Frères, soeurs: 5 clés pour comprendre la place de chacun dans la famille et son influence

Aîné, cadet ou benjamin ? Fille ou garçon ? La place que chacun occupe dans la fratrie est loin d’être anodine. Et peut même avoir des conséquences à long terme. Cinq pistes pour y voir plus clair dans la destinée de notre joyeuse marmaille… et dans la nôtre.

Les jumelles Olsen, devenues célèbres fin des années 80 avec la série La fête à la maison. (c) Reuters
Les jumelles Olsen, devenues célèbres fin des années 80 avec la série La fête à la maison. (c) Reuters

« Tel père, tel fils » ; « La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre »… Ce type de dictons a la vie dure et il est vrai qu’il y a, derrière ces maximes, un fond de vérité. Néanmoins, si l’influence des géniteurs sur leur progéniture n’est plus à démontrer, celle qu’exercent les frères et soeurs doit également être mise en lumière. « On peut passer des années à travailler sur la problématique oedipienne avec un patient et qu’il reste toujours aussi malheureux », constate la psychanalyste Virginie Megglé, qui sortira en mars prochain, aux éditions Leduc.s, un ouvrage sur les relations fraternelles et leur incidence (parfois très néfaste) une fois adulte (*).

Et de poursuivre : « On parle toujours de l’axe parents-enfants alors que les fratries sont en réalité le sujet presque central. » C’est que le lien qui les unit « est noué en des temps immémoriaux, comme le précise la psychologue Françoise Peille dans Frères et Soeurs, chacun cherche sa place (Hachette). Il y a l’expérience fondamentale d’être issus d’un même ventre, de se représenter, dans le fantasme, comme autant de morceaux d’un même corps. »

Le sujet mérite dès lors qu’on y accorde davantage d’importance, que ce soit pour guider nos petiots dans leur apprentissage de la vie en groupe ou pour comprendre ce que notre passé et les rapports que nous avons tissés avec nos proches peuvent encore avoir comme répercussions sur notre manière d’agir et de penser aujourd’hui. Car, comme le relève Virginie Megglé :  » On ne se développe pas en fonction de son être, en étant à l’écoute de ses désirs, mais en contrepoint de l’autre. »

1. L’ORDRE DE NAISSANCE, DÉTERMINANT

Même s’ils partagent un même papa et une même maman, les kids ne bénéficient en réalité pas du même environnement familial. Le premier découvre la vie dans un milieu d’adultes inexpérimentés et avides de le voir pousser. A l’opposé, le dernier-né se confronte à un père et une mère avisés, certes, mais pas forcément à l’affût du moindre cri ou geste de leur chérubin. Il doit se servir de son charme pour attirer l’attention. Il est frappant de constater que cette chronologie des naissances a un effet immédiat sur notre personnalité et surtout sur le « rang » qu’on occupe bien plus tard dans la société.

Virgin Suicides (2000), le destin tragique de cinq soeurs dans l'Amérique profonde. © BELGA
Virgin Suicides (2000), le destin tragique de cinq soeurs dans l’Amérique profonde. © BELGA

Il est bien sûr délicat de généraliser mais des traits communs peuvent être dégagés. Ainsi, l’aîné  » ne doute généralement pas de sa place mais cultive également la peur de se voir détrôner », observe Virginie Megglé. Il va donc être dominant pour protéger son statut mais aussi « observateur, désireux de comprendre les règles des grands, cherchant à contenter tout le monde et courageux », comme le schématise Ingo Schneider, un médecin suisse auteur de Tout savoir sur les relations entre frères et soeurs (Favre).

Le benjamin, en revanche, aura tendance à jouer son rôle de dernier-né, même une fois majeur et vacciné. Les plus vieux l’encourageront d’ailleurs à ne pas quitter cette position, histoire de ne pas se sentir rattrapés, en parlant toujours du « petit » même s’il a 35 ans. A contrario, ne s’étant jamais fait voler la vedette dans l’enfance par un autre bébé, le junior affichera de la confiance en lui et « se permettra même de contourner les règles », précise Ingo Schneider. Le rejeton du milieu, enfin, sera celui qui souffrira le plus de son ordre d’arrivée dans le foyer car il ne parviendra jamais à vraiment à se positionner. « En réaction, il tissera probablement des liens sociaux plus forts hors de chez lui », fait remarquer Virginie Megglé. Il sera « un nourrisson câlin et sensuel, inventif et créatif, cherchant à plaire », complète Ingo Schneider.

