Le succès des produits de beauté en pharmacie, question de confiance

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En dépit de la crise, les ventes de cosmétiques en pharmacie sont en pleine croissance. Ce circuit de distribution de proximité inspire plus que jamais la confiance. Explications.

Son nom ne vous dira peut-être pas grand-chose. Pourtant, les deux jeunes patrons d’Evocure n’ont eu aucun mal à rassembler 126 100 euros via une opération de crowdfunding pour soutenir le développement de leur marque de cosmétiques au packaging clinique, un parti pris minimaliste qui n’a rien d’anodin. Lancé fin 2013 dans trois pharmacies bruxelloises, avec alors quatre préparations au catalogue, ce nouvel acteur du secteur, présent aujourd’hui dans une bonne cinquantaine de points de vente en Belgique et au Luxembourg, n’a pas non plus choisi ce réseau par hasard. Dans un marché de la beauté déjà bien mûr, qui a vu ces dernières années la crise engourdir ses performances, les officines affichent une jolie croissance.

« En 2013, selon les chiffres IMS (NDLR : cet organisme indépendant travaille avec un panel de 2 200 pharmacies belges, les données fournies sont ensuite extrapolées à l’ensemble du pays), les ventes d’articles dermocosmétiques, tous labels confondus, ont crû de 6,6 % contre 4,5 % en 2014, détaille Roland De Cocq, general manager Benelux de la branche Cosmétique Active du groupe L’Oréal. Une légère baisse que l’on peut attribuer à une demande moins forte en crèmes solaires l’an dernier. En revanche, si l’on se focalise sur le segment du soin visage, qui est le coeur de notre business, on a pu mesurer une augmentation de 5,5 % en 2013 et de 5,8 % en 2014. Nous sommes donc bel et bien dans un trend favorable. »

Plus de neutralité

Cette réussite financière qui fait des envieux, plusieurs facteurs concordants permettent de l’expliquer. L’évolution positive des besoins en matière de santé et d’hygiène – nous vivons plus longtemps, nous partons plus souvent en vacances, nous avons plus de loisirs… – rime aussi avec des constats moins plaisants – un environnement de plus en plus agressif et les risques liés à la pollution, aux allergies et au stress – qui tirent vers le haut le marché de la cosmétique dans son ensemble. « Mais nous sommes surtout face à un circuit de distribution synonyme de confiance et de proximité, poursuit Roland De Cocq. Où que vous viviez en Belgique, il y a une pharmacie près de chez vous où vous pourrez recevoir gratuitement un premier conseil santé. Le consommateur veut de plus en plus comprendre ce qu’on lui vend, il cherche des informations mais il a aussi besoin d’aide pour faire le tri dans tout ce qu’il lit. De faire valider son choix. En cela, le pharmacien reste un véritable référant. D’autant plus que la dermocosmétique n’est pour lui qu’une source de revenu complémentaire. Pas son business principal. »

Protégé par son comptoir et sa blouse blanche, il donne en tout cas l’image d’un conseiller plus neutre, voire même plus détaché – surtout lorsqu’il s’agit de recommander une crème antirides – que le personnel de parfumeries parfois trop prompt à délivrer sans recul le discours marketing de la promo du mois. « A la différence de la France où les pharmaciens sont depuis de nombreuses années déjà beaucoup plus proactifs dans le domaine, les praticiens belges « vendent » moins de produits qu’on ne leur en achète, souligne Marc Espagne, directeur général de Nuxe Belgique. S’ils le souhaitaient, ils pourraient convaincre davantage de clients. Pour vous donner une petite idée, une étude que nous avons réalisée en interne révèle que là où un bon 80 % des consommateurs en France reconnaissent faire une partie de leur shopping beauté en pharmacie, en Belgique, le chiffre n’est que de 62 %. Le potentiel de croissance est donc énorme. Tout le monde pousse un jour la porte d’un de ces établissements de quartier, c’est quasiment obligatoire. Mais les articles dédiés à l’esthétique ne sont pas prescrits : s’il n’y a pas de présentoirs, si personne ne vous en parle ou ne vous donne des échantillons, il y a peu de chance que vous passiez à l’acte. »

