Ecrans, smartphones, tablettes: comment un sommeil « poubelle » transforme nos enfants en zombies

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Hyperconnectivité, cyber-stimulants, addictions : six enfants belges sur dix se couchent avec leur smartphone. Résultat : un sommeil  » poubelle  » qui agit sur eux comme des jetlags à répétition. Décryptage de ces mammifères nocturnes.

La fatigue en classe, nouveau fléau du siècle ? Oui, à en croire les différentes études sur le sommeil, qui montrent à quel point la nuit n’est pas de tout repos pour les écoliers belges. Alors qu’elle devrait idéalement durer neuf heures trente en moyenne pour être réparatrice, on semble loin du compte chez beaucoup : globalement, six jeunes sur dix n’atteignent pas le temps de détente nocturne requis pendant les jours de la semaine, selon l’enquête HBSC (Health Behaviour in School-Aged Children) réalisée en Fédération Wallonie-Bruxelles, en 2014, sur les 5e et 6e primaires et dans le secondaire. Pourtant, dormir est primordial pour la santé, au point que l’on y consacre un tiers de sa vie… Sauf qu’à l’ère 2.0, l’insomnie semble s’ériger en nouveau modèle pour beaucoup de Belges, toutes générations confondues.

30 % des kids manquent de sommeil à l’école primaire, contre 85 % en secondaire.

Or, chez les kids, le sommeil est un facteur essentiel dans le développement physique et mental. C’est pendant qu’ils dorment qu’ont lieu la sécrétion de l’hormone de croissance et la maturation du système nerveux. Mais le temps et la qualité du moment passé au lit, pour les jeunes, chutent drastiquement, au point que l’on constate une perte de vingt minutes par nuit depuis quinze ans. En cause ? L’hyperconnectivité, en passe de révolutionner tous les codes de l’hygiène de vie quotidienne. Chronophage et insidieusement addictive, elle transforme sournoisement beaucoup d’enfants en petits sédentaires avant l’heure, armés pour 70 % d’entre eux de leur propre smartphone et/ou tablette, sur lesquels ils passent en moyenne une heure quinze par jour (sondage Dedicated 2016). Un hobby énergivore qui s’ajoute aux autres temps d’écrans, dénoncés depuis de nombreuses années par les spécialistes. Et les chiffres ont de quoi empêcher de fermer l’oeil : nos rejetons passeraient en moyenne deux heures devant la télévision, couplées à une heure de jeu vidéo (82 % des ados y joueraient une heure par jour, à noter que les filles s’y adonneraient deux fois moins). Au total, cela représenterait quatre heures quotidiennes derrière les écrans.

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Injonctions à réseauter, besoin de se surpasser en jouant en ligne, envie de s’évader devant une série… tout est prétexte à se plonger dans ces pseudo-soupapes dès le retour de l’école. Si elles peuvent réellement faire du bien, elles sont également sources de comportements compulsifs, parfois jusqu’à des heures avancées de la nuit.  » C’est le smartphone qui a marqué le vrai virage. La télé et la console de jeux sont beaucoup plus faciles à surveiller. Idem pour le téléphone fixe, sur lequel des générations d’ados se ruaient après 16 heures, pour rester en lien avec leurs copains qu’ils venaient à peine de quitter. Ce qui révolutionne le contrôle parental, c’est, d’une part, que le téléphone mobile est un objet individuel, et non familial, et d’autre part, qu’ils y ont eux-mêmes un rapport complexe… pas simple d’instaurer des règles si on est soi-même hyperconnecté après le boulot ! « , regrette Diane Drory, psychologue et spécialiste de l’enfance.

Un doudou digital maléfique

D’où la difficulté pour certains d’entre eux à comprendre qu’il y a péril en la demeure.  » Pris par un rythme de travail soutenu et installés dans des habitudes dont ils ne réalisent pas qu’elles sont néfastes, comme le dîner tardif, les adultes banalisent l’heure du coucher différée ou encore l’utilisation des smartphones après le repas. Or, il faut nécessairement discipliner la routine quotidienne en semaine. Les enfants sont débordés ! Entre des horaires scolaires beaucoup trop lourds, des devoirs interminables qu’on leur demande de réaliser à la maison, des week-ends consacrés aux activités et aux sorties, il s’agit de maltraitance. Et le mot est loin d’être exagéré ! « , s’insurge l’experte, atterrée devant les chiffres qui en disent long.

