Ballerines, stilettos, baskets, bottes: que révèlent vraiment nos chaussures

Nos choix en révèlent bien plus sur nous qu’on ne le croit. Mais que dévoilent vraiment nos chaussures ?

Sur notre personnalité

 » Lorsque l’on crée un nouveau modèle, on a en tête un type d’acheteuse potentielle. Si l’on imagine une sandale à haut talon, on sait qu’elle sera portée par une personne féminine, avec un look plutôt sexy. Lorsque l’on dessine une low boot à franges, on suppose qu’elle plaira à une fille du style Kate Moss.  » Créatrice de la marque belge March23, Virginie Morobé avoue avoir toujours en tête une de ses connaissances ou une célébrité lorsqu’elle met au point un prototype. Car il est évident que nos choix vestimentaires et esthétiques dépendent de notre caractère. Pour une étude menée en 2012 par l’université du Kansas, des experts ont demandé à plus de deux cents personnes de 18 à 55 ans de fournir une photo de leur paire de chaussures la plus usuelle et quelques infos sur leur personnalité, leur niveau social, etc. Une soixantaine d’étudiants ont alors essayé de deviner, sur base de cet unique cliché, le sexe, l’âge et le statut des propriétaires desdites pompes. Et leurs réponses se sont avérées justes dans 90 % des cas ! Bien souvent, par la simple observation de cette image, certains traits plus personnels ont également été dégagés. L’anxiété, par exemple, ceux qui en souffrent étant semble-t-il plus soucieux de leur apparence, et donc de l’état de leurs biens.  » Des souliers usagés mais sans taches étaient portés par des gens méticuleux, et d’autres, colorés, par des jeunes, énumère le docteur en psychologie Jean-Louis Monestès qui s’est penché sur cette recherche dans le cadre de son blog (www.sousloeildespsys.fr). Mais, plus surprenant, les résultats montraient que les modèles pratiques appartenaient généralement à des personnes conviviales, ceux aux lignes anguleuses à des propriétaires plus agressifs, et ceux plus confortables à des calmes.  »

De fameux raccourcis, certes, mais qui s’expliquent aisément. Pour la psychologue Sophie Cheval, qui signe Belle, autrement ! (Armand Colin),  » le physique constitue la première information dont nous disposons sur quelqu’un : à partir de celle-ci, nous formulons automatiquement des hypothèses pour savoir à qui nous avons affaire. Une fois cette équation résolue à la va-vite, nous pouvons alors dédier notre énergie à faire ce que nous avons à faire avec la personne concernée, ce qui nous fait gagner du temps. Dans la vie quotidienne, nous reconnaissons implicitement l’existence de cet effet de primauté lorsque nous cherchons à faire bonne impression lors d’un recrutement, d’un rendez-vous galant, etc. « 

Dans cette lecture très visuelle du profil d’autrui, les détails, qui semblent les plus anodins jouent aussi un rôle crucial.  » Si vous avez de belles chaussures mais des chaussettes désastreuses ou des sandales avec des pieds mal entretenus, vous laissez transparaître une certaine négligence. Quelqu’un qui n’a pas enlevé le prix sous la semelle dévoilera lui le fait qu’il ne va pas au bout de son geste « , exemplifie Yves-Alexandre Thalmann, psychologue et auteur de Tout ce qu’il faut savoir pour bien vivre (Jouvence).

Sur notre moi idéal

Mais le décryptage de nos petons n’est pas si aisé qu’il y paraît car, à côté de ces évidences un peu triviales, les souliers que nous choisissons dépendent de nos habitudes culturelles – selon Virginie Morobé, la femme belge serait ainsi plus encline à passer ses journées sur talons que la Néerlandaise – ainsi que des tendances de la sphère fashion… Dès lors, il faut rester méfiant quant on analyse le  » look plantaire  » de nos interlocuteurs.  » Nous sommes tous de fieffés menteurs car nous voulons cacher notre jardin secret. L’apparence n’est donc jamais en adéquation exacte avec notre personnalité « , insiste Yves-Alexandre Thalmann. De son côté, Sophie Cheval avance une autre hypothèse :  » Peut-être que nos vêtements et accessoires, plutôt que de nous ressembler, témoignent plus de ceux à qui nous voulons ressembler ! Plutôt que de refléter qui nous sommes, ils représenteraient qui nous souhaiterions être…  » Et d’insister sur l’influence de la mode :  » il y a quelques années, il a suffi que Kate Moss porte des bottes en caoutchouc, lors d’un festival de rock, pour que les ventes explosent ! Elle a ainsi renouvelé l’effet que James Dean avaient produit en portant un jeans : transformer un vêtement de travail en une pièce culte. « 

Sur notre humeur

Plus que notre caractère, qui finalement n’apparaît qu’en filigrane derrière plusieurs strates correspondant aux tendances, aux us et aux coutumes, nos godasses seraient dès lors davantage le reflet de notre humeur du jour. Ne dit-on pas que l’on est « bien dans ses baskets  » ou  » à côté de ses pompes  » ?  » Le bien-être d’une personne peut parfois se mesurer à la hauteur de ses talons ! Ma fiancée en est le meilleur exemple. Lorsqu’elle est d’humeur joyeuse, elle saute dans ses 12 cm et court toute la journée… Je m’inquiète lorsqu’elle chausse des ballerines ! « , s’amuse Julien Granero, responsable de la création pour la marque Mellow Yellow.

