L’art de s’en foutre de Mark Manson, blogueur et jeune « gourou » à contre-courant de la pensée positive

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Pour soigner notre mal-être, ce blogueur américain prône l’humilité, le détachement et le travail. Il s’inscrit à contre-courant de la pensée positive… et pourrait devenir le mentor de sa génération.

« Je suis auteur et blogueur. J’écris sur des trucs importants, et je donne des conseils de vie. Certains disent que j’ai sauvé la leur. D’autres que je suis un imbécile. Lisez et décidez vous-même.  » Voilà comment Mark Manson, 32 ans, se présente sur son site markmanson.net.

L'art de s'en foutre de Mark Manson, blogueur et jeune
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Adolescent, quand ses copains étaient vautrés devant MTV, il dévorait Nietzsche, Sénèque, Epictète ou Marc Aurèle. Ensuite, il s’est plongé dans les sciences cognitives et le bouddhisme zen. Aujourd’hui, il vit de son site de  » life coaching « . Drôles et fouillées, nourries de philosophie stoïcienne, ses chroniques s’intitulent :  » Cessez d’essayer d’être heureux « ,  » Les vertus du doute « ,  » Vous avez déjà tout ce dont vous avez besoin « … Et recueillent plus de 2 millions de followers. On y parle comme dans la vraie vie, ou pire : le post le plus populaire contient 123 fois le mot  » fuck « , ce qui amuse beaucoup son auteur qui vient d’en tirer un livre, The Subtle Art of Not Giving a Fuck ( » L’art subtil de s’en foutre « , bientôt traduit en français), déjà best-seller au rayon  » développement personnel « . Un comble, quand on sait que l’homme déteste tous ces manuels de  » self help  » racoleurs et leurs recettes gadgets, bien incapables de guérir nos bleus à l’âme.

Pur produit de la génération Y, il a passé des heures à glander devant des jeux vidéo. Alors, ses écrits parlent tout particulièrement aux Millennialsen quête de sens. Mais on peut y trouver du grain à moudre à tout âge. Nous l’avons rencontré à New York.

Votre livre s’adresse aux gens qui  » détestent les manuels de développement personnel « . Quelle est votre différence ?

C’est de mettre mes lecteurs face à leurs responsabilités : vous seul pouvez vous aider. Ce n’est pas mon bouquin qui va résoudre vos problèmes… C’est vous ! Ça va être long et pas très agréable. Je ne leur répète pas :  » Vous êtes formidable ! Faites-vous confiance ! Vous allez y arriver !  » Je ne suis pas indifférent aux problèmes des gens – sinon je serais mauvais -, mais je ne suis pas non plus bêtement compatissant ou optimiste.

Une de vos bêtes noires, justement, c’est  » la pensée positive « . Un pilier de la mentalité américaine, pourtant !

C’est le pire et le meilleur de notre culture. On baigne dedans dès l’enfance. Jamais de critiques, toujours des encouragements : c’est ainsi que les parents parlent aux mômes, les profs aux élèves, les coachs aux joueurs. Et ça continue dans la vie active… Jusqu’au jour où l’on est viré en une demi-heure ! Ça fait beaucoup de dégâts. Tout le monde n’est pas un futur champion ou un génie du high-tech… Si on les berce d’illusions, les gens vont s’effondrer au premier coup dur. Ils seront fragiles, désarmés face à la souffrance psychologique. D’où le succès des bouquins de  » self help « .

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Que proposez-vous à la place ?

Des choses qui demandent bien plus de boulot ! S’attaquer honnêtement à ses problèmes. Décider à quoi on tient ( » give a fuck « ) et lâcher du lest sur le reste. Contrairement au discours psy dominant, je pense aussi qu’il faut apprendre à douter plus : de soi, de ses opinions, de ses connaissances, de son  » bon droit « . Vouloir toujours avoir raison, ça rend très malheureux. L’idée, c’est de s’entraîner à souffrir moins pour des choses qui n’en valent pas la peine ou sur lesquelles on n’a aucune prise. Acquérir une forme de détachement. Depuis l’Antiquité, on n’a rien trouvé de mieux pour vivre plus heureux.

Deux mille ans plus tard, on peut commencer par se détacher un peu des réseaux sociaux ?