Et de dénoncer des comportements inappropriés, quand on lui rappelle les observations de la dernière enquête SMART.USE en Fédération Wallonie-Bruxelles, datant de 2016. Elle montre notamment que plus de six jeunes sur dix consultent leur smartphone dans les quinze premières minutes après le lever.  » Si on n’éduque pas son enfant à l’utilisation des écrans, télévision comprise, il repoussera sans cesse les limites. C’est aux parents à instaurer des règles claires afin que leur progéniture ne devienne pas une génération zombie en décalage horaire permanent ! « , insiste la psychologue. Selon le sondage Dedicated, un môme sur trois n’aurait jamais reçu d’interdiction parentale. Pas étonnant, dans ce contexte, que 60 % des kids emmènent leur smartphone sous la couette. Conséquence directe : 30 % d’entre eux manquent de sommeil à l’école primaire, contre 85 % en secondaire. Or, la dette de repos est loin d’être anodine chez ces êtres en pleine croissance.  » L’écran devient une sorte de compagnon indéfectible dont on ne se sépare plus, au point de reléguer la peluche fétiche au rang d’objet ringard que l’on troque contre son doudou digital « , déplore Diane Drory. Or, si un nounours apaise et favorise l’endormissement, le smartphone, lui, consume l’énergie du petit, quel que soit son âge.

Ecrans, smartphones, tablettes: comment un sommeil

Clémence Peix-Lavallée, experte scientifique en gestion du stress du sommeil, sophrologue et auteure du récent ouvrage Bien dormir sans médicaments. Enfin, je dors ! (lire par ailleurs), n’y va pas par quatre chemins. Pour elle, le message est clair, le  » junk sleep « , ou sommeil poubelle, entame considérablement le repos dont le cerveau a besoin pour récupérer et fonctionner de façon optimale.  » A mon cabinet, tous les ados se plaignent de piquer du nez en cours, de dormir en classe sans pouvoir lutter. En découlent une baisse de concentration, de mémorisation, des difficultés d’apprentissage, des troubles de l’humeur, une augmentation du risque de dépression, la prise de poids. Sans oublier la susceptibilité à fleur de peau, l’irritabilité et le pessimisme, jusqu’aux idées noires.  » De quoi faire réfléchir avant de saboter ses nuits à coups de présence sur les réseaux sociaux ou de zappette sur la télé.

Des mômes nomophobes

La dernière enquête du HBSC pointe d’ailleurs les conséquences de la fatigue sur le comportement des élèves en termes de troubles de concentration, de l’attention, et de risque plus élevé de décrochage scolaire. Diane Drory, elle, met en garde contre la nomophobie chez les kids, ou la peur d’être séparé de son téléphone mobile… et donc des autres.  » D’où l’importance d’apprendre à nos enfants à déconnecter de temps en temps, à installer de bonnes habitudes. Il est crucial de cesser de faire de cet appareil un objet d’asservissement.  » Car à voir le comportement des jeunes, ils en seraient plus esclaves qu’ils ne le croient : la plupart n’éteignent pas leur smartphone, où qu’ils soient (87,1 %), ni la nuit (81,8 %), l’utilisent quand ils mangent seuls (88,1 %), aux toilettes (82,7 %), au lit (89,4 %), plus longtemps que prévu (88,9 %), en regardant un programme intéressant à la télé (87,8 %)…  » Cela peut altérer la santé mentale. Angoisse ou stress quand ils ne peuvent pas utiliser leur mobile ou, a contrario, une immense satisfaction quand c’est le cas. Certains enfants/ados ont besoin de leurs smartphones pour se sentir bien. Il y a matière à s’inquiéter, encore plus si c’est la nuit. Il faut réapprendre à dormir « , constate Clémence Peix-Lavallée. Amener son enfant à rester maître de son smartphone serait le premier pas d’une consommation raisonnable et raisonnée de l’appareil qui, bien utilisé, peut être un formidable outil. De quoi dormir sur ses deux oreilles, pour lui comme pour ses parents.

Par Aurélia Dejond

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