Comprendre les dessins d’enfants en 8 points

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Un crayon à la main, les enfants couchent leur imaginaire sur papier. Ces gribouillages, plus ou moins maîtrisés selon l’âge, leur permettent de s’exprimer autant, si pas plus, que des mots. Mais comment décrypter leurs oeuvres ?

 » Nous ne sommes pas des madames Irma !  » La logopède Martine Allard, qui consulte au centre de thérapies et de formations Heklore à Court-Saint-Etienne, prévient d’entrée de jeu. Il ne suffit pas d’avoir un dessin devant les yeux pour pouvoir en déduire la personnalité, les états d’âmes ou le niveau intellectuel de son concepteur. C’est que, comme le souligne Roseline Davido, auteure de La découverte de votre enfant par le dessin (Le Livre de Poche),  » pour qu’une interprétation soit fondée, il est essentiel de connaître l’enfant, ainsi que son contexte socioculturel. Il est surtout important de l’observer au travail, de noter ses hésitations, son attention ou son inattention, les histoires qu’il y associe.  » A cette condition, les productions graphiques des plus petits révèlent énormément de choses. Car, si le moyen de communication le plus évident pour nous est le langage verbal, pour eux, c’est plus difficile puisque leur vocabulaire et leur grammaire sont limités.  » Le dessin apparaît donc comme un moyen d’expression privilégié, puisqu’il ne réclame d’autre aptitude que celle de savoir tenir un crayon « , fait remarquer Roseline Davido.

Loin de nous l’idée de donner une grille d’analyse pour décoder au millimètre les oeuvres de nos prolifiques têtes blondes. Nous nous limiterons ici à quelques clés de lecture pour déchiffrer ce qu’ils essaient de nous dire (ou pas)… A n’utiliser que dans une réflexion d’ensemble, cela va sans dire.

1 – L’âge de l’artiste

A chaque période de l’enfance correspond une manière de dessiner.  » Inutile toutefois de paniquer parce que votre garçon de 3 ans ne fait pas encore de bonhomme, rassure Martine Allard. Ce sont juste des repères.  » Ainsi, dans le livre de Roseline Davido, on apprend qu’un bébé de moins de 1 an peut déjà réaliser des taches de peinture sur une feuille. Viennent ensuite les gribouillis.  » Le crayon est le prolongement de la main, les traits sont en relation directe avec le  » moi  » de l’enfant « , soulignait Marthe Bernson dans Du gribouillis au dessin, paru dans les années 60. Pour cette spécialiste, le môme qui remplit l’entièreté de sa feuille  » voudrait occuper toute la place dans le coeur de sa mère « .

Après, arrive le griffonnage, activité plus intellectuelle car il y a une imitation de l’écriture de l’adulte, même si le tout-petit évalue après coup à quoi son oeuvre pourrait éventuellement ressembler. Entre 2 et 3 ans, on passe aux premières boucles fermées et un peu plus tard, au bonhomme têtard – un seul rond évoquant la tête et le ventre, deux yeux qui montrent la différence entre l’intérieur et l’extérieur du tracé et des barres pour les membres. Progressivement ce petit être filaire va s’agrémenter de détails et vers 5 ans, acquérir un tronc, ainsi que des bras et jambes ayant une épaisseur. Statistiquement, à 6 ans, toujours selon Roseline Davido, le schéma est complet… C’est ce qu’on appelle  » les stades du bonhomme « .

Le réalisme visuel apparaît plus tard.  » Vers 11 ans, l’enfant se rend compte que ce qu’il fait ne ressemble pas à une photo, évalue Martine Allard. Il se tourne vers des techniques qui visent à reproduire le monde réel.  » La lecture de leurs créations devient alors moins fructueuse, quoique souvent encore significative.

2 – Les couleurs utilisées

 » Le contour parle de notre façon de nous représenter les choses ; les couleurs soulignent nos émotions « , synthétise Diane Drory, psychologue et psychanalyste (qui nous livre également quelques interprétations en images au fil de cet article). Ainsi, le rouge témoigne, surtout s’il dépasse des contours, d’un manque de contrôle émotionnel. Une dominante de vert et bleu correspond à un comportement plus maîtrisé, cette dernière teinte symbolisant aussi la mère. Le jaune, par contre, évoque le père et l’autorité. Le noir est signe d’angoisse… L’extraverti utilise des tons chauds à profusion et l’introverti se limite à une palette réduite de teintes froides. L’absence de couleurs, enfin, peut découler d’un manque affectif… ou de pudeur, chez les pré-ados. Il faudra également prendre en considération l’intensité du coloriage.  » Quelqu’un qui n’a pas confiance en lui tracera des traits fins. En revanche, des lignes fortement marquées, au point de trouer le papier, laissent supposer de l’agressivité « , synthétise Roseline Davido. Attention, une fois encore, à ne pas généraliser trop vite, au risque de passer à côté du sujet.  » J’ai un jour dit à une institutrice, devant une composition avec beaucoup de vert, que son auteur devait être timide. Cela découlait d’une série d’observations, mais elle en a déduit que tous ses élèves qui peignaient en vert étaient réservés… « , exemplifie Martine Allard.

3 – La géométrie de la composition

Selon l’auteure de La découverte de votre enfant par le dessin, la partie gauche de la feuille correspondrait au passé et la partie droite, à l’avenir. Le centre serait à la fois le présent et le  » moi « . Les lignes courbes dévoileraient une haute sensibilité et les brisées quelqu’un de plus réaliste et plein d’initiative. Une trop grande importance donnée à l’horizontale montrerait une crainte de projeter son énergie et une volonté de se brider. La préférence pour des petits points et taches soulignerait un caractère méticuleux… ou des problèmes affectifs.