Il est enfin à noter que la différence d’âge a un impact sur l’évolution de la marmaille. Des écarts infimes génèreront un manque d’espace vital pour les bambins, ce qui nécessitera une attention accrue des parents pour dégager des moments privilégiés pour chacun. Un laps de temps long entre deux grossesses risque par contre de conforter l’aîné dans son rôle d' »élu », rendant la chute du trône parfois encore plus difficile à avaler.

Et qu’en est-il de l’enfant unique ? « Un môme a besoin d’une relation (verticale) avec son papa et sa maman mais aussi avec ceux de sa génération, répond Virginie Megglé. C’est pourquoi, s’il est seul, il développera des amitiés très fortes… Mais qui peuvent être mises à mal lorsque le copain en question a de son côté une fratrie. » Un autre risque dont ce petit roi doit être préservé c’est celui de devenir trop tôt adulte, ou d’être en tout cas considéré comme tel, subissant par là une énorme pression.

2. LE SEXE, PLUS COMPLEXE QU’IL N’Y PARAÎT

Les jeunes couples se félicitent généralement lorsqu’ils décrochent « le choix du roi », à savoir un bébé de chaque sexe. Et il est vrai que la menace de confrontation est a priori moins présente, puisqu’ils grandiront dans la différence.

Acteurs et frère et soeur, Jake et Maggie Gyllenhal
Acteurs et frère et soeur, Jake et Maggie Gyllenhal© Reuters

Quoique… Une aînée est souvent considérée « comme le « fils » de la maison, relève Virginie Megglé dans son livre. L’enfant rêvée sur qui tous les espoirs ont été portés… et ont pesé ! Elle sera dans l’insécurité du fait de cette demande incessante qu’elle a subie. »

Si un nourrisson de sexe masculin débarque, elle fera alors tout pour ne pas chuter de son piédestal et que ce puîné reste inoffensif pour elle. Inversement, toujours selon la spécialiste, une gamine sera en admiration devant son frangin plus âgé mais lui la verra comme une intruse qui veut lui voler sa place. Plus elle en attendra de ce héros, plus il sera assuré de son pouvoir sur elle, et plus elle se victimisera…

La chose se complexifie encore avec les fratries unisexes. « Il s’en trouve presque toujours un pour jouer le rôle du sexe opposé, souligne la psychanalyste. C’est une façon de répondre à ce que l’on croit être le désir de sa mère ou de son père », observe Virginie Megglé, prenant comme exemple le récent film de Guillaume Gallienne, Les garçons et Guillaume, à table !, dans lequel un jeune homme, dernier-né de la famille, est persuadé depuis toujours d’être une fille…

On peut encore relever que, entre soeurs, la tendance sera à la comparaison – « la plus belle », « la plus intelligente »… enfermant chacune dans son rôle, et la mettant finalement mal à l’aise par rapport aux autres, au point parfois de dénigrer ses propres qualités. Entre mecs, l’esprit sera à la compétition, le père devant veiller à rester au-dessus de la mêlée.

3. LES RESSEMBLANCES, UN POIDS À ÉVITER

 » Les frères et soeurs se comparent entre eux, morceau par morceau, comme pour savoir qui est le plus fils ou fille de maman et/ou de papa, observe Virginie Megglé. Lorsque le point de ressemblance est un objet d’admiration, l’enfant en tire une fierté tandis que l’autre en conservera un dépit qu’il gardera secret et qui lui donnera l’impression d’être inférieur. » Partant de ce constat, nombre de professionnels du secteur encouragent à ne pas tomber dans ce travers qu’est la comparaison. Inutile d’affirmer en public que « Marie savait marcher à 1 an parce qu’elle est déterminée comme sa mère alors que Max, lui, préfère prendre son temps, comme son père », que « Nina a les beaux yeux de sa mamy » ou que « Lucas est tout le portrait de mon mari, caractère y compris ». Ces vérités, qui n’en sont pas vraiment, ne font que mettre les gosses dans des cases d’où ils peuvent difficilement sortir ensuite. Il est donc préférable de laisser les kids se comparer entre eux, en toute subjectivité, un peu comme un jeu, mais surtout de ne pas surenchérir…