De nouveaux venus

Davantage assumée par nos voisins français, notamment grâce à la multiplication des parapharmacies encore très peu nombreuses chez nous, une petite trentaine au bas mot, cette posture plus mercantile explique en partie l’arrivée en officine ces dernières années de marques plus glamour comme Lierac, Nuxe, Caudalie ou Darphin, entre autres. Créées en France en réponse à une demande des professionnels du médicament et positionnées davantage sur l’axe beauté que santé au sens strict, elles ont eu moins de mal à se faire une place et un nom. D’autant que les acteurs de ce type y restent encore en nombre raisonnable par rapport aux linéaires déjà bien encombrés des mastodontes de la parfumerie. Loin de phagocyter les ventes des spécialistes plus traditionnels de la dermocosmétique, ces nouvelles gammes, en dopant l’offre globale, rendraient ce marché dans son ensemble plus attractif. « D’une cosmétique fortement orientée dermato car prescrite par les professionnels de la santé, nous avons fait bouger les lignes en développant des produits efficaces mais aussi très agréables à utiliser », détaille Marc Espagne. « On a un peu tendance à l’oublier, mais les cosmétiques tels qu’on les connaît aujourd’hui, dans toute leur diversité, sont nés en pharmacie », renchérit Roland De Cocq. Des labels comme Vichy notamment mais aussi Mixa ou Helena Rubinstein – respectivement présents en grande distribution et en parfumerie sélective – ont vu le jour dans des officines. « Au début du siècle dernier, quand ils sont apparus, cet univers était réservé à quelques happy few, poursuit Roland De Cocq. Les supermarchés n’existaient pas ! C’est chez le pharmacien que l’on pouvait acheter sa petite crème. Le recours dès l’origine à ce circuit populaire a permis de crédibiliser tout un marché. »

Autre explication de ce succès, à coup sûr non négligeable en temps de crise : les prix concurrentiels pratiqués par ceux ayant choisi d’être distribués de cette manière. Un constat encore plus flagrant pour les sociétés qui, tant dans leur communication que dans le type de soins proposés, auraient tout aussi bien pu se retrouver à côté de Clarins ou Clinique dans les rayonnages de Planet Parfum ou d’Ici Paris XL. « Notre prix moyen tourne autour des 24 euros, note Marc Espagne. Et nous ne dépassons pas les 50 euros pour le plus cher, un soin anti-âge, là où, en parfumerie, cela peut grimper jusqu’à plus de 100 euros pour une offre similaire. Dès le départ, nous avons misé sur le plaisir et la sensorialité. Il y a plus de vingt-cinq ans maintenant, Nuxe a osé lancer l’Huile Prodigieuse, aux antipodes des cosmétiques proposés en officines et ce en dépit d’un certain scepticisme. Tout le monde, depuis, nous a suivis. Nous avons véritablement créé un segment du marché. C’est devenu et c’est encore toujours notre best-seller. Notre bataille, c’est l’anti-âge, un secteur sur lequel nous sommes déjà numéro un en France. »

Une sélection plus large

C’est d’ailleurs sur le terrain du soin visage en général que se profilent la plupart des nouveaux intervenants, conscients que s’il y a une place à prendre, c’est bien là qu’elle se situe. Pour séduire ces experts peut-être un peu réticents à délivrer des conseils en matière de ride du lion ou de pattes d’oie, les fondateurs d’Evocure ont choisi de se positionner à la frontière entre le glam et le médical. « Vendre des cosmétiques, ce n’est pas a priori la tasse de thé du pharmacien, détaille Bernard Van Acker, l’un des deux jeunes chefs d’entreprise. Nous ne basons pas notre communication sur des ingrédients exotiques ou fantaisistes. Nos produits sont tous fortement dosés en principes actifs dont l’efficacité est connue et reconnue par les professionnels de la santé. Tout est indiqué, y compris la concentration, sur nos emballages. De par sa formation et ses connaissances scientifiques, le praticien sait exactement ce qu’il a en main. » Ce n’est pas un hasard non plus si la toute jeune marque belge a choisi d’être présente comme La Roche-Posay ou Vichy par exemple, chez les principaux grossistes qui livrent les officines plusieurs fois par jour.

« Le pharmacien a la culture du médicament, pointe Roland De Cocq. Il veut potentiellement tout avoir à disposition pour ses clients, ce qui est plus difficile pour lui évidemment s’il veut proposer certains articles un peu plus premium qui exigent qu’il fasse du stock, risquant peut-être de ne pas pouvoir écouler. » Jugée incompatible avec les valeurs d’accessibilité pour tous de ce secteur, la sélectivité qui peut parfois exister en parfumerie où des griffes choisissent de n’être présentes que dans certains points de vente n’est donc pas du tout de mise ici.  » Quand un pharmacien hésite entre Nuxe et l’un de nos principaux concurrents, j’ai même plutôt tendance à lui conseiller de prendre les deux, sourit Marc Espagne. Les gens aujourd’hui sont de toute façon versatiles et achètent dans les divers circuits. Plus l’offre est large, plus il y a de choix. Et ce dernier est profitable à tous. » En matière d’anti-âge surtout, face à l’accroissement de l’espérance de vie, les demandes en produits jusqu’ici jugés non essentiels comme les soins visage à vocation purement esthétique risquent à coup sûr d’augmenter. Et le (bon) conseil, lui, vaudra de l’or.

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