Films pour ados, place aux filles !

Tamara. © ARNAUD BORREL

De plus en plus transgénérationnel, le cinéma de l’adolescence fait la part belle aux héroïnes. Dans ces films bienveillants qui se regardent en famille, les adultes apparaissent souvent aussi démunis que leurs enfants.

A l’écran, elles s’appellent Tamara, Janis, Laura, Aurore ou Joséphine. Des gamines tout sauf nigaudes, juste un peu trop piquantes pour être vraies. Du genre à ne jamais garder leur langue en poche, dotées d’un sens par moment incongru de la répartie, elles sont là, engluées vaille que vaille dans une crise d’adolescence à rallonge où la moindre contrariété, aussi futile soit-elle aux yeux des adultes qui les entourent, les fait virer drama queens.

Diabolo menthe
Diabolo menthe© ISOPIX

Le teen movie à la française, ascendant La boum (1980) et Diabolo menthe (1977), inspire plus que jamais les cinéastes et les sorties, ces derniers mois, se bousculent sur les écrans. Si le choix de mettre en scène prioritairement des héroïnes est évident, c’est qu’on les sait plus dégourdies et surtout dotées d’une intelligence affective plus développée au même âge – ce n’est pas un fantasme, c’est admis par la Faculté – que leurs camarades masculins, même si ce delta s’estompe au fil des ans. Un parti pris presque féministe aussi, défendu bien souvent par des réalisatrices qui projettent dans leurs récits une bonne part d’autobiographie.

La boum
La boum© ISOPIX

Méprisées par la critique jusqu’à ce que le succès d’ovnis comme Juno ou Little Miss Sunshine, étiquetés cinéma indie américain, ne change petit à petit la donne, ces chroniques d’une adolescence annoncée, dont les spectateurs connaissent à peu de choses près la trame avant même de les avoir regardées, sont aujourd’hui un genre à part entière, avec ses codes à lui. « Toute l’histoire du cinéma de l’adolescence est perpétuellement traversée par des mises en abyme de films antérieurs, souvent générationnels, note Olivier Davenas, auteur de l’essai Teen ! publié aux éditions Les Moutons Electriques. Les longs-métrages de John Hughes, à qui l’on doit notamment The Breakfast Club (1985) – référence s’il en est de ce type de productions -, sont remplis de clins d’oeil plus ou moins explicites à American Graffiti (1973), ne serait-ce que dans la structure même de l’intrigue. Celle-ci comprend presque toujours une scène d’humiliation en salle de sport ou un bal de promo, points culminants de la tension dramatique du récit. »

The Breakfast Club.
The Breakfast Club.© UNIVERSAL PICTURES
Films pour ados, place aux filles !
© DR

Ces moments « cultes », sous une forme parfois un brin dérivée, se retrouvent encore en bonne place dans les scénarios actuels. Dans Cigarettes et chocolat chaud, c’est en voulant décrocher un solo de flûte à la fête scolaire que Janis, atteinte du syndrome de Gilles de La Tourette, est moquée par la fille la plus populaire de l’école.

Tamara, dans le film lui même tiré d’une BD éponyme, aura littéralement besoin d’un coup de pouce pour ne pas se vautrer au cours d’escalade.

Tout comme la jeune star de Jamais contente, adapté du roman Le journal d’Aurore de Marie Desplechin, l’ado s’offrira une cuite mémorable en dépit de tous les bons conseils reçus pour éviter cela…

Jamais contente.
Jamais contente.© SDP

« J’ai pris un réel plaisir à revisiter les codes traditionnels du teen movie des années 80, où les faiblesses initiales du personnage principal finissent par devenir une force, souligne Sophie Reine, réalisatrice de Cigarettes et chocolat chaud. Il me fallait évidemment une méchante, que j’ai choisi d’appeler Harmonie. Elle devait forcément être très jolie car c’est toujours la même pensée dominante qui règle les rapports adolescents, les mêmes jeunes qui mènent le jeu et qui sont populaires. »

Comme le note aussi Emilie Deleuze, aux manettes de Jamais contente, « s’adonner pleinement en tant que réalisatrice au film de genre permet de se poser davantage de pures questions de cinéma. On entre dans un sujet pour mieux en sortir : il faut à la fois respecter les codes et en même temps tenter de raconter quelque chose de nouveau. »

Bienveillants mais déphasée

Si les petits tracas de la vie d’ado peuvent paraître universels, le lissage des générations a sensiblement modifié la posture des adultes dans ce type de récits.

