Parfums d’automne

Odeurs de laine et de fumées, d’épices et de miel, feuilles rousses en tapis, maisons au chocolat : les parfums sont la consolation de la saison.

En ville, ça sent la pluie, le zinc et l’asphalte mouillé. Ça sent le préau d’école et l’écorce de marronnier. Le métro, aussi, et le p’tit noir au bar où l’on croise des femmes en trench au long sillage. A la campagne, c’est l’herbe ployée sous les gouttes d’eau, le colchique, le lichen, la verte âpreté de la sève encore vive. Dimanche après-midi, une éclaircie, on sort faire une balade en forêt, les enfants jouent au foot avec les marrons tombés dans la terre molle.

Mousses et bois

La mousse de chêne fut longtemps un élément irréfutable de la parfumerie : à la fois agent fixateur et note de fond. On la cueillait, en ce qui s’appelait encore Yougoslavie, au tronc d’arbres pluriséculaires, mais c’est à Grasse, capitale de toutes les transmutations, qu’on en extrayait l’huile sombre qui fit tant pour le genre en temps qu’oeuvre d’art. (Voir les compositions d’Edmond Roudnitska pour Dior, toutes indissociables de la mousse de chêne : Miss Dior, Diorissimo, Eau sauvage…) Menacé par les normes européennes, par la faute de quelques molécules allergéniques, il est donc urgent de profiter, avant disparition complète, de ses relents hybrides de champignon et d’algue, que quelques-uns se risquent encore à employer. Tom Ford, par exemple, en est fou. Après lui avoir dédié, il y a deux ans, un Moss Breches remarquable, voici qu’il récidive avec un Arabian Wood plus fleuri (gardénia, rose de mai, ilang-ilang) mais pareillement intense. On en trouve aussi dans Fleurs de bois, joli nom imaginé par Miller Harris pour désigner les veloutées volutes que fait le lichen au tronc des vieux arbres ou sur la pierre sans âge.

Inséparable de la mousse, le bois sur lequel elle vit, autant en osmose qu’en parasite, est l’autre indispensable de la saison. Bois mouillé, bois sec, bois en copeaux, en sciure, bois lointain, précieux ou sacré, bois brut… Santal, gaïac ou cèdre que Serge Lutens fut le premier à mettre en avant dans son cultissime Féminité du bois. Dans Angel Liqueur de parfum, de Thierry Mugler, le merisier où a mariné la fragrance pendant huit semaines est celui d’une barrique à cognac. Alcool et tanins mariés au patchouli : le parfum ici tient chaud au corps autant qu’au coeur. Dans Wazamba, de Parfum d’Empire, c’est le cyprès et le santal qui s’enroulent autour de l’encens ; cyprès âcre et terreux, santal roucoulant, odeur à la fois sèche et insidieuse, entêtante, pénétrante… A noter : le talent chaque saison plus affirmé de Marc-Antoine Corticchiato, créateur de la marque et obsessionnel du détail. Quoi d’autre ? So Elixir, d’Yves Rocher, maison peu courue des mondains et qui pourtant consacre bien davantage de moyens que la plupart des griffes de luxe à la qualité de ses essences. Cette nouvelle proposition en est un exemple dans lequel le patchouli et le cèdre racontent des histoires de tourbe et de feuilles en décomposition avec un art de l’équilibre assez rare, grâce à quelques pétales de rose damascène en touche de féminité.

Muscs et fumées

A l’intérieur, entre chien et loup, c’est châle en mohair et pommes au four. Dans le ronflement du poêle, les maisons, l’automne, laissent s’échapper des rais de lumière et d’appétissants arômes. Thé et sympathie, fumée qui pique les yeux. On pense bien sûr à Ambre Narguilé, chef-d’oeuvre de Jean-Claude Ellena pour Hermès, aux accents de tabac hollandais : miel, cannelle, rhum, fève tonka, benjoin, labdanum, foin, musc, vanille… Noël en novembre !

Les notes fumées, jadis indissociables du cuir de Russie imperméabilisé au goudron de bouleau, sont assez rares en parfumerie féminine. Bonne raison pour se féliciter de l’arrivée de la XIIIe Heure, chez Cartier. Créée par Mathilde Laurent, cette essence (mixte, il est vrai) est l’une des treize qui vont progressivement constituer la collection Les Heures de parfum, souhaitée par le célèbre joaillier. Et franchement, au débouché, on est saisi ! Au-delà de la fumée, on sent le charbon, le bois calciné, le quasi boucané des longues combustions. Lambeaux d’essences froides, brumes de cendres, l’huile de bouleau, très présente, s’estompe toutefois assez vite pour laisser place à des notes de cuir patiné, de patchouli et de vanille. On est non plus devant un feu de camp, mais au coin d’une cheminée, confortablement assis dans un fauteuil club. Un cigare ? Idem avec Futur, de Robert Piguet. Imaginé, dit-on, par Germaine Cellier, première femme parfumeur, et déjà auteure dans l’immédiat après-guerre, pour la même maison, de Fracas, à la folle tubéreuse, c’est un coup de fouet qui sent le havane, puis les fleurs.

