Le retour des barbiers: pour gentlemen, hipsters, cow boys, qui veulent rester mâles

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Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Les barber shops ouvrent désormais aux quatre coins du pays. Ces enseignes à la décoration vintage sont le nouveau Q.G. des mâles urbains.

Le retour des barbiers: pour gentlemen, hipsters, cow boys, qui veulent rester mâles
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A Bruxelles, le quartier du Sablon abrite la dernière adresse où il fait bon être vu. Un récent bar à gin ? Une cantine à burger ? Nullement. Pour une fois, le buzz ne se mange pas. La nouvelle enseigne du moment se nomme Bayer & Bayer. On la repère de loin grâce à la présence d’un poteau rotatif marqué de bandes en spirales bleu, blanc et rouge. Pour qui connaît la culture anglo-saxonne, le signe ne trompe pas : c’est bel et bien un barbier qui s’est établi ici. De fait, le  » barber pole », en français le « poteau de barbier », est l’emblème de la corporation de ceux qui manient le coupe-chou et le blaireau. Cette signalétique terriblement photogénique – on se croirait dans un vieux film – remonte au Moyen Age. A l’époque, la profession était amenée à se servir autrement de ses lames. Elle pratiquait « des saignées, de petites opérations de chirurgie, voire même l’arrachage de dents », comme le rappelle Wikipédia. Pour se faciliter la tâche, les pros de la barbe tendaient des bâtons de couleur bleue à leurs clients qui les serraient fort afin de rendre leurs veines saillantes. Ces mêmes bâtons servaient à faire sécher les bandages encore inutilisés ainsi que ceux rendus vermillon par le sang. Avec le temps, cette composition à la fois bleue – la couleur du bâton -, rouge – le sang -, et blanche – le bandage immaculé – s’est stylisée pour devenir un signe distinctif.

Bonne nouvelle, chez Bayer & Bayer, le sang ne coule plus. Ce barber shop qui crée aujourd’hui l’événement relève au contraire de la culture  » twee », du nom de cette esthétique à la fois doucereuse et vintage que l’on retrouve dans les longs-métrages de Wes Anderson. L’adresse est résolument un lieu à l’usage des gentlemans, quel que soit leur âge. Pour cause, se faire couper les cheveux ou se faire raser s’apparente ici à une parenthèse enchantée volée à un emploi du temps frénétique. Du cadre aux soins prodigués, tout est minutieusement calibré.

Le retour des barbiers: pour gentlemen, hipsters, cow boys, qui veulent rester mâles
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Le décor ? Trois pièces en enfilade joliment léchées. La première décline une vitrine en phase avec ce quartier traditionnellement occupé par les antiquaires, un bar à whiskys ainsi qu’une série d’étagères alignant des produits de marque au look d’antan – la griffe espagnole Floïd, Baxter of California, l’italien « since 1948 » Proraso, ou encore les accessoires de rasage allemands Mühle. La seconde, ponctuée de banquettes en bois et de murs cernés de vert, fait place aux portraits de la série The Dirty Fifty du photographe Rudy Lamboray. Les visages en noir et blanc de Jérémie Renier, Benoît Poelvoorde et Wim Willaert indiquent au candidat à la coupe de cheveux une nouvelle façon d’être un homme. Enfin, la dernière pièce, avec ses briques nues, affiche un petit côté brut de décoffrage renforcé par un éloquent dessin mural reprenant le buste de la statue de la corporation des barbiers-chirurgiens du Petit Sablon tout proche. Le tout traversé de touches rétro – d’authentiques fauteuils Belmont des années 50 avec, pour le clin d’oeil, des cendriers intégrés – et de notes humoristiques – ainsi du panneau « Travaille dur et sois poli avec les gens ».

Quid du rasage qui attire des curieux des quatre coins de la capitale ? Chez Bayer & Bayer, il prend la forme d’un véritable rituel décomposé en une dizaine d’étapes différentes. Lotion pré-rasage, premier savonnage au blaireau, premier rasage au coupe-chou dans le sens du poil, application d’une serviette chaude, second rasage à contre-sens du poil, talc, pierre d’alun, vaporisation d’after-shave au moyen d’un flacon à poire… Rarement l’équation masculine de la barbe – 100 poils au cm2 poussant à raison de 0,04 mm par jour – n’aura trouvé de réponse aussi complète. Sans parler du petit coup de ciseau sur les sourcils en guise de final touch.

