Enfant: en fait-on trop (ou pas assez)?

Psychologie version kids. © GETTY IMAGES
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Yoga, sophro, pleine conscience… Aujourd’hui, le bien-être des enfants passe aussi par des techniques d’introspection et de lâcher-prise. De formidables vecteurs d’éducation s’ils sont utilisés intelligemment. Et parcimonieusement.

Lundi : piano (les devoirs seront faits à l’étude, juste avant). Mercredi : tennis (prévoir la raquette en partant le matin, pas le temps de repasser à la maison). Samedi : anglais et danse (avec une heure de pause pour un lunch, ouf). Dimanche : mouvements de jeunesse (les grands pourront souffler toute l’après-midi. Les petits ? Euh… ils dormiront bien le soir). Et hop, c’est déjà reparti pour une semaine ! En ce début d’année scolaire qui approche, le planning de nos têtes blondes se remplit à vue d’oeil. Et nombre d’observateurs se demandent si on ne ferait pas mieux de les laisser traînasser un peu et découvrir le monde par eux-mêmes, plutôt que de les submerger d’activités – aussi fondatrices soient-elles -, au point de leur faire friser le burn-out avant même d’avoir décroché leur premier job. D’autant que s’ajoute à la déjà très longue liste des occupations habituelles une kyrielle de possibilités liées au bien-être. Sophrologie, pleine conscience et autre microkiné se déclinent désormais en version XXS ; les bouquins dédiés au sujet se bousculent dans les rayons  » Mindfulness  » des librairies ; les médias tartinent sur la thématique et même le cinéma s’en est mêlé, en 2015, avec le dessin animé Vice-Versa, qui a transposé en images les pensées de nos chéris, les illustrant par de sympathiques bonshommes vivant dans leur tête et leur soufflant comment agir.

Mais est-ce là un simple effet de mode ? Pas sûr…  » C’est surtout une prise de conscience des enjeux liés à l’enfance. On pourrait dire la même chose des femmes et du féminisme : en parle-t-on plus parce que c’est dans l’air du temps ? Absolument pas, c’est juste que depuis des millénaires, elles sont rabaissées. On en discute davantage parce que les choses commencent à bouger mais on est encore loin d’un résultat satisfaisant « , nuance l’ostéopathe Emmanuel Piquemal, qui a publié récemment un livre intitulé Développement personnel pour les enfants (1), pensé à l’usage de ces derniers, avec des mots à leur niveau et une structure par chapitres très intuitive.  » Les personnes plus âgées disent souvent qu’à leur époque, toutes ces méthodes n’existaient pas et qu’on vivait mieux. Mais est-ce vraiment le cas ?, se demande de son côté Mandy Rossignol, professeur de neuropsychologie et psychopathologie à l’université de Mons (UMons). En réalité, les mômes d’alors n’étaient pas écoutés. Ils ont géré leurs difficultés émotionnelles comme ils ont pu et sont devenus des adultes stressés qui ont envie de mieux pour leur descendance. Je pense que les petits d’aujourd’hui ne sont pas plus anxieux que ceux d’il y a cinquante ans, mais ils ont la chance d’être entendus.  »

Enfant: en fait-on trop (ou pas assez)?
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Une approche plus ludique

L’évolution de la notion de parentalité dans une situation (géo)politique et un contexte socio-économique peu rassurants explique largement cette poussée de croissance du développement personnel orienté vers les plus jeunes. En 2013, Sandrine Corbiau a lancé, à Bruxelles, Parents-Thèses (2) dans le but de  » rassembler les parents autour de personnes inspirantes en matière d’éducation « . Et ce parce que dans le monde où l’on vit à cent à l’heure, il est parfois difficile pour les papas et mamans de garder le cap. Elle organise donc des conférences, des workshops et, depuis mi-juillet dernier, elle est passée à la vitesse supérieure et partage en ligne son carnet d’adresses de contacts ressources. Elle mettra même sur pied prochainement des sessions laboratoires pour les professionnels du secteur.  » De nos jours, il y a énormément de pression sur les pères et mères, constate-t-elle. La société leur demande d’atteindre la perfection et, bien souvent, ils culpabilisent de ne pas y arriver. Je remarque qu’ils ont besoin d’être rassurés pour prendre le recul nécessaire ou débloquer des situations tendues.  » De ce point de vue, les ateliers de développement personnel semblent nettement plus aisés à aborder que les classiques séances de psy.  » La pleine conscience, par exemple, a une connotation moins stigmatisante, je pense, qu’une psychothérapie au sens propre, confirme Mandy Rossignol. Ça se passe en groupe, des jeux émaillent les séances. Le thérapeute est davantage perçu comme un animateur. Pour certains, être face à un psy qui se penche sur nos pensées les plus intimes peut être anxiogène. L’alternative est donc intéressante car on peut avoir l’impression que c’est moins sérieux, moins contraignant, plus ludique.  »

