Anti-manuels de cuisine

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Successful mais conformiste et convenue, l’édition de livres culinaires dort sur ses lauriers. Ce qui devait arriver est arrivé depuis quelques mois : elle se fait doubler à gauche par une série d’ouvrages gastronomiquement incorrects.

A l’heure où l’on met la bouffe à toutes les sauces – films, télé réalité, cours… -, le livre de cuisine fait figure de big business. Crise financière, peur des apocalypses en tout genre, situation environnementale anxiogène… le bon Docteur Air du temps a vite fait de prescrire un petit dîner entre amis pour conjurer tout cela.

Calculette à la main, le monde de l’édition – qui peine à sortir la tête de l’eau face à la puissance des images et du web – a compris que le créneau des ouvrages de recettes était une manne providentielle. Des maisons comme Marabout ou Hachette Pratique se sont fait une spécialité du genre, au point de devenir les locomotives du marché avec des blockbusters joliment marketés.

Côté chiffres, ce n’est pourtant qu’un petit cénacle d’heureux élus qui truste la majorité des parts de marché. Il se dit que 10% des éditeurs squattent 90% des ventes. Ce contexte super concurrentiel ne dissuade pas pour autant tout un chacun d’y aller de son petit bouquin. Et pour cause, il faut alimenter la machine qui en redemande… en évitant toutefois de donner l’impression de réchauffer le même potage. Au-delà du coffret collector et du packaging calibré déclinés sous toutes leurs formes, la question du fond est de plus en plus sensible. Surtout que des voies sans issue se dessinent. Le créneau des chefs emblématiques, pour ne citer que lui, commence à avoir autant de plomb dans l’aile que le gibier en cette saison d’ouverture de la chasse. A la suite de Jamie Oliver et autre Gordon Ramsay, le clonage français façon Cyril Lignac a montré ses limites.

Des plats qui font péter Le vent de nouveauté vient des petites maisons d’édition qui n’hésitent pas à mettre leur grain de sel et à ruer dans les brancards du conformisme gastronomique ambiant. Elles rivalisent d’idées et jouent quelques fois la provoc, histoire de donner un bon coup dans la fourmilière. Le spectre des trublions est large. Parmi ceux-ci, Petits Larcins Culinaires de Claude Deloffre fait office de mise en bouche. Gentiment iconoclaste, il rassemble des recettes que l’auteur a tout simplement piquées aux quatre coins du monde. Pas de mise en scène spécifique, les pages du livres donnent à voir telles quelles les images des magazines dans lesquels ont été « empruntées » les idées de plats. Le tout pour une mise en abîme plutôt bricolo qui fait sourire.

Plus audacieuse est la démarche des Editions 1973. Imaginée par Elise Milicevic, une ancienne publicitaire, cette maison d’édition entend proposer des livres hors normes. Parmi ceux-ci, la collection Les romans-cuisine déclinent trois concepts-books assez délirants. Mention pour Hot Dog, ou comment cuisiner les animaux de tout poêle, opus décalé entre imaginaire et réalité. Le pitch ? Douze nouvelles inspirées d’histoires vraies sur des animaux de compagnie qui débouchent sur autant de recettes élaborées par un vrai chef – Jérôme Lefevre – pour faire passer ces amis domestiques à la casserole. Que ceux qui « freinent aussi pour les animaux » se rassurent, la recette en question procède par association. Ainsi, les oreilles de chat ne sont pas prélevées sur minet mais consistent en une variété de champignons à laquelle on prête ce nom. Le programme allèche, entre couilles d’âne aux cagouilles, lapin nain sur canapé, mousse de poisson rouge et une très intrigante queue de Godzilla inspirée par Jobard, un lézard.

Plus sérieux mais tout aussi révélateur d’une envie de sortir le genre des ornières, les éditions Menu Fretin proposent Osez ! L’anti-manuel de cuisinede Juliette et Jean-Marie Baudic. Jean-Marie Baudic est à la tête du Youpala bistrot, un restaurant qui cartonne à Saint-Brieuc. A l’opposé des livres de recettes qui expliquent tout par le détail, Osez ! fait le pari de la débrouille en 70 anti-recettes. S’il explique les principes généraux de la cuisine, le bouquin n’entend pas prémâcher le travail du lecteur. Baudic commente : « Faire la cuisine, ce n’est pas seulement suivre une recette, c’est donner de soi pour donner une âme au plat ». Sa recette de Fromage blanc aux olives, petits pois, fleur de courgette séchée, thon roulé au nori et parmesan, par exemple, est livrée sans autres explications que des indications d’équilibre de saveurs et d’harmonies d’ingrédients entre eux.

Il existe également une frange pure et dure de l’anti-manuel de cuisine. Là également, le curseur passe du léger au lourd. Catégorie poids plumes, on trouve Chicken : low art, high calories, soit 130 pages de photographies dégoulinantes et d’images graisseuses à souhait en hommage au Chicken shops, ces échoppes fast-food consacrées au poulet.

Plus allumé, Les Demoiselles de Vienne porte la patte de Pierre La Police et de Julien Carreyn. Ce duo d’artistes se fend de recettes trash sorties de deux cerveaux malades : merlouf, sandwich de riz, poisson mort à la mayo ou mohol. Les illustrations sont magistrales qui proviennent d’images bidouillées issues de catalogues d’art ménager seventies.

Mais la cerise sur le gâteau revient aux Editions de l’Epure qui propose des petites merveilles de livres de recettes basés sur un produit unique, façon gingembre ou noix. De façon assez drôle, un ouvrage complète la collection dans le sens du décalage. Intitulé Les Plats qui font péter, on le doit à Patrice Caumon. On y trouve 36 recettes pas tristes présentées en ces termes : « Votre ennemi mange chez vous ce dimanche soir et se prépare à une réunion importante lundi matin ? Vous aimeriez le savoir scotché sur le trône ou être pris de puissantes flatulences lors de ce rendez-vous professionnel crucial ? Ce livre est fait pour vous ! ». Tordu, le petit fascicule mise davantage sur l’agencement des recettes au sein d’un menu particulier plutôt que sur les trop faciles choux et autres cassoulets. En prime, l’auteur livre même les antidotes pour pouvoir partager le repas diabolique sans avoir à en subir les conséquences…

Michel Verlinden

Petits Larcins Culinaires, Claude Deloffre, Tana éditions.

Hot Dog, ou comment cuisiner les animaux de tout poêle, Elise Milicevic & Daniel Egnéus, Editions 1973.

Osez ! L’anti-manuel de cuisine de Juliette et Jean-Marie Baudic, Menu Fretin.

Chicken : low art, high calories, Siâron Hughes, mbp.

Les Demoiselles de Vienne, Pierre La Police et de Julien Carreyn, éditions Cornelius.

Les Plats qui font péter, Patrice Caumon, Les éditions de l’Epure.

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