L’addiction au sucre, le mal du siècle ?

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Ses ravages seraient pires que ceux de la famine dans le monde. Le sucre décime des milliers d’êtres humains… à leur insu. Décryptage d’un tueur en série tapi dans l’ombre.

Il est partout. Exhibé ou, le plus souvent, sournoisement caché. Assimilé à une drogue, tant il est addictif, alors qu’il semble a priori doux, réconfortant et qu’il renvoie souvent à l’enfance. Et pourtant, la Madeleine de Proust a de quoi laisser un goût amer à tous ceux qui en seraient trop friands. Véritable fléau du siècle, la molécule est une tueuse de masse. L’Organisation mondiale pour la santé tire d’ailleurs la sonnette d’alarme : nous en avalons tous les jours l’équivalent de quarante morceaux, soit six fois plus que les recommandations journalières. Et la poudre blanche d’être d’autant plus vicieuse qu’elle n’est pas toujours signalée de prime abord. Charcuteries, légumes, pain, produits laitiers maigres : elle est présente dans la majorité des aliments. Au point qu’un enfant de 8 ans aurait déjà mangé plus de sucre que son grand-père au cours de toute sa vie.

Un enfant de 8 ans aurait déjà mangé plus de sucre que son grand-père au cours de toute sa vie

Pourtant, il s’agit bien d’une substance vitale pour chacun d’entre nous. Jean-Michel Cohen, nutritionniste, auteur de Maigrir en bonne santé (*) et ardent défenseur d’une nourriture saine, rappelle à quel point notre organisme en a besoin. En clair : on ne peut pas vivre sans. Il est indispensable au bon fonctionnement du cerveau, qui consomme chaque jour une moyenne de 600 calories sous cette forme, ainsi qu’aux muscles, et s’en priver reviendrait à se mettre en danger.  » Le glucose nous est essentiel. L’hypoglycémie peut mener au coma et à la mort « , rappelle Pierre Kleynen, diabétologue et chef de service à l’Hôpital Saint-Pierre, qui ne prône d’ailleurs pas un discours radical.  » Le vrai ennemi, c’est la surconsommation en général. En ingérer une trop grande quantité est réellement dangereux. Cela risque d’abord de mener au surpoids, voire à l’obésité, point de départ de maladies cardiovasculaires et de diabète. Cela implique également l’augmentation de la production de molécules complexes, dont la propriété est de stimuler la croissance des cellules tumorales.  »

Arme de destruction massive, donc, le bien nommé tueur blanc extermine des centaines de milliers d’organismes partout dans le monde. La solution logique ? En manger moins. Le bémol ? Hormis celui que l’on peut détecter à l’oeil nu, il est savamment dissimulé dans tout ce que nous avalons, une stratégie brillamment orchestrée par l’industrie agro-alimentaire depuis les années 70, dans le but de rendre les êtres humains accros. Même les rats, lors de nombreuses expériences, le préféreraient à la cocaïne. Au-delà des sodas, si souvent incriminés qu’ils peuvent faire oublier qu’ils sont loin d’être les seuls à être nocifs, le plus grand adversaire d’une bonne santé reste les produits transformés. Ceux que l’on ingurgite en toute bonne foi, à coups d’étiquettes et de listes d’ingrédients subtilement rendues illisibles et qui cachent leur contenu sous des appellations moins compréhensibles pour le plus grand nombre : sirop de glucose, de fructose, d’agave, de maïs, dextrose, maltose, dextrine, jus de canne… autant de composants à fuir dans la mesure du possible.