Mais plus que révéler notre état d’esprit, la manière dont nous habillons nos pieds peut aussi l’influencer positivement !  » Une femme qui porte des stilletos a une attitude plus élégante. Ses épaules sont droites, ses jambes s’allongent, la chute des reins se creuse, si bien qu’elle paraît plus féminine, plus mince… et ça la rend heureuse « , confirme Virginie Moribé. On peut ainsi tenter de modifier son humeur à coup d’audace modeuse : « s’habiller en rose (et non en noir) quand on est triste, ou porter un modèle festif un jour tout à fait ordinaire : nos choix quotidiens montrent que l’on peut agir autrement qu’en suivant ses émotions et ses pensées », soutient Sophie Cheval.  » On a longtemps cru que les choses venaient d’abord de la tête puis s’exprimaient par des paroles, des gestes, une manière d’être… Aujourd’hui on a compris que ça peut aussi aller dans l’autre sens, complète Yves-Alexandre Thalmann. Plutôt que d’essayer de comprendre, par l’introspection, pourquoi un patient doute de lui, je l’invite à agir, par exemple en adoptant dans sa vie quotidienne la posture de celui qui a confiance en lui, épaules redressés, cage thoracique relevée, pour retrouver de l’assurance. Et cela peut passer par les chaussures. Choisir un modèle qui nous met en valeur donne le signal qu’on se perçoit plus beau, plus sexy… Et si on en est convaincu, on finit par persuader les autres.  »

Sur notre besoin d’en faire à notre tête

Dans Belle, autrement !, Sophie Cheval propose en conclusion de  » choisir chaque jour sa beauté comme ses chaussures « . Et donc de privilégier une beauté-plaisir, et non une beauté-contrainte, en exerçant notre liberté, en fonction des choses qui sont importantes pour nous.  » Chaque matin, nous choisissons nos chaussures en fonction de notre envie autant que de nos activités : nous allions ainsi l’agréable au pratique, l’esthétique au fonctionnel, le futile à l’utile.  » Côté look, changer de pompes nous permettrait, selon la spécialiste, de considérer notre apparence physique comme un vaste terrain de jeux, dans lequel nous pouvons explorer toutes les facettes d’une identité en mouvement perpétuel.  » Sur le versant fonctionnel, cela nous offrirait la possibilité de jouer tous les rôles qui nous importent dans la vie : executive woman, épouse, mère, fille, soeur, amie, militante, bénévole…, énumère la psychologue. Nous pouvons ainsi piétiner les diktats esthétiques qu’on cherche à nous imposer, et écouter notre aspiration à la beauté, autant que notre désir d’avancer !  » Shoes addicts, le monde vous appartient donc !

Sacré business

Chez Smets, les souliers griffés occupent une place de choix. Petit aperçu d’un marché en plein essor avec Pascaline Smets, acheteuse, et Valentine Witmeur, responsable de la communication du concept store bruxellois.

Comment évolue le secteur ?

La tendance est évidente : les clients achètent de plus en plus de chaussures. Que ce soit chez les hommes – on observe une augmentation de l’ordre de 30 % des achats de al clientèle comme de l’offre proposée par les marques – ou chez les femmes. La sneakers a été un facteur clé de cette évolution. Les grandes maisons les ont associées à une multitude de looks et les ont déclinées à l’infini. La basket est devenue collector, il n’est pas rare que les clients en acquièrent plusieurs paires par saison.

Pourquoi ce succès ?

Ce sont de réels accessoires de mode, qui peuvent transformer une allure : une tenue peut être décontractée avec des baskets, et dégager une autre énergie, le soir, avec des escarpins. La chaussure confère une attitude, une démarche, révèle un style, une personnalité, c’est parfois elle qui guide le look plutôt que le vêtement.

Comment expliquez-vous le phénomène des shoes addicts ?

C’est un achat immédiat, impulsif, il répond à un coup de coeur et nécessite généralement moins de questionnement qu’une pièce de prêt-à-porter. Les femmes se sentent belles, puissantes, élégantes, sexy, irrésistibles en essayant des souliers. Un vêtement peut faire l’objet de désillusion, les chaussures ne déçoivent jamais.

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