Allons-nous vers une assiette uberisée?

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Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

L’évolution du numérique fait naître de nouveaux réseaux commerciaux, en gastronomie également. Une concurrence encore accrue pour les restaurants.

Avez-vous conscience du fait que le bon vieux restaurateur de votre quartier est un héros ? Oui, celui-là même qui depuis vingt-cinq ans, sans éclat, ni étoile, transpire à grosses gouttes derrière les fourneaux. Le bonhomme n’est rien de moins qu’une vraie gueule cassée de la vie qui, pour les services rendus et les assiettes constantes, méritera bientôt sa pierre gravée avec « Tombé sous les coups de la modernité » en lettres d’or.

Il en va de même pour tous les acteurs du secteur horeca qui ne maîtrisent ni les ficelles de la communication, ni celles des réseaux sociaux. Jusqu’ici, il leur a fallu tenir le cap face à des consommateurs-zappeurs avides de toujours plus de nouveauté. On craint malheureusement que les années à venir ne leur soient fatales.

Pourtant, les pauvres en avaient déjà vu des vertes et des pas mûres – la concurrence en raison du trop grand nombre de tables, le cocooning, l’engouement pour les soirées entre amis à la suite de l’émission Un Dîner presque parfait, la vague des food trucks…

Cerise sur la déconfiture, ils risquent bientôt de devoir affronter l’arrivée des discriminatives « boîtes noires » généralisant le contrôle fiscal.

2015, annus horribilis

Ce sera tout ? Loin de là, l’addition n’est pas terminée. Ce qui les attend ? Ils ont pu en avoir un avant-goût en 2015, annus horribilis qui ne les a pas ménagés. En cause, deux phénomènes en pleine expansion qui répondent à une même logique entrepreneuriale : l’uberisation entendue comme un « changement rapide des rapports de force grâce au numérique » (1). Pour rappel, Uber, plate-forme américaine de mise en relation entre particuliers et chauffeurs privés, s’est fait connaître pour le coup rude porté à la profession de taximan. Derrière, on trouve une logique totalement exportable – pour le meilleur comme pour le pire – à tous les secteurs de l’économie traditionnelle des services : financement (KissKissBankBank, MyMajorCompany…), voyage (Airbnb, Wijet…), mode-beauté (ChicTypes, Popmyday…), etc. Le dénominateur commun traversant ces différentes initiatives ? Outre le recours au Web en tant qu’outil de performance, on pointe l’utilisation d’une sous-traitance à travers des milliers de travailleurs indépendants exerçant de cette façon une « activité disruptive » échappant aux cases fiscales habituelles.

Côté restauration, la menace a deux visages. Le premier se nomme Menu Next Door (qui se lance maintenant à la conquête de Paris). Si avec Uber, tout le monde peut s’improviser taximan, avec ce concept, tout un chacun peut devenir cuistot. Cette plate-forme, qui dépend d’une société basée à Londres et dont les pratiques sont régies par le droit anglais, met en contact des particuliers désireux d’éviter de préparer un repas, avec d’autres qui cuisinent pour eux, moyennant rémunération. Une offre « 30 à 50 % moins chère qu’au restaurant à qualité équivalente », proclame le site. Côté chefs amateurs, c’est l’opportunité de « gagner entre 100 et 350 euros » en une soirée, une somme qu’il faut, bien sûr, indiquer dans la colonne des « revenus complémentaires » de sa déclaration.

Ce n’est pas tout, les établissements de bouche doivent également faire face à l’essor des start-up de livraison style Take Eat Easy (lire notre test ICI) ou Deliveroo. Le pitch ? Des plats issus d’une sélection pointue de restaurants délivrés en trente minutes aux particuliers par le biais d’une technologie reposant sur des algorithmes sophistiqués. Le tout non sans une commission de 30 % prélevée sur la commande et grâce à des coursiers en vélo, forcément, indépendants et… « précaires », comme le soulignait la journaliste Zazie Tavitian dans Les Inrocks (2).

Bref, les lendemains qui chantent de la restauration, ce n’est pas pour tout de suite…

  • (1) Cité par Les Echos, Bruno Askenazi, « Observatoire de l’Uberisation : à quoi va-t-il servir ? », mis en ligne le 16 novembre 2015.
  • (2) « Vers l’uberfoodisation ? », Les Inrocks, paru le 14 octobre 2015.

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