Sugarland, film choc

Convaincu du pouvoir meurtrier de l’ingrédient, le réalisateur Damon Gameau a tenté une expérience extrême en étant le héros cobaye de son propre film documentaire. Le principe : suivre un régime qui ne privilégie que les sucres cachés, tout en supprimant les produits plus évidents (canettes, confiseries, crèmes glacées). Objectif ? Montrer qu’en bannissant ces derniers, on n’en a pas pour autant fini avec cet aliment pernicieux. Même dans les denrées dites saines et équilibrées, la teneur est souvent trop élevée par rapport à ce qui est recommandé. Pendant soixante jours, l’Australien a donc consommé l’équivalent de 40 cuillères à café de la fameuse substance tant décriée. Résultat : après seulement deux mois, Damon Gameau a pris huit kilos, était accro au point qu’il devait en accroître les quantités ingérées pour atteindre la satiété, souffrait de troubles du sommeil, de l’humeur et de la concentration, son taux de cholestérol a augmenté, ses organes étaient fatigués, sa peau abîmée, son foie était devenu dangereusement gras. Spectaculaire, même aux yeux des spécialistes qui l’ont suivi et qu’il a interrogés : les dégâts seraient colossaux.

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Pas étonnant, selon Pierre Kleynen, qui confirme à quel point les dommages peuvent être rapides pour la santé.  » Sur le plan hépatique, les effets secondaires ne se font pas attendre. La surconsommation ne doit pas s’inscrire dans la durée pour que les conséquences concrètes se manifestent. A terme, les cellules du foie meurent. Comme diabétologue, et sans vouloir caricaturer, je peux vous affirmer que boire deux litres de jus d’orange par jour, en croyant se faire du bien en toute bonne foi, peut conduire à la cirrhose au même titre que l’alcool. L’idéal, c’est 25 grammes de sucre par jour, soit 6 cuillères à café max… donc moins d’une canette de soda ! Or, aujourd’hui, le Belge en consomme quotidiennement 100 grammes en moyenne « .

L’overdose de glucides, fatale à la santé, est pourtant mise à mal à travers des campagnes de prévention… qui n’ont aucune influence sur leur absorption. La saga des distributeurs de boissons à l’école, au coeur de la polémique depuis 2004 déjà et dont Marie Arena (PS) avait fait l’un de ses fers de lance, semble au point mort, alors que la France les a interdits dès 2005 pour lutter contre l’obésité infantile. Il faut dire que la rentrée engrangée par ces machines controversées n’est peut-être pas étrangère à la lenteur du dossier. L’argent récolté finance par exemple des voyages scolaires ou autres équipements. Selon certaines mutuelles, il y aurait actuellement plus de 25 000 distributeurs de sodas au sein des écoles, soit 14 % de leur nombre total en Belgique. Jusqu’à 20 % des recettes, dans certains cas, seraient restituées aux établissements.

L’idéal, c’est 25 grammes de sucre par jour. Or, aujourd’hui, le Belge en consomme quotidiennement 100 grammes en moyenne

Or, les spécialistes sont unanimes : l’éducation au bien manger se joue dès l’enfance.  » Il est essentiel d’installer de bons réflexes alimentaires dès le plus jeune âge. Le sucre est terriblement addictif et active les zones du plaisir dans le cerveau, qui en redemande inévitablement… Culturellement, il reste beaucoup de chemin à faire, notamment parce qu’on est encore pétris de mauvaises habitudes, comme celle de récompenser un enfant par un dessert s’il termine son assiette, par exemple. Idem pour la barre énergétique à 16 heures. Nos têtes blondes ingurgitent beaucoup trop de sucre par rapport à leurs besoins réels « , prévient Pierre Kleynen. Et de rappeler à quel point le fructose, en trop grande quantité, est un potentiel poison. Quand on craque pour une part de tarte aux pommes, par exemple, on absorbe du saccharose, qui se compose de glucose et de fructose. Le premier nourrit nos cellules, tandis que le deuxième est stocké dans le foie, qui le transforme en graisse.  » D’où l’importance de se méfier aussi des produits  » bruts  » que l’on consomme journellement. Opter pour deux bananes en en-cas n’est pas anodin. Les conseils, voire les injonctions, ne doivent pas être mal interprétés, mais déclinés dans des proportions raisonnables « , rappelle encore le spécialiste.

