2018. A 25 ans à peine, elle enchaîne les projets en Iran, au Liban, en Turquie… Des centaines de rencontres et autant de récits de vie, avec une ligne directrice : l’humain au centre.

Sa photo préférée, elle l’a prise dans Tarlabasi, à Istanbul.  » On m’avait déconseillé de m’y rendre car c’est un quartier difficile, réputé dangereux. J’y suis quand même allée et ça a été un après-midi rayonnant.  » Sur l’écran de son portable, Marie Tihon pointe du doigt le cliché d’une rue inondée de soleil, des enfants y jouent tandis que du linge multicolore sèche, suspendu au-dessus de leur tête.  » Cette image est à mille lieues de ce que l’on m’avait décrit. Bien sûr, je ne minimise pas les problèmes de Tarlabasi mais ça montre que les choses sont parfois beaucoup plus complexes que ce qu’on nous en dit.  » Un angle optimiste pour une réalité difficile, c’est une constante dans les reportages de Marie. Des détenues colombiennes qui s’offrent une seconde chance en tenant un restaurant gastronomique, des Iraniennes qui investissent l’espace public d’un des pays les plus misogynes au monde, des réfugiés syriens en Turquie qui reconstruisent leurs vies après les avoir vues exploser, autant d’albums choisissant de souligner l’espoir des petits et grands succès.  » C’est vrai qu’à la base, je pars toujours de sujets dramatiques et, une fois en contact avec les gens, sur le terrain, c’est leur positivité qui m’inspire.  »

Mon style, c’est la vie quotidienne.

Diplômée de l’IHECS (Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales de Bruxelles), en septembre 2015, la jeune femme n’a pas attendu la fin de ses études pour se lancer. En 2014, déjà, elle fait de son mémoire de master un projet ambitieux sur la situation des femmes en Iran. A la rencontre de trois Téhéranaises qui vivent leur passion malgré le corset social, l’étudiante en journalisme réalise des portraits bruts, puissants, intimes, au plus près de leur sujet.  » Je vois l’appareil comme un moyen de rencontrer des personnes, une excuse pour entrer dans leurs univers, manger, rire, partager avec eux. Je suis moins à l’aise en photo de rue, par exemple, parce que j’ai l’impression de voler des moments aux gens. Alors que pour les reportages dans l’intimité, on a beaucoup discuté au préalable et j’ai leur accord, il y a une confiance qui s’est installée.  » Sa série Téhéran : les visages de l’indépendance est vivement saluée par les professeurs de l’IHECS mais aussi par plusieurs médias, qui la publient. En 2016, elle rapporte même à son auteure les prix Mentor du public et du jury du Festival de photojournalisme Visa pour l’image, à Perpignan.  » A partir de ce moment-là, je me suis vraiment sentie légitime en tant que photoreporter, précise la Bruxelloise. Ça m’a apporté une visibilité inédite et j’ai intégré une agence.  »

Depuis, les projets s’enchaînent, au Liban, en Turquie, en Colombie, en Belgique, et ne se ressemblent pas. Seul point commun, la volonté de se porter témoin de fragments de vies :  » J’accorde beaucoup d’importance aux expressions, aux moments. C’est rare que je fasse des photos sans personne. Mon style, c’est la vie quotidienne.  » Sur ses scènes immortalisées, les cendres rougeoyantes d’une cigarette aux doigts d’une ombre dans la nuit d’Istanbul, un bout de langue qui dépasse des lèvres d’une petite fille concentrée sur son dessin au camp de Chatila à Beyrouth, les grands yeux perdus d’une octogénaire admise en gériatrie à Bruxelles. La jeune femme s’immisce avec délicatesse et pudeur dans le quotidien de ceux qu’elle fixe sur sa pellicule.

Désormais installée à Istanbul, Marie compte utiliser la bourse Vocatio – un prix belge qui soutient chaque année des jeunes talents passionnés dans leur projet professionnel – pour financer un reportage au long cours sur la société turque :  » J’aimerais suivre plusieurs familles dans différents coins du pays et voir comment les situations politiques et économiques les affectent. Je voudrais que les gens de la mer Noire, qui ont de gros a priori sur les gens du sud-est, voient qu’ils ont en fait les mêmes problèmes, les mêmes inquiétudes. Je n’ai pas la prétention de changer les choses mais je veux me rendre utile. Alors si mon reportage peut servir de lien contre la polarisation croissante de la société, ce serait une belle récompense. « 

Bio express

1992 : Naît à Bruxelles.

2010-2015 : Etudie à l’IHECS, spécialisation photojournalisme.

2015 : S’installe à Istanbul.

2016 : Se voit décerner le Prix Mentor au Festival international de photojournalisme Visa pour l’image de Perpignan.

2016 : Intègre l’agence Hans Lucas.

2018 : Reçoit une bourse de la Fondation Vocatio.

Par Claire Carosone

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