Juillet Août.
Juillet Août.© MATHIEU MORELLE

« Les miens ont effectivement quelque chose de grands enfants, admet Diastème, réalisateur de Juillet Août. Je trouve formidable que les gens de 50 ans portent des baskets et aillent boire des coups : quand j’avais 15 ans, les quinquagénaires étaient déjà de vieux messieurs en imperméables travaillant dans des banques. Dans le monde d’aujourd’hui, il n’y a pas d’âge pour le récit d’apprentissage. »

Face aux parents qui ne veulent plus grandir, le temps de l’adolescence aussi a tendance à se rallonger. « On considère normalement qu’elle prend fin lorsque le jeune trouve une place de futur adulte dans la société, détaille Nicolas Zdanowicz, professeur de psychiatrie de l’adolescence à l’UCL. Ce qui présuppose d’avoir un travail et de gagner de l’argent en son nom, d’avoir une sexualité que l’on gère, de devenir parent à son tour et de développer un mode relationnel différent avec la génération du dessus. »

Ces questions existentielles qui balisent la construction de l’ado peuvent aujourd’hui se (re)poser aux adultes plusieurs fois dans leur vie. « On les connaît, ces gens que l’on croit installés et qui, tout à coup, sont au bord du désastre », pointe Diastème. « Jusque dans les années 80, le parent, dans le scénario, était forcément celui contre qui il fallait lutter pour s’émanciper, analyse Olivier Davenas. Désormais, non seulement la jeunesse est perçue comme une vertu à préserver le plus longtemps possible, mais les adultes ont aussi pris conscience de l’importance de cette période de construction chez l’enfant : ils ne cherchent plus à l’entraver, plutôt à l’accompagner. A l’écran, cela donne souvent des parents assez présents, plutôt bienveillants, mais un peu déphasés quand même. Dans les nouveaux teen movies, on sent une volonté de capter l’essence universelle de l’adolescence. »

Comme le rappelle très justement Alexandre Castagnetti, réalisateur de Tamara, « les émotions des héros adolescents sont décuplées par le caractère nouveau de chaque expérience, sans parler des états d’âme qui les traversent et conduisent à l’acceptation de soi, de la vie… ou pas ! »

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Films pour ados, place aux filles !
© SDP

Générationnel hier, le cinéma de l’adolescence – bien différent des longs-métrages dits « pour ados » de la mouvance The Hunger Games, Divergent ou Twilight produits par les studios hollywoodiens – tiendrait donc plus du « feel good movie » destiné à être regardé en famille.

« J’aimais l’idée de montrer à l’écran comment un enfant peut apprendre aussi à son parent, l’emmener quelque part à sa suite », ajoute Sophie Reine. « Ce qui m’attirait, c’était de faire un film que les ados puissent voir avec leurs parents, parce que cela n’est pas si fréquent que cela », insiste Alexandre Castagnetti.

Un petit côté « doudou » avec tout ce que cela peut sous-entendre de régressif, totalement assumé aussi par Emilie Deleuze. « J’ai de la tendresse pour mes personnages, confie-t-elle. Autant pour cette gamine désarmante qu’est Aurore que pour ses pauvres parents stupéfaits par ses capacités de répartie, sa mauvaise foi, aussi, qui les épuise. »

Parce que rien de bien grave sans doute ne s’y passe, il est facile pour les adultes comme pour le jeunes de s’y projeter, surtout pour reconnaître les travers de « l’autre camp » et en rire avec tendresse. « C’est le genre de film qui fait un bien fou, reconnaît Olivier Davenas. On les regarde pour panser les blessures d’une époque fatiguée. On y redécouvre le temps de l’ennui, de la rêverie adolescente. »

Ces instants de tous les possibles que l’on n’oublie jamais tout à fait.

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