Le parfum J’adore de Dior a 10 ans

La parfumerie, c’est comme le cinéma: beaucoup d’acteurs, peu de césars. J’adore de Dior, 10 ans cette année, a visé, lui, l’oscar. Et l’a gagné à l’unanimité sans que jamais son succès fléchisse. Décryptage d’une réussite planétaire.

Dix ans? Seulement? Il est de ces choses que l’on croit avoir toujours connues, dont on pense avoir toujours été accompagné. Ainsi de J’adore, le célébrissime parfum de Dior dont la maison fête actuellement le dixième anniversaire.

Premier au classement des parfums les plus vendus (ou deuxième, selon les années, en alternance avec le N°5 de Chanel et Angel de Thierry Mugler), il est devenu un incontournable classique. Nul n’ignore, sauf à être sourd et aveugle, la rime en or et les films qui habitent nos écrans chaque saison de fête depuis 2000; et personne ne méconnaît, sauf à être anosmique, la fragrance que tant de femmes ont adoptée avec ferveur.

Pourtant, il y a onze ans, le flacon au long cou ne figurait sur aucune coiffeuse; le jus de roses, orchidées et prunes confites ne fondait sur aucune peau; quant à Charlize Theron, ex-mannequin, elle n’était guère qu’une actrice débutante parmi tant d’autres à Hollywood. J’adore? Encore inconnu alors.

Un parfum de rupture

Disons 1996, moment où les équipes de Dior commencent à plancher: le best-seller de l’époque, véritable phénomène de société tant il s’en vend de Paris à Boston, en passant par Rio, s’appelle cK One. Un jus américain de Calvin Klein (une première sur le territoire français, qui ne consomme habituellement que national), petite senteur d’eau de mer touillée d’un peu d’agrumes et d’ananas. Le bouchon est en aluminium, et le flacon-bouteille pharmaceutique aussi éloigné que possible des codes du luxe.

Enfin, la pub fait figurer en noir et blanc une dizaine de jeunes gens de toutes couleurs et néanmoins fort blêmes. Vêtus d’approximatifs vêtements mous du genou, déchirés au cou, tire-bouchonnés sur le nombril, ainsi qu’il sied à la génération postgrunge, ils arborent l’air las de grands blasés de la vie. Garçons et filles (le parfum se veut mixte) masculines/féminins mêlés dans un savant dosage oecuménique et glacé. Décennie sida fin du monde.

C’est peu dire que J’adore rompt avec cette neurasthénie. Sabina Belli, alors directrice internationale des produits parfumants chez Dior, n’a qu’un mot à la bouche pour définir son futur produit: la diorness. Concept un peu flou résumant tout à la fois l’esprit de la maison créée cinquante ans plus tôt, l’attitude d’une femme séductrice et sophistiquée, le goût du plaisir et du presque tape-à-l’oeil. Son produit sera donc doré sur tranche, déculpabilisant toutes celles qui en ont marre de la sinistrose ambiante. Avec pour but déclaré sans ambages ni complexes par sa conceptrice de « figurer très vite dans les trois meilleures ventes ».

La fragrance: un cas d’école

La senteur? Confiée à la jeune Calice Becker, elle additionne les essences rares comme autant de manifestations de richesse. Il y a de la rose -pas qu’un peu- des fleurs de champaca (odeur miellée, proche de celle du magnolia), de la tubéreuse, du jasmin, de l’ilang-ilang, des orchidées…

De la prune, aussi, un peu alcoolisée, plus une larme d’abricot, augurant ainsi la vague fleurie fruitée qui envahira le marché à sa suite. Entêtante, mémorisable, consensuelle, moderne, et ouvrant sur le nouveau millénaire, « comme les bouquets de fleurs qui accompagnent toujours les rites de passage féminins, tels que le mariage », révèle alors Calice Becker.

Un détail: le parfumeur a travaillé en collaboration étroite avec l’Américaine Ann Gottlieb, experte ès parfums ayant précédemment élaboré… cK One.

Aujourd’hui, c’est François Demachy qui est aux commandes. Parfumeur in house de Dior, que pense-t-il du fleuron de la maison, lui qui, à l’époque de la sortie, travaillait encore chez Chanel? « Comme tous mes confrères, j’ai étudié de près cette formule. Je l’ai décortiquée, retournée dans tous les sens et, comme tous les autres, admirée, jalousée.