La fin d’une souffrance

Qu’est-ce qui justifie l’apparition d’une telle adresse ? Pour l’un des deux associés, Nicolas Bayer – qui a imaginé l’endroit avec sa belle-soeur, Olympia Bayer -, la réponse ne fait pas un pli : « A partir des années 80, les salons pour hommes ont commencé à disparaître. Ces messieurs se sont féminisés. Ils faisaient des minivagues et cherchaient des coiffures à la Don Johnson qu’ils ne trouvaient que dans les enseignes mixtes de type Dessange. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, ils en reviennent à des codes masculins que plus personne n’est à même de leur assurer. A l’heure actuelle, aller chez le coupe-tif pour un mec, c’est une souffrance. Il passe sa tête dans l’encadrement de la porte et n’espère qu’une chose : qu’on puisse le coiffer le plus vite possible. C’est une vraie humiliation, d’autant plus que cette opération qui coûte aux environs de 20 euros n’est pas rentable pour les professionnels qui la pratiquent. Elle est considérée comme une sorte de service à la clientèle dont ils s’acquittent en laissant un stagiaire se faire la main. »

Bref, la mort du salon pour hommes a débouché sur un calvaire. Un fait d’autant plus regrettable que la coupe au masculin requiert une fine expertise, le résultat se jouant au millimètre. Sans parler du rasage, exercice périlleux qui nécessite de s’entraîner sur un ballon gonflable. Nicolas Bayer poursuit : « C’est ce vide qui nous a menés à lancer Bayer & Bayer. L’idée d’un endroit où les gars se sentent choyés. Où eux aussi peuvent se dire « parce que je le vaux bien ». On prend son temps, on boit un bon café, on feuillette une revue et, surtout, on n’est pas obligé de se farcir les habituels commérages sur les dernières papillotes à la mode. Et puis, revanche des revanches, ici, c’est la femme qui attend son mari. »

Au nez et à la barbe

Près de cent ans après que le pharmacien allemand Paul Beiersdorf ait imaginé la crème de soin Nivea pour la peau, le raffinement « twee » n’est pas le seul facteur propice à l’explosion des néo-salons de barbier. Cela fait un moment que les bureaux de style et les magazines ont mis en lumière l’avènement des « genders ». Pour rappel, l’ambition du « gendering » est de s’afficher très masculin en « revêtant à nouveau les attributs classiques de la virilité ». Rasage à la lame et au blaireau ou tatouages, le « gender » est une sorte de cow-boy Marlboro qui a décidé de la ramener. Son attitude est pointée par Pascal Monfort, sociologue de la mode.

Celui qui a ouvert un bar de foot éphémère durant la dernière Coupe du monde mentionnait récemment dans Les Inrockuptibles (1) « un retour à une masculinité classique, presque cliché, qui se permet tout ce qui aurait été considéré comme beauf il y a quelques années ». Ajoutant même : « Le mâle urbain veut sortir de l’ultraraffinement consumériste métrosexuel et n’est plus complexé par le fait de vouloir boire des bières ou rouler des mécaniques. »

Précisons que ce dernier trouve son bonheur dans des barber shops très différents de Bayer & Bayer. L’esthétique déployée y est plutôt « Harley », voire carrément « saloon », et les officiants en tablier blanc et casquette anglaise sont tatoués des pieds à la tête.

Le retour des barbiers: pour gentlemen, hipsters, cow boys, qui veulent rester mâles
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Le modèle absolu en la matière est le salon Schorem à Rotterdam. Signée par Leen and Bertus, cette enseigne est considérée par beaucoup comme le  » meilleur barber shop » au monde. Littéralement pris d’assaut par la clientèle, pas seulement hipster, l’endroit s’est attiré les faveurs de ces messieurs en raison de son esthétisme old school des années 20-30 et de l’artisanat capillaire qui y est défendu bec et ongles. On raconte que certains clients peuvent y patienter plus de six heures avant de se faire couper les cheveux ou raser de près. Le secret ? Les deux patrons barbus le répètent à l’envi : « Proposer un lieu qui réunit les hommes en temps de crise, une recette qui a fait ses preuves dans les années 30… mais également fournir des rites et une atmosphère permettant aux mecs de rester des mâles quand les repères vacillent. »

(1) Classe Prolétaire, Comment les nouveaux loubards donnent une leçon de mode aux bobos , par Alice Pfeiffer, Les Inrockuptibles du 4 mars 2015.

Les bonnes adresses en Belgique

Barber Shop Francis. 97, rue de Namur, à 1400 Nivelles. Tél. : 067 84 10 80.

Barber Shop Pietro De Pascalis. 5/G, rue d’Acoz, à 6120 Nalinnes. Tél. : 071 22 11 03. www.barber-shop.be

Bayer & Bayer. 35, rue Joseph Stevens, à 1000 Bruxelles. Tél. : 02 502 04 99. www.bayerbayer.be

Dim’s Barbershop. 190, chaussée de Bruxelles, à 1410 Waterloo. Tél. : 02 354 15 96.

Fred’s Barbershop. 2, rue de la Triperie, à 7500 Tournai. Tél. : 0496 81 23 98. http://fredsbarbershop.be

Rudy’s Barber Shop, 186, chaussée du Roi Baudouin, à 7030 Saint-Symphorien. Tél. : 065 724 220. www.rudysbarbershop.be

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