La transparence – soit le fait d’afficher l’intérieur des choses même si elles ne sont pas vues dans la réalité – a également une place importante puisqu’elle permet de montrer ce qui se cache derrière la scène.  » J’ai rencontré une fillette de 8 ans qui avait une facilité impressionnante d’introspection, se souvient Martine Allard. Elle ne disait rien mais ce qu’elle mettait sur sa feuille était d’une grande lisibilité. Elle avait tracé une maison de deux étages : en bas, les parents qui se disputaient ; en haut, elle, blottie derrière sa porte. On ressentait l’angoisse de cette gamine grâce à la transparence qu’elle avait utilisée pour montrer ce qui se passait chez elle. « 

4 – Les personnages

Quand un mouflet réalise un bonhomme, c’est lui-même qu’il esquisse tel qu’il se sent et cela ne démontre donc en rien sa bonne connaissance du schéma corporel.  » C’est la manière dont il vit son corps, ce n’est pas la représentation exacte de celui-ci, avertit Diane Drory. S’il ne se met pas de pieds, c’est qu’il est peu autonome, mais il sait très bien qu’en réalité, il en a !  » Au-delà des stades du bonhomme (lire par ailleurs), d’autres signes peuvent être analysés, comme la taille : un gosse qui se schématise gigantesque se sent démesurément important, mais cache peut-être aussi un sentiment d’infériorité. Celui qui se voit minuscule pourrait avoir besoin d’être revalorisé.

 » L’enfant habille ses personnages comme il le désire et les déprécie ou valorise selon ses sentiments profonds « , ajoute Roseline Davido. Un gros pull rappellerait ainsi la chaleur protectrice de la mère.  » Plus le personnage est détaillé, avec des poches ou des boutons par exemple, et plus le petit le considère comme important pour lui, positivement ou négativement « , observe Diane Drory. Le sexe est lui rarement explicitement montré. Par contre, des accessoires tels qu’une ceinture ou un bâton identifient clairement l’homme et ses attributs.

5 – Le home sweet home

 » La maison est très révélatrice de la personnalité et du caractère de celui qui la dessine et exprime à travers elle la construction de son propre  » moi  » « , insiste Roseline Davido. Le schéma classique proposé par les mômes est une façade centrée sur la page et rappelant un visage, avec porte et fenêtres symétriques, le tout dans un environnement harmonieux. Dès lors, une petite bicoque ou une végétation très imposante autour seraient des signes de timidité. Une maison qui déborde du cadre, exprimerait, elle, une soif d’affection. Selon la psychanalyste Françoise Dolto, un château fort correspondrait, quant à lui, à  » une représentation défensive de l’image du corps « . Le chemin d’accès, l’absence de porte et la taille des baies – liées à la manière dont les juniors pensent ou veulent qu’on voie en eux – peuvent aussi être révélateurs.

6 – L’arbre humanisé

L’arbre évolue également avec l’âge. Il passera par l’étape têtard, cime et tronc confondus, puis ce dernier s’élargira vers le bas. Ensuite, viendra la ligne de sol –  » l’arbre prend alors racine, ce qui correspond à une bonne insertion dans la vie familiale et sociale « , observe Roseline Davido. Peu à peu, le croquis se perfectionnera, le tronc signifiant le  » moi  » stable de l’individu et les branches sa capacité à penser le monde. Une base large témoignerait ainsi d’un caractère terre à terre, un feuillage déployé vers le haut, d’un môme plus tourné vers le spirituel.

7 – La famille au complet (ou pas)

Il existe un test américain, le Kinetic Family Drawing, qui consiste à représenter ses proches en train de faire quelque chose. Souvent, ce sont des images clichés qui reviennent : le père qui lit son journal, la mère qui cuisine et la marmaille devant la télé. Mais le résultat peut aussi apporter des données pertinentes, par exemple en cas de suspicion de maltraitance.  » L’activité de chacun renseigne bien sur leurs relations intrafamiliales « , note Roseline Davido. La place des uns par rapport aux autres donne aussi des informations, notamment en matière d’OEdipe. Il arrive également que les petits  » oublient  » de faire figurer leurs frères et soeurs, s’ajoutent une fratrie imaginaire ou ne figurent pas eux-mêmes sur le tableau –  » dans ce cas, c’est qu’ils ne savent pas quelle est leur place « , analyse Diane Drory.

8 – Mais encore

Tout est donc question de symboles, et il en existe des tonnes… Entres autres, les animaux dont les enfants usent pour éviter de se montrer vraiment, le caractère de la bête leur correspondant en quelque sorte. On pourrait également pointer le bateau, synonyme d’envie d’évasion mais aussi de manque d’autonomie, quand il est à voile et est à la merci de la météo ; le passage pour piétons, rappelant le devoir, la contrainte sociale ; la pluie, évoquant la tristesse ; ou encore la lune, suggérant le mystère, la mort parfois… A moins qu’il ne s’agisse d’un simple attrait du dessinateur en herbe pour l’aventure spatiale ! Comme toujours, il faut rester très méfiant en matière d’interprétation.  » Ce n’est pas parce que, une fois, un enfant aura mis des barreaux à une fenêtre que cela témoignera de la mauvaise adaptation de celui-ci dans sa famille, insiste Roseline Davido. Imaginez que la veille il ait vu un film sur les prisons…  » D’où l’importance de s’intéresser au récit qui se cache derrière chaque création, comme le rappelle Diane Drory :  » Tout dessin a une histoire et est un message pour la personne à qui il s’adresse. Par respect pour son auteur, nous nous devons de lui demander ce qu’il a voulu nous raconter.  » Libre à lui toutefois de se taire ou de parler de tout autre chose !

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