Mais encore faut-il que le but recherché par les parents soit l’accession de leurs mouflets à la paix intérieure et pas une énième tentative de les rendre plus-que-parfaits… Pour le sociologue Nicolas Marquis, qui s’exprimait il y a quelques mois sur le site spécialisé Psychologies.com, l’enfant serait devenu, de nos jours,  » un capital à faire fructifier, un investissement qu’on n’est pas censé laisser dormir « . Hors de question donc, pour certains géniteurs, de permettre à un gamin de s’ennuyer en espérant qu’en découle son épanouissement : l’épauler dans sa quête de soi impliquerait désormais de lui donner accès à une palette infinie de disciplines. Quitte à lui trouver des pathologies prétextes et à proclamer des troubles de l’attention, un haut potentiel ou des angoisses inexprimées alors que rien ne confirme ce diagnostic…

Parfois aussi, ce sont les adultes qui, souvent malgré eux, projettent leur propre histoire ou leur mal-être sur leurs kids.  » La même question se pose pour la visite chez le psy, relève Mandy Rossignol. Quand je travaillais comme clinicienne, la plupart de mes jeunes patients venaient avec plaisir pour parler. Quelques-uns ne souhaitaient pas être là mais ne remettaient pas en cause leur besoin d’être suivis. Enfin, il m’est arrivé de devoir dire aux parents que leur fils ou leur fille n’avait pas de problème, qu’il était « normal » qu’il s’oppose de temps à autre, qu’il était « normal » qu’il se dispute… Dans ce cas-là, je répondais surtout à leur anxiété, qui se reportait sur l’enfant.  » Et Emmanuel Piquemal d’abonder dans le même sens :  » Ce genre d’approche est utile uniquement quand on commence à avoir des questionnements non résolus et donc à être mal dans sa peau. Nous voyons forcément notre progéniture par rapport à ce que nous sommes et à nos propres souffrances. Oui, on va être plus attentif à certaines choses qu’on a traversées et qu’on ne veut pas qu’ils vivent… Pour savoir si un petit rencontre réellement un obstacle, le mieux est de se fier à des signes concrets qui ne trompent pas : s’il a toujours mal au ventre, revient de l’école en pleurant ou fait pipi au lit malgré son âge, c’est que quelque chose se passe dans sa tête à lui.  »

Enfant: en fait-on trop (ou pas assez)?
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Un dialogue crucial

Une fois ces préalables établis, et si la démarche s’oriente vraiment vers l’apaisement des jeunes en difficulté, reste à utiliser les nouveaux outils de la meilleure manière qui soit, en se rappelant, c’est une condition sine qua non pour transformer l’essai, que le dialogue entre générations est primordial. Inutile de laisser votre gamin pratiquer le yoga ou écouter un CD aux vertus zénifiantes, seul, chaque jour, dans sa chambre, ça ne marchera pas !  » L’un des piliers de l’épanouissement est l’autonomie, car les enfants se construisent aussi en dehors de la relation qu’ils ont avec les grands… Mais en contrepartie, dans mon ouvrage sur le développement personnel, je les invite très régulièrement à parler avec un adulte référent de ce qu’ils lisent et d’exprimer s’ils sont ou non d’accord avec ce qu’on leur propose « , raconte Emmanuel Piquemal. Et cet échange est important dans la mesure où ces activités ne sont pas des solutions miracles. Elles peuvent même parfois aider à vivre avec ses difficultés, plutôt que de les éliminer définitivement…  » Apprendre à méditer, c’est bien. Mais si le petit est en souffrance, c’est aussi insuffisant que de donner du Doliprane au lieu de soigner la carie « , avertissait en janvier dernier la psychanalyste française Catherine Vanier, sur Psychologies.com.

