Psycho : Ce que votre naissance a à vous apprendre sur vous-même

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Les premiers jours de la vie auraient un impact crucial sur la personne que nous devenons. Explications avec la psychothérapeute Lise Bartoli, auteure d’un livre sur le sujet.

Depuis une vingtaine d’années, Lise Bartoli examine la naissance sous tous les angles : après avoir publié un guide des maternités, elle a enquêté de façon quasi ethnologique sur les rites de l’enfantement aux quatre coins du monde. La psychothérapeute a même créé l’HypnoNatal, une méthode de préparation psychique à l’accouchement, fondée sur l’hypnose. Son postulat ? La naissance est un territoire inconnu et sous-estimé. Pour mieux comprendre nos comportements et apaiser certaines blessures émotionnelles à l’âge adulte, il est indispensable d’en savoir plus sur nos « origines ».

La périnatalité est un fil rouge dans votre travail. Pourquoi ?

En tant que psychothérapeute, ce sujet m’a toujours fascinée, mais ce sont mes grossesses qui ont servi de catalyseur. Mon vécu de mère m’a fait réaliser à quel point notre naissance impacte notre existence. Naissons-nous par voie naturelle ? L’accouchement laisse-t-il des séquelles, physiques ou psychologiques à la mère, et donc à l’enfant ? En se penchant sur notre venue au monde, nous nous plongeons dans le creuset des légendes familiales. Et les mots ont une très grande importance.

C’est-à-dire ?

Tout commence à la maternité, quand le corps médical commente la naissance d’un bébé devant les jeunes parents, sans réaliser les conséquences que cela aura sur eux. Une patiente m’a raconté qu’à la naissance de sa fille, une infirmière lui a lancé : « Eh bien, elle prend son temps cette petite, elle sera flemmarde ! » Quand on devient mère, on est comme une éponge, on absorbe tout, on va retenir ces commentaires, les intégrer au récit de la naissance de nos enfants et les leur transmettre.

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Enquêter sur sa naissance permet de faire le lien avec nos blessures émotionnelles, nos comportements, nos instincts…

Quelles répercussions ce « récit de naissance » a-t-il ?

En psychologie, on appelle cela l’effet Pygmalion. C’est une sorte de prophétie auto-réalisatrice qui signifie que l’on est souvent ce que nos proches attendent de nous. Si on vous répète depuis toujours que vous êtes né en colère, que vous brailliez beaucoup étant bébé, il y a de grandes chances pour que vous vous conformiez à ce mythe de naissance. Aux Etats-Unis, deux chercheurs financés par la National Science Foundation se sont rendus dans une école défavorisée de San Francisco. Après avoir fait passer des tests de QI, ils ont volontairement envoyé de faux résultats aux enseignants. Certains écoliers, avec des examens peu ou pas réussis, se sont donc retrouvés avec d’excellentes notes. Quelques mois plus tard, les chercheurs sont revenus dans cet établissement et ont constaté que ces mêmes gosses avaient fait d’énormes progrès. Leur conclusion est sans appel : avec un environnement positif, une bonne image de soi et les encouragements des profs, les mômes progressent. Cela ne concerne pas uniquement le domaine de l’éducation. Les récits de naissance ont le même effet sur chacun de nous.

Pour mieux se connaître, vous nous encouragez donc à nous intéresser à notre naissance…

Dans le cadre de mon travail, je me suis rendu compte que la grande majorité de mes patients et des personnes que je côtoie ignore les conditions de leur venue au monde. C’est surréaliste ! Enquêter sur sa naissance permet de faire le lien avec nos blessures émotionnelles, nos comportements, nos instincts…

Quelles questions doit-on poser à ses parents ?

Il ne faut pas hésiter à entrer dans le détail. Comment votre mère a-t-elle vécu sa grossesse ? A-t-elle été déprimée ou angoissée ? Le médecin a-t-il déclenché la naissance ? A-t-il utilisé un forceps ? Vos parents espéraient-ils un fils ou une fille ? Il existe mille et une questions qui peuvent nous éclairer. Un patient est venu me consulter car il se protégeait trop, était méfiant, ce qui l’empêchait d’avancer, d’avoir une vie amoureuse stable. Il souffrait aussi de troubles du sommeil, obligé de porter un masque la nuit pour des apnées… Il a appris qu’il était né prématurément, qu’il avait passé deux mois en couveuse, dont une partie sous assistance respiratoire. Ses premiers pas dans la vie n’expliquent pas tout, bien sûr, mais ils donnent des pistes. Mon livre n’est pas un manuel qui égrène une liste d’effets secondaires sur l’enfant – et, a fortiori, sur l’adulte -, en fonction des conditions de la grossesse et de l’accouchement. Il répertorie les histoires de certaines personnes que j’ai suivies. Et leur expérience peut faire écho en chacun de nous.

Le titre de votre bouquin (*) suggère un certain déterminisme. La naissance nous conditionne-t-elle ?

Elle a forcément un impact, mais la science est incapable d’en déterminer l’ampleur. Si une femme souffre de dépression pendant sa grossesse, il y aura des conséquences sur son bébé. Mais lesquelles ? Impossible de se prononcer sur cette question. Une femme dépressive peut donner la vie à un enfant dépressif… ou à un battant ! Notre naissance et notre héritage familial sont des bagages, mais ils ne sont pas une fatalité. Sinon, la notion de libre arbitre n’aurait aucun sens. Nous n’avons pas à porter un fardeau toute notre vie, à rester dans le passif. Le seul moyen de transformer ces faits en force est de prendre conscience des processus ancrés dans l’inconscient.

Comment faire ?

L’hypnose est une solution. Malheureusement, cette technique suscite beaucoup de méfiance. Certains showmans en font, à tort, un outil de sensationnalisme. Elle est pourtant le moyen idéal de faire appel à la partie intuitive du cerveau. De mon côté, je prône l’hypnose ericksonienne, qui crée un état de légère modification de la conscience, grâce auquel on peut concentrer son attention sur un point spécifique. Ce n’est ni une transe ni un sommeil profond. Le patient reste éveillé et se souvient de tout. C’est un moment privilégié pendant lequel il baisse la garde et peut se connecter avec son inconscient. L’hypnose permet de se replonger dans des ressentis endormis.

Votre étude sur la périnatalité se rapproche beaucoup de la psychogénéalogie…

Tout à fait, elle rejoint complètement cette discipline. Dès notre conception, nous recevons un grand nombre de données en héritage. Ce legs familial se fond en nous et va infuser notre manière d’agir, de penser et d’aimer. Tant qu’elle reste enfouie dans l’inconscient, impossible de résister à ses puissantes injonctions. Libre à nous, donc, d’aller chercher les réponses et d’agir, pour se libérer du poids de cet héritage, apaiser ses blessures et vivre plus sereinement. On ne peut pas blâmer éternellement ses parents, ou plus généralement ses aïeux, pour ses propres empêchements. C’est la prise de conscience et l’action qui libèrent !

Au fond, vous êtes une optimiste…

Bien sûr ! Je ne crois pas aux déterminismes. Nous avons tous des parts d’ombre, plus ou moins conscientes, mais nous pouvons nous libérer de leur emprise en les rendant conscientes. Cela prend du temps. Certains ont besoin de l’aide d’un thérapeute, d’autres, non. Mais c’est à la portée de tous.

Par Rebecca Benhamou

Psycho : Ce que votre naissance a à vous apprendre sur vous-même
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(*) Dis-moi comment tu es né, je te dirai qui tu es, par Lise Bartoli, Payot. www.lisebartoli.com

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