Alexandre Jardin

Alexandre Jardin décrit les femmes de sa vie. Tentant de « réinventer son existence », il se livre avec une franchise rare.

L’imaginaire, virus familial ou élément salvateur ?
Virus familial salvateur (rires) ! Je n’ai jamais cru que la réalité manquait de romanesque. Alors que les gens la perçoivent comme étant crédible, je trouve que le réel est un truc de dingue.

Qu’est-ce qui vous amuse dans ce jeu entre réalité et fiction ?
Cette vertigineuse propension du réel à être follement romanesque. J’ai plus confiance en mes romans qu’en la pseudo réalité, car ils contiennent mes émotions. C’est la seule zone franche dont je sois certain.

Etre écrivain c’est…
Avoir le droit d’affirmer son point de vue contre tous les géomètres. Quelle liberté incroyable !

Etes-vous « le héros de votre propre existence » ?
Je le suis de plus en plus, car j’ai de moins en moins peur de mes envies. Ce matin, j’ai proposé un nouveau jeu à ma femme : écrire, tour à tour, un roman dans un cahier qui ne serait destiné qu’à nous. L’idée est de vivre tout ce que nous allons imaginer… Or, elle refuse de signer ce « contrat ».

Vous écrivez « refusons ce que nous sommes ». Qu’êtes-vous ?
Alors que les humains sont la somme de leurs habitudes, je préfère être en désaccord avec moi-même. J’éprouve un bonheur complet à sortir du carré. La lecture d’ouvrages psy ou de magazines scientifiques modifie mes points de vue. Le réel n’est-il pas une fiction ?

Pourquoi rendez-vous hommage aux femmes qui peuplent votre jardin ?
J’avais envie qu’on sorte de ce livre dans le même état d’euphorie que moi, en les rencontrant. C’est au contact des femmes que j’ai appris à oser et à penser autrement. Une lectrice a ouvert un hôtel, à Vancouver. Inspirée par l’un de mes romans, elle y a imposé le silence. Ce séjour enchantant a provoqué un gigantesque choc intellectuel. Le langage constitue un handicap dans le couple, parce qu’on se cache derrière les mots. En se taisant, on parvient à mieux échanger avec la femme aimée et à la regarder dans son infinie complexité.

Quelle est la femme que vous aimez éperdument ?
Je suis très impressionné par la capacité d’apprentissage et de remise en question de ma compagne, Liberté. Avec elle, je ne me sens jamais coincé, tant elle ma permis de reconsidérer les difficultés de la vie.

La célébrité que vous auriez adoré rencontrer ?
Josephine Baker. Elle a introduit, en Europe, la liberté corporelle dans un univers raide. Avec elle, le corps est devenu une joie. Dotée d’une incroyable personnalité, elle a fait de sa vie un roman délirant.

La femme que vous admirez le plus?
Il m’est plus facile de répondre pour un homme fictif… Le neveu de Rameau, car il trimbale une joie profonde face à l’existence. On découvre son infinie gourmandise au fil de l’interrogatoire qui l’anime.

Qu’est-ce qui vous épate chez les femmes ?
La diversité de leurs romans intérieurs. Ce ne sont pas des muses, mais des collègues, des auteurs non pratiquantes.

Qu’ont-elles de plus mystérieux ?
Le fait qu’elles soient mystérieuses à leurs propres yeux. Rien n’est plus féminin qu’un point d’interrogation. C’est ma définition de la féminité !

Qu’y a-t-il de plus féminin en vous ?
Le nombre de femmes contenues dans mon répertoire téléphonique (rires) !

Si vous étiez incarné en « Alexandra » Jardin…
Je n’écrirais pas parce que je vivrais avec suffisamment de texte en moi. Physiquement, je ressemblerais à ma femme : une actrice italienne à crinière, que je ne parviens pas à épouser. Même ce livre ne l’a pas convaincue ! Elle a un sens aigu du suspense. En me disant que c’est « insuffisant », elle me motive à aller plus loin.

