Psycho : La BD pour se soigner

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Les livres thérapeutiques et autres  » self-help books  » se multiplient en librairie et parfois chez les psys. Le monde des bulles, désormais abonné au réel, rejoint petit à petit le marché et le mouvement.

Une année pour méditer -- 365 pensées illustrées, ou quand les planches aident à lâcher prise.
Une année pour méditer — 365 pensées illustrées, ou quand les planches aident à lâcher prise.© DR

Lors de votre prochaine visite chez le psy, jetez un oeil aux quelques ouvrages qu’il ou elle n’a pas manqué d’installer dans son bureau ou à côté du divan, et qu’il ou elle vous conseillera sans doute de lire un jour, en fin de séance. Entre sa Bible (Freud), sa sélection de guides pratiques (du genre Savoir gérer son stress, L’estime de soi ou Anti-déprime, mode d’emploi) et quelques romans incontournables (au moins un Monde de Sophie, beaucoup de Paulo Coelho, toute l’oeuvre d’Eric-Emmanuel Schmitt…), votre thérapeute y aura peut-être ajouté, et c’est nouveau, quelques BD. Sans doute pas, hélas, les meilleurs opus de Franquin ou de Peyo – et c’est dommage, le rire est un excellent médicament de l’âme -, mais plus probablement quelques titres récents, et de plus en plus nombreux, qui tous ont la particularité de mêler la fiction au réel et de se frotter aux maux psycho, sociaux ou très concrets de notre temps. Et, en gros, de faire du bien à ceux qui se sentent concernés. Problèmes de harcèlement à l’école, enfance maltraitée, deuil, insomnies, angoisses, quête du bonheur, crise de la cinquantaine ? A chaque mal son album : la  » bibliothérapie  » devient de plus en plus  » BDthérapie « .

Susciter des émotions et permettre de montrer au lecteur-patient qu’il n’est pas seul à éprouver tel sentiment.

Les livres, c’est connu, font réfléchir, divertissent et, parfois, aident à guérir. Au point que la pratique de la lecture, ou de certaines lectures, soit aujourd’hui considérée comme paramédicale, entre art-thérapie et développement personnel. Une technique nommée dès 1916, mais réellement utilisée depuis quelques années seulement, et essentiellement dans les pays anglo-saxons – en Angleterre, des bouquins sont prescrits sur ordonnance et pourraient bientôt faire l’objet d’un remboursement par la sécurité sociale !  » La bibliothérapie fonctionne pour l’essentiel sur trois niveaux, explique ainsi Christophe André, psychiatre, psychothérapeute et auteur français, spécialisé dans les troubles anxieux et phobiques. Certaines fictions peuvent activer les prises de conscience, parfois jusqu’au transfert.  » Régine Detambel, autre experte française en la matière, le confirme dans son recueil Les livres prennent soin de nous : Pour une bibliothérapie créative (Actes Sud) :  » C’est exactement sur ce phénomène que se penchent les adeptes de la bibliothérapie : se mettre à la place de l’autre pour stimuler l’empathie, l’altruisme, la compassion ou à l’inverse, le dégoût, le rejet, la colère… Bref, susciter des émotions et permettre de montrer au lecteur-patient qu’il n’est pas seul à éprouver tel sentiment ou avoir vécu telle situation.  » Un terreau fertile pour la bande dessinée, et en particulier celle qui se penche sur la réalité.

Petite maman, un récit sur l'enfance maltraitée.
Petite maman, un récit sur l’enfance maltraitée.© Halim / Dargaud

Pédagogie et autofiction

Psycho : La BD pour se soigner
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Cela fait plusieurs années déjà que les planches, après s’être focalisées, pour l’essentiel et pendant près d’un siècle, sur la fiction pure et les séries, se sont ouvertes à tous les genres et à tous les formats, et en particulier au traitement du réel : BD-reportages, interviews dessinées, récits historiques ou pédagogiques, autofiction… De nouveaux créneaux qui ont par exemple transformé certains albums en condensé de dictionnaire médical : Frederik Peeters a évoqué la séropositivité dans Pilules bleues, Manu Larcenet a traité de l’Alzheimer dans Le combat ordinaire, Pozla a récemment tout expliqué de la maladie de Crohn dans Carnet de santé foireuse, Judith Vanistendael a fait le tour du cancer dans David, les femmes et la mort, même l’herpès est au centre du Monsters de Ken Dahl ! Des témoignages mis en fiction ou traités de front qui s’attaquent désormais à tous les maux, y compris sociétaux ou psychiques… et dont le partage ne peut être que bénéfique.

Avec Chroniques cliniques, la BD devient médicale
Avec Chroniques cliniques, la BD devient médicale© DR

La Belge Pascaline Manbour, ancienne psychothérapeute et créatrice d’un site Web largement consacré à la bibliothérapie (http://aidepsy.be/bibliothérapie), confirme ce diagnostic :  » Les livres ne soignent pas, ils sont des  » outils  » dans le cadre d’une thérapie, car ils permettent à la personne d’amener un matériel psychique qui n’aurait peut-être pas été mis au jour sans cela. Les BD peuvent également être intéressantes si elles suscitent autre chose que le plaisir et la distraction chez le lecteur mais l’invitent à rêver, imaginer, se projeter, se poser des questions…  » Soit exactement ce que proposent de faire toute une série de publications récentes (lire par ailleurs), donnant naissance à une tendance qui ne fera sans doute que croître : de véritables planches thérapeutiques et autres  » feel good comics  » dont le segment de marché importera peut-être plus, pour les éditeurs, que leur qualité purement  » bédéphilesque « . On a ainsi vu passer, dans les prévisions de sorties, un Cultiver le bonheur pour les nuls qui pourrait angoisser les amateurs de BD. Ils en parleront à leur psy…