Par leur ôter le pouvoir d’influer sur nos états d’âme, surtout. De nourrir notre colère, notre frustration, notre jalousie. Je vois tant de gens dévastés par un commentaire sur Facebook ! La compétition est un truc sain et naturel. Mais les réseaux sociaux l’amplifient de façon totalement pernicieuse. Untel est promu, fêté, récompensé ? Mais on ne voit que le résultat ! Pas les efforts acharnés et les sacrifices pour y arriver. Une telle a bien de la chance, elle a l’air si proche de ses frères et soeurs… Mais ces gens qui sourient sur la photo, on ne sait rien de leur intimité : alors pourquoi la comparer à la nôtre ? Facebook, ce n’est pas la vraie vie. C’est juste un album de  » greatest hits « . Ça va mieux quand on a compris ça.

Vous répétez aussi :  » Cessez de vous croire hors du commun. Acceptez d’être un individu moyen.  » Ça soulage ?

On vit dans la tyrannie de l’exceptionnel. Les médias nous abreuvent vingt-quatre heures sur vingt-quatre de la vie des « rich & famous » et de destins incroyables. Inconsciemment, c’est devenu l’aune à laquelle on juge notre propre vie. Bullshit ! L’immense majorité des individus ne sont pas particulièrement doués. Et les gens  » exceptionnels  » ont surtout travaillé d’arrache-pied, en sacrifiant tout le reste. Accepter qu’on est un individu  » moyen  » – moyennement doué, moyennement courageux -, cesser de penser qu’on a droit à des égards, à un traitement de faveur, ça change tout au quotidien. Exemple ? On ne se sent plus victime d’une incroyable injustice si on est tyrannisé à un guichet de l’administration. On patiente. On n’en fait pas des tonnes. On garde son énergie.

D’après vous, on a tous tendance à se considérer comme des génies méconnus. Si on renonce à cette idée, soudain, des portes s’ouvrent.

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Ça donne envie de travailler, de progresser. On a moins peur de l’échec, car, dans notre système de valeurs, il n’y a plus d’un côté les stars, de l’autre les losers. On se lance dans une nouvelle activité sans être bloqué par la sévérité de son propre jugement ou ses attentes irréalistes. Et on réévalue tout d’un coup notre vie… pas si  » moyenne « , au fond. Ça s’appelle l’humilité. Ce n’est pas sexy. Mais c’est très libérateur !

Autre thème qui vous tient à coeur : la procrastination, qui nous fait nous sentir minables et coupables…

Je fais partie de ces nouvelles cohortes de travailleurs indépendants ! Seul devant l’ordi, avec une montagne de boulot… et de tentations. On repousse le moment de s’y mettre car on attend l’Inspiration, avec un grand  » I « . Quand je n’ai aucune envie d’écrire ma chronique, je me force. Littéralement. A mettre au moins quelques phrases bout à bout. Surprise : très vite, ça devient plus désagréable de s’arrêter… que de continuer. Car la motivation découle de l’action, pas l’inverse ! La tâche vous semble énorme ? Découpez-la en morceaux. Attaquez un (tout) petit bout. C’est le  » do something principle « . Très simple à comprendre. Mais beaucoup moins à mettre en pratique.

Vous recevez des milliers de mails de gens qui ne savent pas  » quoi faire de leur vie « . Qui se désespèrent de ne pas avoir  » trouvé leur passion « . Et ça vous énerve !

Ça me rend fou !  » Eh, les gars, les filles, vous êtes réveillés seize heures par jour, vous faites quoi pendant ce temps-là ?  » Ne me dites pas que les gens ne savent pas ce qu’ils aiment ni ce qui les rend heureux… Seulement, la pub et les médias nous répètent :  » Soyez enfin vous-même ! « ,  » Vivez votre passion !  » Alors on se dit qu’il doit y avoir  » autre chose « . De plus dingue, de plus excitant. Comme si quiconque sur cette Terre s’éclatait à longueur de temps…

Si vous rêvez de trouver un boulot passionnant au point de dormir dans votre garage comme Steve Jobs, vous avez vu trop de mauvais films ! Ou lu trop de récits de reconversion idyllique, très en vogue en ce moment. Ça donne des bataillons de gens frustrés dans leur boulot, alors qu’en fait, ils y sont plutôt bien… et bons ! Mon soi-disant  » job de rêve  » est ennuyeux un tiers du temps, c’est normal. Je n’avais ni la rage d’écrire ni la vocation de conseiller les gens. J’ai découvert que c’était mon truc… en le faisant. Bosser, persévérer, expérimenter, tâtonner, prendre des risques, devenir plus efficace et productif, c’est ça, la vraie clé d’un changement de vie. Pas le fait de trouver sa  » passion « , ce concept à la mode, totalement fabriqué. Au contraire : cessez de la chercher. Ça vous fera gagner beaucoup de temps.

PAR MARIE-ODILE BRIET

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