L’actrice qui vous fait rêver?
Grace Kelly. N’a-t-elle pas été filmée comme un pur fantasme ?

Parfum féminin enivrant?
Allure de Chanel, que j’ai offert à ma femme.

Ce roman fait aussi la part belle à votre mère. Quelle empreinte a-t-elle laissé en vous ?
Un goût profond pour le changement. Ainsi, elle m’encourageait à modifier souvent la couleur de ma chambre.

Comment a-t-elle influencé votre vision des femmes ?
Elle m’a donné le goût des femmes « bizarres », c’est-à-dire de celles qui prennent leur liberté. En la regardant vivre, j’ai compris que le côté formidable et imprévisible de la vie se trouvait chez les filles. Elle a une telle confiance en l’existence. J’adore sa façon d’être, car elle ne craint pas ses désirs. Parallèlement, elle est infernale, mais les femmes doivent-elles être confortables ? Pas sûr…

Vous écrivez « personne ne m’a mieux blessé et soigné que ma mère »…
Il est vrai qu’elle m’a blessé de manière féconde. Si on ressort d’une claque plein de questions, c’est gagné.

La famille, cocon protecteur ou étouffoir ?
Dans la mesure où elle ne m’a pas tué, c’est un endroit très dangereux et follement gai. Quel privilège inouï de grandir là !

Quel genre de père êtes-vous ?
Avec mes enfants, on rit énormément. La vie n’est pas un problème, mais une opportunité extraordinaire. C’est toutefois différent d’être le papa d’une fille… Cela ne signifie pas que je l’aime plus, mais ça touche le coeur de plus près. Et puis, j’adore sa mère à qui elle ressemble tant. Même si elle n’a que 2 ans et demi, je l’imagine déjà femme. Ce sera une tornade, l’inconfort même. Elle sera d’une profonde beauté morale.

La beauté c’est…
La vitalité.

Et l’amour ?
C’est toujours le commencement du romanesque. Quand j’étais petit, j’étais incapable d’aller à l’école si je n’étais pas amoureux (rires). C’est mon moteur, mon carburant.

Etes-vous un Don Juan ?
Pas du tout, pour être un tombeur, il faut faire exprès. Quelle que soit la distraction, ma nature profonde est la fidélité.

Qu’est-ce qui vous rend craquant ?
Mes livres. Ce sont plus mes histoires que ma personne qui attirent les femmes.

Qu’est-ce qui vous fait craquer ?
Les romans que les femmes se racontent à elles-mêmes. Liberté ne m’a pas laissé le choix. En la regardant, il m’a semblé possible de devenir un homme fidèle. Il était impossible qu’elle m’écarte.

Par amour, vous êtes capable de…
Toutes les audaces, mais je me suis longtemps trompé de direction. Je croyais que la folie résidait dans des événements excessifs, or le quotidien peut aussi être un point d’appui.

Comment vous soignez-vous quand vous êtes un « accidenté du coeur »?
Comment font les gens pour vivre sans avoir recours à l’écriture ? Vitale, elle permet de rectifier le réel pour pas trop cher !

Le talent que vous auriez aimé avoir?
Ecrire des comédies musicales. J’aurais adoré me lever le matin, en chantant ma vie. Lisa Minnelli dans New York New York, c’est jouissif !

Vos passions méconnues?
Je n’ai pas le moindre hobby : je m’intéresse plus aux filles qu’aux timbres postes (rires).

Qu’est-ce qui vous fait rêver ?
Plus de choses que l’inverse. C’est mon état naturel.

Qu’est-ce qui vous fait pleurer ?
L’horrible violence de la vie. Si on vivait dans une société de lecteurs, les amants seraient plus intéressants, la drôlerie serait plus présente que les emmerdeurs qui perdraient la bataille. Il faut remplir les enfants de mots. Comme le démontre mon association Lire et faire lire, le livre est la clé de tout.

Propos recueilis par Kerenn Elkaïm

Chaque femme est un roman, par Alexandre Jardin, Grasset, 301 pages.

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