Mais les senteurs dont on a envie, à l’heure où les ombres se fondent dans l’obscurité, peuvent aussi être enveloppantes et moelleuses. Tenir du pilou pilou, de l’édredon, de la buée d’un bain très chaud. Muscs ! Coumarine ! Iris ! Face à la raréfaction des produits de fond traditionnels (matières animales, mousse de chêne), les muscs de synthèse sont devenus omniprésents : ils assurent au parfum, quelle que soit sa nature, une assise, une colonne vertébrale sans laquelle la formule s’effondrerait. Au-delà de cet usage technique, ils lui apportent aussi beaucoup de douceur, sentent le propre, la joue talquée de vieille dame. On en trouve à ras bord, bien enveloppants et tout blancs, dans Osez-moi !, parfum douillet comme une houppette de cygne signé Chantal Thomass. Bienveillance et séduction, ayez confiance, la dame s’y connaît ! Mais également, en guise de déshabillé de soie, dans Hypnôse Senses, le nouveau bonheur de Lancôme, renouant avec les fondamentaux de la griffe, entre romantisme et érotisme ; ou dans Stella Nude, réinterprétation de la jolie rose anglaise de Stella McCartney, vieillotte et musquée à souhait. Enfin, c’est pour leur facette poudrée qu’ils figurent en mode velouté et sensuel au coeur de Flower by Kenzo Essentielle, dernière version du best-seller du Franco-Japonais. L’iris ? Sa note mate et blanche évoque les draps séchés au vent, la Blédine premier âge, et parfois, puisque pareillement extirpée du sol, la carotte encore terreuse. Il figure au centre du premier jus d’Ida Delam. Obsédée, c’est elle qui le dit, par le N° 5 de Chanel, elle a baptisé son parfum N° 6 et l’affiche comme un libre hommage à l’incunable. L’iris, donc, avec la violette et la myrrhe, y est dans sa plus belle eau, froid, sourd et vraiment chic. Fort bien aussi (et même mieux que ça) dans Bois d’iris, de Van Cleef & Arpels, il s’accorde à une note boisée en un tout très « crème lactée pour le corps », propre à évoquer le coton ouaté des peignoirs usés jusqu’à la trame que l’on aime tant.

Et pour ce qui est de la coumarine, extraite de la fève tonka, oscillant entre amande amère, vanille et biscuits écrasés au fond de la poche d’un écolier, il suffit d’aller fouiller chez Guerlain : c’est l’un des ingrédients de la mythique Guerlinade, dont Thierry Wasser, nouvel in house créateur, est désormais dépositaire et que l’on apprécie avec subtilité dans Idylle, le dernier opus de la maison.

Fruits et soleil
Reste que, même si la nuit tombe à 19 heures, l’automne c’est aussi le soleil qui ne veut pas partir encore, qui s’accroche derrière les nuages et qui persiste à revenir après la pluie. Ce sont ses dernières caresses sur la peau, le bleu du ciel qui éclate en contraste fauve sur la terre rubigineuse. Que sent-il donc ce soleil mouillé, à la pureté sans ombre ? Et que sentent-ils les parfums qui racontent l’entre-deux de l’été indien ? Pour nous, les fleurs rousses, aux pétales échevelés, l’ambre bien sûr, posant sa chaleur sur tout ce qu’il touche, et les fruits rouges (voire noirs), fruits d’arrière-saison, baies des bosquets, mûres à confitures, à souvenirs d’enfance.

A défaut de véritables essences de fruits (trop peu chargés d’huile essentielle pour que l’extraction en soit rentable), les parfumeurs utilisent des produits de synthèse. La plupart sont très réalistes, mimant à s’y méprendre framboise, pomme, poire, et même rhubarbe. L’éthyle maltol, lui, est proche du fruit cuit, un peu caramélisé, un peu brûlé au fond du chaudron. A vérifier dans Ricci Ricci, de Nina Ricci, où il est suivi d’une déferlante de fleurs, dont une certaine « belle-de-nuit », à l’éclosion nocturne et au parfum assez envoûtant. Des fruits, il y en a aussi beaucoup dans Parisienne, le Saint Laurent de l’année. Des mûres, pulpeuses et sucrées ; des airelles, un peu acidulées ; beaucoup d’épines aussi, comme celles de la rose ou du roncier ; de la violette, comme dans le Paris de référence, et, touche de modernité, un accord vinyle métallique. Parisienne, Si Lolita, de Lolita Lempicka, l’est aussi, qui vit sous les toits, mi-Mimi Pinson mi-espiègle Lili, accueillant le soleil à pleins flots et les fleurs de balcon que l’on bichonne jusqu’aux premières gelées. Des giroflées, des oeillets de poète, un peu de poivre rose et pas mal de patchouli. A l’automne, elle met un béret sur ses boucles, un foulard à son cou, et c’est la plus belle saison du monde. Un dernier pour la route ? L’Eau ambrée, de Prada, monticule de feuilles mortes dans lequel on saute à pieds joints, bouffée de brouillard et de soleil imbriqués ne laissant sur la peau que la chaleur salée de l’ambre animal. Derniers feux avant l’hiver.

Maïté Turonnet, Lexpress Styles

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