Lorsqu’on la sent, on ne s’y trompe pas, et surtout pas les consommatrices, qui le reconnaissent infailliblement lors des tests à l’aveugle. C’est un parfum évident, mais pas simple, qui harmonise la parfumerie moderne et ancienne en mariant des produits de synthèse très pointus (telles des aldéhydes aux notes de muguet) à des essences naturelles classiques. Lorsque j’ai intégré l’entreprise, j’ai essayé de voir ce que cela donnait avec encore plus d’absolus de fleurs ou en poussant les citrus. Résultat? Les versions J’adore l’Eau et J’adore l’Absolu. »

Le flacon: une référence

Le flacon est l’oeuvre d’Hervé Van der Straeten. A 34 ans, cet ancien élève des beaux-arts s’est fait connaître par les bijoux qu’il crée pour la haute couture.

La maison Dior, pour qui il a déjà travaillé, ne lui est donc pas étrangère, ni la direction artistique, qui lui tiendra fermement le crayon: « Lorsque nous avons commencé à réfléchir au flacon, explique Sabina Belli, nous sommes partis sur des volumes baroques pour revenir finalement à la simplicité de l’amphore, un des emblèmes de la marque.

 » Miss Dior, premier extrait daté 1947, était déjà en effet enfermé dans une telle forme. Van der Straeten, lui, raconte qu’il avait dans l’idée « une goutte très épurée et beaucoup d’or. L’or symbolise l’éternité, la chaleur, le soleil et la sensualité ».

La différence se joue sur le long col cerclé d’or rappelant les bijoux des « femmes girafes » de Birmanie ou les colliers massaï, très prisés par Galliano. Et, plus subtil, sur l’absence d’étiquette. Sabina Belli: « La disparition du nom sur le flacon entretient l’intimité que nous avons voulue entre la femme et son parfum.

Elle est seule à savoir. » C’est donc, en cherchant bien, sous le cabochon loupe du bouchon qu’on le découvre enfin en lettres dansantes: J’adore.

Le nom: une idée géniale

Car le troisième élément du succès, c’est évidemment ce nom, proprement remarquable, « qui peut se dire dans toutes langues et dans lequel on entend or et Dior », détaille Sabine Belli, reprenant la phrase de Jean Cocteau: « Dior, dont le nom magique combine Dieu et or. » Ce presque rien, ce souffle, ces deux petites lettres, apporte exactement ce qu’il faut pour briller, faire rêver, se faire désirer.

J’adore, cri du coeur ou murmure, chuchotement ou applaudissement. John Galliano raconte qu’à son arrivée en France, très timide et parlant très mal le français, il ne cessait de répéter comme l’une des rares formules dont il était sûr: « J’adore, j’adooore! » « C’est en effet aussi une exclamation, très parisienne, employée dans les milieux de la mode, décrypte pour sa part Robert Ebguy, sémiologue au Centre de communication avancée de Havas. Mais il s’agit surtout d’une injonction qui ne pose pas de question. Elément décisif, ce nom est positif, complètement optimiste! Aucune distance critique n’est possible, ni aucune autre interprétation que celle de l’enthousiasme. »

Reste la pub. Depuis 2005, puisque chez Dior on aime (comme ailleurs) les stars, c’est la tout juste oscarisée Charlize Theron qui est transfigurée en déesse sculpturale (dé)vêtue d’un drap de satin doré et parcourue d’extase, ou arrachant toutes ses parures, sauf son invisible parfum. Carmen Kass, mannequin aux cheveux de lin plongé dans une piscine d’or liquide, a pareillement marqué les esprits. « On pense à Midas, au bain qui purifie », continue Robert Ebguy. Et c’est bien du côté du religieux qu’il faut chercher les signes, comme un baptême, une initiation… Shooté par Jean-Baptiste Mondino, le film s’accompagnait d’ailleurs d’un irrésistible appel au péché: « Osez! Est-ce un mal de succomber? » Visiblement: non.

Maïté Turonnet, Lexpress Styles

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