Confession d’une accro du tuto

Depuis quelques années, de plus en plus de jeunes femmes mettent en scène leur passion du shopping et du maquillage sur la Toile. Un passe-temps qui, pour les plus « vues » d’entre elles, s’est muté en job à plein temps.

Michelle Phan n’est ni une actrice, ni une chanteuse. Pourtant sa vidéo sur l’art d’être sexy en portant des lunettes, postée le 4 mai 2011, a déjà été vue par près de deux millions et demi de personnes. Pendant un peu plus de six minutes, l’Américaine de 25 ans applique soigneusement son maquillage face caméra. Contrairement à la majorité des beauty gurus qui pullulent sur la Toile, Michelle ne raconte pas sa vie intime aux 1 640 900 abonnés de sa chaîne YouTube. Ses conseils – principalement délivrés en voix off – restent strictement professionnels, même lorsqu’il s’agit de mettre en musique un copier-coller du look de Lady Gaga dans le clip de Poker Face. Un tuto déjà consulté à ce jour plus de 32 104 081 fois… Pour le plus grand bonheur de toutes les marques de maquillage et d’accessoires citées nommément – mieux encore, un site Internet de référence apparaît toujours en bas de l’écran – et mises en scène à leur avantage.

Démarrée comme un passe-temps, cette activité est devenue suffisamment lucrative pour cette ancienne étudiante en arts plastiques qui vit désormais des revenus que lui verse YouTube – les posts réguliers de Michelle séduisent les annonceurs car ils attirent du monde- mais aussi de son nouveau job  » d’égérie online  » pour Lancôme. Depuis 2010, la jeune femme qui reconnaît être aujourd’hui , expérience aidant,  » plus diplomate dans ses critiques « , réalise en moyenne une fois par mois une vidéo  » sponsorisée  » par la marque française pour laquelle elle est aussi consultante et a même signé une palette de maquillage à son nom, exclusivement vendue aux États-Unis.

 » Notre partenariat est très cool, assure-t-elle. Je peux choisir librement le sujet et les produits que l’on m’envoie. Je fais l’édition du film moi-même, mais Lancôme a un droit de regard avant qu’il soit mis en ligne. En ce qui concerne mes autres vidéos, Lancôme ne contrôle en rien ce que je fais dedans avec ses maquillages.  » Une union sacrée clairement affichée dans les tutos concédés, comme le requiert la Federal Trade Commission aux États-Unis, qui ne l’empêche pas de régulièrement mettre en avant dans ses autres petits opus les chouchous de la blogosphère (Urban Decay, Nars, M.A.C. ou Make Up For Ever, entre autres…), histoire de garder une crédibilité aussi intacte que possible auprès de ses milliers de fans.

Lancôme n’est d’ailleurs pas la seule marque à s’être attachée les services d’une star du Web. Chanel demande depuis l’an dernier à Lisa Eldridge, maquilleuse de renommée internationale – la Britannique, qui poste régulièrement des tutos sur YouTube depuis 2008, compte parmi ses  » famous clients  » des filles comme Cameron Diaz, Kate Moss ou Cate Blanchett – d’imaginer des looks portables à partir de ses palettes saisonnières pour son site ludique, Chanel Make-Up Confidential. Alors qu’Emily Weiss, la blogueuse d’Into The Gloss, signe trois  » how to’s  » sur le canal YouTube de Dior, Estée Lauder vient de s’adjoindre les services de consultante d’Emily Schuman du très influent site de mode et de beauté Cupcakes and Cashmere. Depuis le mois de février dernier, on peut voir sur le site esteelauder.com la trendsetteuse se dessiner un oeil smoky ou opter pour un maquillage  » service minimum  » pour jouer aux cartes ou aux dominos avec ses copines. L’objectif pour les labels partenaires restant toujours le même : créer de la proximité avec leurs consommatrices qui se sont liées d’amitié virtuelle avec ces filles stylées au point de suivre leurs conseils à la lettre.