Indice glycémique

La seule alternative à portée du consommateur : quantifier au mieux le sucre  » brut  » qu’il avale (fruits, légumes, etc.) et traquer les emballages des produits transformés, à la recherche des sucres cachés.  » Le vrai ennemi, dans chaque aliment, c’est son indice glycémique (IG). Plus il est élevé, plus il est à bannir ! « , prévient Myriam Kamouh, coach en nutrition (greencoachnutrition.com). Or, l’IG est souvent méconnu et la confusion quant aux bons et mauvais aliments est fréquente.  » On peut tout à fait s’alimenter sainement en choisissant des produits à l’IG faible, pour maîtriser au mieux sa consommation, son poids, sa santé, son énergie « , insiste la spécialiste. Pour elle, comme pour tous ceux qui oeuvrent contre la malbouffe, la règle N°1 est simple : il faut bannir les produits issus de l’industrie agro-alimentaire.  » Revenir à une alimentation plus traditionnelle, 100 % maison, et privilégier les ingrédients vrais, non transformés, c’est le b.a.-ba. Ensuite, il faut s’informer un maximum, auprès de son médecin généraliste ou d’un nutritionniste, afin d’éviter les faux pas que l’on fait tous de bonne foi « , ajoute la coach.

L'addiction au sucre, le mal du siècle ?

Pierre Kleynen rappelle deux erreurs que l’on commet souvent à son insu : le sacro-saint jus d’orange frais pressé et le yaourt maigre.  » Le sucre naturel contenu dans une orange est beaucoup moins concentré que celui dans le jus que l’on en a extrait en pressant le fruit. Un verre est quasi équivalent à une canette de soda, même s’il a l’avantage d’être plus riche en fibre et en vitamines. Quant au fameux yaourt maigre, ce n’est pas parce qu’il contient moins de graisses (lipides), qu’il est pour autant exempt de sucre ! Beaucoup de produits laitiers sont extrêmement sucrés, lire les étiquettes est essentiel « , insiste le diabétologue. Pour Myriam Kamouh, le petit-déjeuner occidental, du moins dans le nord de l’Europe, est d’ailleurs à revoir complètement.  » La confiture, le lait chocolaté industriel, le jus de fruit, les céréales, les croissants et les viennoiseries sont de véritables bombes à retardement ! C’est le pic d’insuline assuré, la fringale et le coup de barre dès 11 heures du matin, chez les enfants comme chez les adultes. Le sucre appelle le sucre, il acidifie l’organisme, fatigue et abîme les organes. L’alternative ? Un oeuf, un fruit brut, une portion de noix, un avocat écrasé sur la tartine… les populations du sud de l’Europe l’ont bien compris ! Le plus difficile est de désinstaller nos automatismes alimentaires.  » De quoi convaincre de devenir consom-acteurs au plus vite, histoire d’éviter une mort sucrée collective.

(*) Maigrir en bonne santé, le nouveau régime sans sucre… ou presque, par Jean-Michel Cohen, éditions First.

4 tendances « santé » à bannir

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Les galettes de riz

Soi-disant saines, elles pullulent dans les enseignes bio, notamment. Leur qualité coupe-faim et peu calorique est vantée, elles sont même inscrites au menu de certains régimes alimentaires. Sucrées sans en avoir le goût (IG très élevé), elles sont donc d’autant plus vicieuses pour l’organisme, qu’elles impactent considérablement. Les sushis

Le traître ? Le riz à sushi, dont l’IG est très élevé. Erigé au rang de produit  » ami minceur et santé « , le sushi est en réalité un aliment hypersucré. A consommer rarement et en petite quantité. Les produits 0 %

Délétères pour la santé, alors qu’ils sont présentés comme alliés. Pour compenser le retrait de matière grasse, ils sont généralement transformés, notamment avec l’ajout de sucre. A éviter autant que possible. A bannir chez la femme enceinte. Le pain de blé

L’IG du blé est élevé, surtout dans le pain (plus que dans les pâtes). On lui privilégie le seigle ou le levain.

Pour en savoir plus : Megalow Food. Recettes gourmandes à indice glycémique bas, par Ella Hagege, éditions Alternatives.

Par Aurélia Dejond

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