Les actrices françaises Audrey et Alexandra Lamy
Les actrices françaises Audrey et Alexandra Lamy© Reuters

« On a tous des traits de parenté, confirme la psychanalyste. Mais ils viennent naturellement des deux. Dire à une môme qu’on dirait sa mère l’incite à évoluer dans ce sens… Pour se rendre compte bien plus tard qu’elle cultive un côté paternel enfoui. Il faut dès lors faire attention aux mots qui figent et qui peuvent troubler la croissance. Car les petits ont besoin de grandir dans la différence. »

4. LA JALOUSIE, UN MAL NÉCESSAIRE

 » La jalousie est indissociable de la fratrie. » C’est ce qu’affirme Virginie Megglé dans son ouvrage.

Les Jackson, mythique fratrie du monde de la musique, ici rassemblés autour de leur star de frère Michael
Les Jackson, mythique fratrie du monde de la musique, ici rassemblés autour de leur star de frère Michael© Corbis

Ce sentiment de rivalité entre rejetons d’un même foyer se joue autour de l’amour que leur vouent leurs parents mais plus encore sur la base des réussites et échecs de l’un et l’autre, qui permettent aux juniors de se différencier et par là même de se construire une identité propre. En ce sens la jalousie peut être saine, voire indispensable. Et ne doit pas être contrecarrée à tout prix comme l’affirme l’experte : « A trop vouloir forcer l’amour, on leur impose une conduite dans laquelle aucun ne se reconnaît. L’interdit de rivalité est une négation de la réalité. »

Jacques Lacan, sommité du domaine de la psychanalyse, a carrément créé un terme pour évoquer cette « haine inhérente à l’amour, consécutive à la nécessité de renoncer à la fusion » : l’hainamoration.

Selon la papesse de l’éducation Françoise Dolto, l’intervention des grands dans les disputes de gosses ne serait pas toujours souhaitable puisqu’en agissant de la sorte, ils enfermeraient tacitement un des protagonistes dans le rôle d’agresseur et l’autre dans celui de victime. Ce qui pourrait figer leurs comportements. Dans le même ordre d’idées, il est déconseillé, toujours selon la célèbre théoricienne de l’enfance, de demander « qui a commencé ? », chaque « camp » étant persuadé de la responsabilité de l’autre. Laisser libre cours à certaines chamailleries permettrait donc aux mioches d’expérimenter leurs limites et de tirer des leçons de leurs erreurs.

Néanmoins, de nombreux spécialistes invitent à prendre part au débat dès qu’il y a violence physique ou verbale, cela va de soi, mais aussi après coup, pour ouvrir un espace de parole et désamorcer la crise. Cette pacification permettra à chacun de se sentir en confiance malgré l’accrochage.

5. ET QUAND LES PARENTS DISPARAISSENT…

On aurait tendance à croire que c’est à ce moment-là que les attaches qui unissent les membres du clan seront les plus fortes. Il est vrai que le frère ou la soeur est celui qui reste, qui partage les souvenirs, beaux ou plus lourds à porter, qui garde en lui un peu de notre passé… mais selon Virginie Megglé, c’est souvent tout le contraire qui se produit.  » En l’absence des garants de l’ordre, de la justice, on ne se sent plus obligé de faire semblant. Tant que le père et la mère sont là, les enfants adoptent une attitude idéale pour décrocher le titre de préféré. Une fois qu’un décès survient, les rivalités remontent à la surface et on a le sentiment que ces blessures ne pourront plus jamais être réparées par le défunt. » Une vision assez pessimiste mais sur laquelle l’experte s’appuie pour convaincre tout un chacun à se pencher sur sa propre histoire avant que la marmite n’explose : « Comprendre les relations qui nous lient, repérer les noeuds douloureux, dénouer les enjeux des situations que nous vivons avec difficulté, permet de mieux se connaître et produit à la longue un véritable effet d’apaisement. » Un sentiment de réconciliation qui donnera ensuite aux adultes les clés pour mieux comprendre les tourments de leurs propres descendants, pour finalement une meilleure entente familiale générale.

(*) Frères et soeurs – Guérir de ses blessures d’enfance, par Virginie Megglé, éditions Leduc.s, 320 pages

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