En marge de ces leçons de maquillage somme toute bien utiles si l’on ne sait pas trop comment jouer du pinceau à lèvres ou à blush, d’autres vidéos, beaucoup plus polémiques celles-là, font buzzer la Toile. Les  » hauleuses  » comme on les appelle s’y contentent principalement de déballer leurs achats – des fringues et du maquillage uniquement -, assises sur le lit de leur chambre à coucher devant leurs centaines de milliers d’abonnés à leur chaîne YouTube. La plus célèbre d’entre elles, Blair Fowler, 17 ans, peut vous entretenir – à grand renfort de  » awesome « , de  » super great  » et de  » you guys  » – pendant près d’un quart de d’heure de sa poussée de fièvre de la veille ou de son crash de carte bancaire chez Forever 21. Les observateurs estiment à plus de 250 000 le nombre d’adolescentes, américaines en grande majorité, qui, en se cachant derrière des noms de pornstars comme ChanelBlueSatin, DulceCandy87 ou JuicyStar07, exhibent ainsi leur obsession pour le shopping. Un hobby qui dans le cas de Blair et de sa soeur Elle s’avère tellement lucratif – grâce à nouveau aux revenus publicitaires versés par YouTube – que les deux filles ont quitté l’école pour s’installer à Los Angeles où elles disposent désormais de leur agent et même des services d’une attachée de presse.

Si n’importe qui peut donc, en théorie, s’offrir son quart d’heure de gloire – ou de honte, c’est selon -, seules les plus sérieuses dans leur démarche atteindront le nombre à au moins quatre chiffres de  » viewers  » suffisant pour forcer le respect. Derrière leur succès : des heures de boulot.  » Pour quelques minutes de tuto de base, je suis filmée par mon caméraman pendant une heure environ et je compte au moins une journée d’édition, détaille Michelle Phan. Un post comme celui de Lady Gaga m’a demandé trois jours de travail. Dès que je le peux, j’upgrade aussi mon matériel pour améliorer la qualité de mes vidéos. La plupart des autres filles se contentent de se filmer en gros plan et de balancer un tuto brut de 20 minutes sur la Toile. Moi, j’aime raconter une histoire. Et couper les longueurs pour aller droit au but.  » Prudente face à l’explosion de la concurrence, Michelle Phan a choisi d’étoffer son offre en proposant aussi des conseils de mode sur son nouveau site Internet.  » En bloggant à nouveau, je reviens à mes racines, conclut-elle. Ce n’est pas parce que le vlogging est à la mode maintenant qu’il n’y aura plus que cela à l’avenir. Les gens ne se contentent pas de regarder des films, ils ont encore envie de lire.  » Un peu plus que de simples infos produits, on l’espère.

Do you speak beauty web ?

Tutorial : généralement raccourci en  » tuto « , en français, il s’agit ici d’un cours de maquillage en images – des films ou une successoin de photos – commentées et postées sur le Net.

Vlog : la version vidéo du blog, autrement dit, une beauty addict qui vous dit tout ce qui lui passe par la tête face caméra.

Youtoubeuse : une fillet possédant sa propre chaîne YouTube sur laquelle elle poste des vidéos d’elle en train de se maquiller, de déballer ses achats ou d’essayer différentes combinaisons de vêtements. Généralement en parlant tout le temps.

Hauling : de l’anglais haul qui signifie butin. S’applique aux vidéos où des adolescentes les hauleuses, déballent leurs achats – de cosmétiques ou de vêtements – comme elles le feraient devant leurs copines de classe.

Beauty Guru : une passionnée qui se filme en train de donner des conseils de mode ou de beauté.

Trol : celui ou celle qui participe sur Internet à un débat uniquement pour polémiquer.

Post : info (texte, photo, vidéo…) publiée sur un site Iinternet, sur YouTube ou sur un blog.

Viewer : toute personne qui regarde une vidéo sur le Net.

En français dans le texte aussi

Si le phénomène reste majoritairement anglo-saxon, quelques Françaises sortent du lot sans pour autant atteindre les scores de Michelle Phan ou de Tanya Burr dont les conseils filmés – on la voit notamment reproduire le maquillage des campagnes Burberry – attirent également plus de 2 millions de viewers. Sur Mon Blog de Fille, Hélène Legastelois passe en revue ses produits préférés mais conçoivent aussi des tutos de look inspirés de personnages de séries, comme Vampire Diaries. Surfant sur le buzz du film The Hunger Games, son post du 17 mars dernier détaillant le maquillage de la  » méchante « , Effie Trinket, a été vu des milliers de fois en quelques jours. La demoiselle qui commence toujours ses vidéos en accueillant les filles et les garçons réalise également des vidéos  » Street Wear  » avec Raphael Baudry du blog L’Avis Inutile, l’un des rares mecs à poster aussi des tutos beauté. Installée à Londres, Lilly du blog Make-Up and the City propose entre autres des tutos (qui attirent entre 4 000 et 5 000 viewers) inspirés des looks de défilés et des bons plans Web. Quant à la YouTubeuse Julielovesmac07, certains de ses hauls ou sa leçon de maquillage spécial Saint-Valentin approchent les 200 000 clics, ce qui fait d’elle la star incontestée des beauty gurus françaises.

PHOTOS SDP

CAROLE WILMET

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