Quant au choix de la discipline, il est crucial, souligne le professeur de l’UMons :  » L’essentiel, pour moi, est d’informer le public sur ce qui est, ou non, une technique efficace, avec une action réelle et non un placebo, et de mettre les bons noms sur des choses. S’assurer de la formation des praticiens à qui l’on s’adresse est également indispensable. La pleine conscience, par exemple, présente l’intérêt majeur d’être validée empiriquement. Concrètement, on va leur apprendre que les émotions sont des mouvements fugaces, qu’ils peuvent appréhender à travers les réponses de leur corps, mais qui ne doivent pas diriger leur comportement.  »

Sandrine Corbiau met, elle, en garde contre la surabondance de possibilités :  » On est dans une société de surconsommation. On veut que nos mômes fassent et aient tout pour être heureux… Mais à force de goûter à toutes les tentations, on finit par ne goûter à rien.  » Gare donc au  » picorage  » de méthodes, travers dans lequel certains seraient susceptibles de tomber tant le sujet est dans l’air du temps et récupéré commercialement.  » J’ai en tête les fameux doudous anti-peur qu’on voit dans le commerce, pointe Mandy Rossignol, ces peluches qui ont pour rôle d’éloigner les craintes. Premièrement, les enfants font parfaitement ça eux-mêmes, par exemple avec leur doudou fétiche. Deuxièmement, je suis contre les techniques qui ne permettent pas d’affronter l’émotion problématique, c’est une sorte d’évitement…  »

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Le développement personnel se présente dès lors comme un bel outil, parmi d’autres, pour aider ces êtres en devenir sur le long chemin qui les mènera à la maturité… Nul doute que ces activités peuvent apporter une corde supplémentaire à leur arc, mais à condition qu’elles soient utilisées à bon escient… et en gardant à l’esprit, comme le rappelle Sandrine Corbiau de Parents-Thèses, qu' » au-delà de tout cela, le sport et l’art sont des moyens super puissants d’épanouissement… Quand un enfant court et se dépense, pour sûr, il est aussi dans l’instant présent et la pleine conscience !  »

(1) Développement personnel pour les enfants, par Emmanuel Piquemal, Editions Dangles, 168 pages. L’auteur a mis sur pied des ateliers en France sur cette thématique et cherche actuellement des personnes-relais, en Belgique, pour lancer ce type d’activité.

(2) https://parents-theses.be

LA SOPHROLOGIE

selon Natasha, 11 ans

« J’étais stressée par beaucoup de choses et ma maman m’a proposé de rejoindre un cours de sophrologie. Nous étions tous assis en rond sur un tapis et pratiquions divers exercices : des positions de yoga, des respirations… Après deux ans, j’avais fait le tour et j’ai arrêté, mais je continue à utiliser ce que j’ai appris très souvent. Par exemple, quand je prends l’avion, j’essaye de me calmer en inspirant et expirant avec le ventre car j’ai très peur. Un jour, il y a eu une grosse dispute à l’école ; j’ai fait une boulette de papier et je l’ai jetée très loin pour évacuer ma colère. Ça marche bien et j’apprends même ces trucs à mes amies. »

LE MIND MAPPING

selon Jules, 8 ans, et Oscar, 6 ans

« Pour faire un mind mapping, il faut mettre, sur une feuille ou sur l’ordinateur, une image au milieu et plein de flèches avec des informations autour. Par exemple, tu mets un chien au centre et tu notes ce qu’il mange, où il vit… Nous utilisons cela quand nous devons faire un exposé à l’école ou apprendre une chanson ; mais nous avons déjà pratiqué cette technique aussi pour nous préparer à aller camper dans le jardin, afin de noter tout ce que nous devions prévoir. Ce n’est pas difficile et même si ça prend du temps, ça nous permet de bien mémoriser les choses. Et puis, c’est cool car si on en a marre, on peut arrêter quand on veut. »

LE YOGA

selon Lisa, 9 ans

« C’est moi qui ai choisi cette activité parascolaire et j’en fais depuis trois ans avec mes copines. Ce qui est très chouette, c’est que pendant le cours, il n’y a pas de cris et on établit un lien avec les autres, en se tenant la main et en pensant à quelque chose qu’on aime par exemple. J’en ressors relax et avec l’envie de recommencer. J’adore faire la salutation au soleil car on enchaîne des postures dans un ordre précis. Il y a peu, j’ai été aux urgences car je m’étais croqué le cou. J’avais mal et je pleurais très fort. Et puis, j’ai essayé de faire de bonnes respirations et j’ai senti que le calme revenait en moi. »

LA BRAIN GYM

selon Léa, 9 ans

« Je ne parvenais pas bien à me concentrer et ma maman a trouvé une spécialiste en Brain Gym. Depuis que je pratique ces exercices, ça va beaucoup mieux ! Cette année, mon institutrice a même accepté que nous fassions les gestes tous ensemble en classe, et c’était plus sympa : mes copains ont compris à quoi cela servait et ne me regardaient plus bizarrement. Il faut par exemple, avant un contrôle, boire un verre d’eau, croiser les jambes et les bras ou suivre son pouce qui dessine un « 8 » couché dans le vide. Grâce à cela aujourd’hui, je sais faire plus de choses et je me détends. Malheureusement, si j’arrête de travailler ces gestes, mes soucis pourraient revenir… »

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