Psycho : La BD pour se soigner
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 » J’aimerais que les psys s’en emparent  »

Journaliste, dessinateur de presse et jeune auteur de BD — Petite maman (lire par ailleurs) est son troisième album –, le Franco-Algérien Halim Mahmoudi en connaît un rayon sur  » la violence sociétale et psychologique  » et aime, dans ses bandes dessinées, traiter  » des choses difficiles, dures, que les autres délaissent « . Le sujet de Petite maman lui est ainsi venu en 2012, suite à l’affaire de Marina Sabatier (morte en 2009, à 8 ans, sous les coups de ses parents, condamnés trois ans plus tard à trente ans de réclusion).  » Je voulais aborder de la maltraitance en elle-même, mais aussi de l’absence totale de réponse de la société, alertée pendant des années, ou du comportement même de la fillette, qui défendait ses parents, raconte-t-il. Je désirais comprendre comment des parents, des êtres humains, peuvent en arriver là, pour permettre ensuite aux victimes comme aux bourreaux d’en sortir. « 

Le récit de cet ouvrage s’articule ainsi autour de souvenirs de Brenda, l’héroïne battue étant jeune, devenue grande et en discussion avec sa psy.  » Je me suis basé sur ma propre expérience en psychothérapie et je me suis beaucoup renseigné sur les mécanismes de violence et de culpabilité, sur les schémas-types, parce qu’ils existent autour de ces enfants, et des  » parents battants « . Je veux que cet album soit une aide pour les gens, qu’il parle à ceux qui subissent et à ceux qui ont fait subir.  » Une volonté déjà récompensée :  » Quelques femmes m’ont écrit de longs messages de remerciements, très rassurants, avec des confidences très touchantes et me disant :  » Ce livre m’a aidée.  » Je crois que Petite maman relate des faits rarement exprimés, et qu’il faut justement en parler pour s’en libérer. J’aimerais maintenant qu’il soit utilisé par les psys, qu’il devienne un outil. Qu’il devienne un livre utile. « 

Psycho : La BD pour se soigner
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4 maux, 4 BD

Quête du bonheur

L’éditeur lui-même le revendique, et à notre connaissance, c’est exact : voilà la première  » feel good BD pleine d’optimisme  » et qu’on aimerait, paraît-il,  » emmener partout tant elle nous permet de relativiser et d’oublier tous les petits tracas du quotidien « . Soit la rencontre entre la jeune Clémentine, à la recherche de bonheur et d’apaisement, et Simon, un physicien apiculteur qui va lui ouvrir tous les possibles. Par les auteurs de Studio Danse et un éditeur qui semble à la pointe en termes de planches  » utiles « …

Le jour où elle a pris son envol, par Beka et Marko, éditions Bamboo.

Psycho : La BD pour se soigner
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Harcèlement scolaire

Chez Bamboo encore, vient en effet de sortir  » la première BD sur le harcèlement scolaire « , soit des planches et courts récits basés sur la propre expérience des auteurs, père et fille, confrontés il y a quelques années au problème : ici, la jeune Emma est poussée à bout par Clarisse qui lui fait vivre un enfer, l’isole des autres enfants et l’oblige à ne rien dire. Des agissements contre lesquels la libération de la parole est essentielle, un objectif que le duo s’est d’évidence fixé, dans un album que des cellules PMS ont sans doute déjà inscrit dans leurs possibles outils de travail.

Seule à la récré, par Ana et Bloz, éditions Bamboo.

Psycho : La BD pour se soigner
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Charge mentale

Au printemps 2017, le post de la blogueuse Emma sur la charge mentale – ce poids psychologique qui accablerait les jeunes femmes en couple et les mères de famille – avait fait un énorme buzz sur les réseaux sociaux, engendrant un nombre record de commentaires et de partages. Dans la foulée, un éditeur décidait de compiler d’autres de ses notes dessinées et destinées à l’origine au numérique, toutes féministes et consacrées sans tabou au quotidien de la gent féminine. Un succès, qui mène à la sortie rapide d’un tome 2. Si le propos est éminemment respectable, la forme montre, elle, déjà, les limites du genre.

Un autre regard, tome 2, par Emma, éditions Massot.

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Maltraitance

Moins léger, et infiniment plus esthétique, Petite maman est le coup de poing éditorial de ces derniers mois, puisque son auteur franco-algérien s’attaque, de front et dans une  » vraie  » BD, au sujet difficile et tabou des enfants maltraités. Soit le récit de vie, bouleversant et parfois insupportable, de Brenda et de sa maman. Coups, punitions, enfermement, humiliations, violences psychiques et physiques… Rien ne sera épargné à la petite fille et à ses lecteurs, mais dans le seul but de faire voler en éclat la banalité de cette terrible réalité sociale – en France, deux enfants meurent chaque jour d’actes de maltraitance -, et de donner aux lecteurs une vision complexe, psychologique et largement documentée du phénomène, avec aussi quelques lueurs d’espoir. Un travail que l’auteur nous a directement commenté (lire par ailleurs).

Petite maman, par Halim, éditions Dargaud.

Avec Chroniques cliniques, la BD devient médicale.
Avec Chroniques cliniques, la BD devient médicale.© John Porcellino / L’employé du moi

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