Au Venezuela, le glacier aux mille saveurs obligé de fermer boutique

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On y trouvait des sorbets à l’ail, à l’avocat et même au poulpe: la créativité du glacier Coromoto, au Venezuela, lui a même valu d’entrer dans le Guinness des records pour l’éventail de parfums proposés, mais il a dû fermer ses portes, faute de lait et de sucre.

Lundi 4 septembre, le rideau a été baissé pour la dernière fois dans cet établissement ouvert en 1981 par Manuel Da Silva, un commerçant d’origine portugaise aujourd’hui âgé de 86 ans.

« On fait des efforts, on essaie de tenir au maximum, mais il arrive un moment où l’on ne peut plus résister », soupire José Ramirez, 56 ans, gendre de Manuel et dirigeant depuis deux décennies du petit commerce, un emblème de la ville andine de Mérida (ouest).

Il raconte le calvaire pour se fournir en matières premières dans ce pays pétrolier dont l’économie s’est effondrée quand les cours du brut ont chuté en 2014: « Cela fait des années qu’on souffre des pénuries et qu’on se fournit sur le marché noir. On n’arrive pas à obtenir de produits auprès de nos fournisseurs traditionnels ».

Jusque-là, le glacier finissait toujours par se débrouiller, « mais la situation s’est compliquée cette année ».

Car en 2017, le marasme économique s’est accentué, doublé d’une violente crise politique avec quatre mois de manifestations hostiles au président socialiste Nicolas Maduro, qui ont fait 125 morts.

‘Une idée folle’

A son ouverture, Coromoto avait tout du glacier traditionnel, avec quatre parfums classiques: vanille, fraise, chocolat, noix de coco.

Et puis un jour, Manuel a imaginé un sorbet à l’avocat. « Cela a été un succès ! », raconte José.

« Il a eu une idée folle et il a commencé à inventer, à essayer avec de la viande, du poisson, du chipi-chipi (un petit mollusque des Caraïbes, ndlr), de l’ail, de l’oignon ».

Bientôt l’imagination de Manuel n’a plus eu de limites. Son établissement est entré dans le Guinness des records en 1991 pour sa variété de parfums, 368 à l’époque. Et le glacier a continué d’innover, avec des haricots noirs, du piment, de la betterave… jusqu’à concocter une carte de plus de 860 parfums.

« Les gens venaient essayer des choses bizarres », se souvient avec un sourire nostalgique Luis Marquez, un jeune habitué de Mérida.

La boutique, chaudement recommandée par des guides touristiques et sites internet tels que Lonely Planet et Tripadvisor, est vite devenue une attraction à Mérida, une ville de 450.000 habitants connue pour abriter le téléphérique le plus haut du monde (4.765 mètres au-dessus du niveau de la mer).

« Ce glacier était une tradition depuis des années pour les touristes. Cela fait de la peine », se désole Mina Pérez, face aux portes en bois désormais fermées à l’entrée du local aux murs jaunes.

Ce qui a précipité la mort de Coromoto, c’est l’impossibilité de se fournir en lait et en sucre, deux ingrédients essentiels à la fabrication des glaces.

Manger une glace, un luxe

Les pénuries sont devenues le quotidien des Vénézuéliens alors que le pétrole ne finance plus les importations.

Rayons de supermarchés vides, queues interminables devant les pharmacies: chaque jour, trouver aliments ou médicaments est une course d’obstacles pour les habitants, également confrontés à la pire inflation au monde (720% cette année selon le FMI, plus de 2.000% en 2018).

Combinée à la pénurie des ingrédients, l’envolée des prix des matières premières a eu raison du glacier audacieux. Pour José, l’activité n’était plus rentable. Et impossible d’augmenter les tarifs, sous peine de faire fuir les clients.

« Nous essayions de maintenir des prix accessibles, mais manger une glace est un luxe pour beaucoup de gens », admet-il.

Les ventes ont chuté de moitié entre 2015 et 2016, puis de nouveau entre 2016 et 2017.

« Avant, en saison haute, c’était la folie, le glacier était plein. Mais ces temps-là sont révolus », se lamente le gérant.

Chez Coromoto, une glace avec deux boules coûtait 5.000 bolivars, soit 1,5 dollar au taux de change officiel. Une somme non-négligeable dans un pays où le salaire mensuel minimum est de 136.543 bolivars (40 dollars), complété par un bon d’alimentation de 189.000 bolivars (56 dollars).

Un couple avec deux enfants dépensait ainsi plus du sixième d’un salaire minimum pour déguster une glace chacun.

L’an dernier, les difficultés économiques avaient forcé la boutique à fermer ses portes trois mois, mais elle avait réussi à reprendre son activité.

José ose encore y croire cette fois-ci. « Pourvu qu’on puisse rouvrir ! », dit-il.

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