Création culinaire : Laurence Soetens, « nourritures terrestres »

© Laurence Soetens

Avec elle, la bouffe, c’est toute une histoire. Elle a l’art de scénographier des repas pleins de sens. Miam miam mode d’emploi.

Et si sa vraie vie avait commencé avec Kika ? Dans celle d’avant, elle avait grimpé aux arbres, épluché les patates et cuisiné aux côtés de sa maman. Elle avait aussi étudié les sciences économiques –  » dans ma famille, on fait ingénieur civil, science éco ou le droit, c’est le parcours, je ne savais même pas qu’autre chose existait  » – puis fait Communication à Louvain-la-Neuve. Elle avait tâté du journalisme à La Libre Belgique en commençant par les comptes rendus de matchs de hockey, elle en faisait, elle savait de quoi elle parlait. Elle avait ensuite étoffé sa palette des années durant, jusqu’en 2003 où elle avait décidé d’ouvrir son restaurant –  » Une utopie, la possibilité d’une liberté, d’un autre modèle économique, l’idée de changer de vie et d’inventer un endroit où les gens se sentiraient comme chez eux.  »

Inventer
Création culinaire : Laurence Soetens,
© Laurence Soetens

« Une végé-table, un tableau de légumes, posés à même la nappe, sur un film alimentaire. Gros avantage : il n’y a pas de vaisselle et le débarrassage se fait en deux secondes. Il faut juste prévoir un repas sans couteau, cela peut être chaud ou froid – mon métier, c’est de résoudre des problèmes spécifiques, là en l’occurrence la cuisine était trop exiguë pour préparer une entrée et un plat, j’ai trouvé la solution avec cette scénographie, qui est souvent une réponse esthétique et conceptuelle à des contraintes logistiques. »

En 2006, elle fonde Food Fiction, un  » service traiteur  » qui n’a rien de banal.  » C’est plus fort que moi, je dois donner du sens à ce que je fais « , explique-t-elle en plissant ses yeux aigue-marine, tout sera donc signifiant. Et comme elle est incapable de faire les choses à moitié, elle scénographiera à sa façon  » l’acte de manger « . Elle conçoit une première mise en scène, pour Fornasetti, elle lit tout ce qui existe sur l’homme qui fonda la société qui porte son nom, cet artiste milanais (1913-1988) qui fut tout à la fois peintre, graphiste, décorateur et inventeur fou.  » Comment lui rendre hommage sans tomber dans les travers ou les mimiques ? « , s’interroge-t-elle en potassant le cahier des charges. De lui, elle sait qu’il aimait les femmes, la liberté et qu’il fit en sorte, toujours, que les gens se rencontrent, elle tient le fil de sa narration : elle imprime en grand le portrait de la Dame à l’hermine de Leonard de Vinci, en fait une nappe recouverte de film alimentaire et dépose dessus les mets, les sauces et les cuillères. A manger ainsi à même la table, chacun recomposait le tableau et participait à une oeuvre collective qu’ils avaient photographiée à intervalles réguliers – le résultat se regarde sur son site, l’éphémère a laissé des traces. De même cette food fiction qu’elle créa pour le pavillon belge à l’Exposition universelle de Milan qui fit grand bruit : un repas sur le thème du gaspillage de la nourriture, avec tas de déchets, renard maraudeur, poubelles et mannequin la tête plongée dedans à la recherche d’une miette à se mettre sous la dent.  » Ce sujet me tenait à coeur, je me souviens que les restes de chez Kika, on ne pouvait pas les donner sous prétexte de normes d’hygiène et de rupture de chaîne du froid. Par contre, on pouvait les jeter à la poubelle… Une installation, cela peut aussi être politique.  »

Si elle a quitté Kika, au bout de dix ans, c’est parce qu’elle en était fatiguée, un peu déçue aussi, l’occasion de se donner à fond dans ses festins narratifs. Et de développer parallèlement une autre petite entreprise baptisée Web Fiction, ce n’est pas fortuit, qui répond à la question :  » Comment faire passer des messages avec le matériau de base qu’est le monde virtuel ?  » Aujourd’hui, elle planche sur un projet de site où il est question d’ADN, elle a appris à coder seule – html, php, css, elle connaît, on dirait même que ça l’amuse. Pareil quand elle joue les mannequins pour Marine Serre, étudiante à La Cambre tout fraîchement diplômée ou pour le créateur de sacs Eric Beauduin. Pourtant, elle avoue détester cela mais elle ne peut s’empêcher de s’entendre répondre  » oui « , parce que la première avait besoin d’une  » vieille  » pour son lookbook, elle sourit, et parce qu’avec le second, il fallait orchestrer une campagne de pub mini-budget, qu’il suffisait d’une idée, de la développer et qu’elle soit  » signifiante « . La vie comme un roman.

www.foodfiction.be

Détourner
Création culinaire : Laurence Soetens,
© Laurence Soetens

« C’est un « dîner dans la jungle », une installation inspirée du Monde d’Hermès. Ces sculptures qui servent de gourmands sont en réalité de bêtes bols trouvés dans un supermarché chinois, à moins de 1 euro. On les assemble avec de la colle forte, on les dispose comme des Lego et dans ces récipients détournés, on dépose des fruits, des légumes ou des cuberdons. Cela prend joliment la lumière et c’est la preuve que tout est toujours une question de regard posé sur les choses. »

Un soir, un an et demi de galère plus tard, Christophe Coppens passe par-là, elle s’en souvient,  » il a poussé la porte, il a mangé, il était seul dans la salle. Il avait alors une belle actualité et c’était la mode, dans la presse, de demander aux gens « connus » quels étaient leurs endroits préférés, il répondait toujours Kika. C’est parti comme une traînée de poudre « . Sa cuisine n’y est pas pour rien, ni son sens de l’accueil et de la mise en scène, déjà. Elle dit que cette enseigne lui a tout appris, que cela l’a  » ouverte sur le monde « ,  » transformée profondément « , qu’elle était  » une grosse conne humainement  » avant de l’ouvrir, qu’elle s’est humanisée  » terriblement « . Elle a aussi surdéveloppé son imaginaire, qui pourrait bien être  » une façon de transformer la réalité  » – et pourquoi pas ? Mêler les sens, le sensuel et le cérébral, détourner les codes, provoquer des électrochocs, stimuler la réflexion, c’est son rayon.

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© Laurence Soetens

« Une végé-table, un tableau de légumes, posés à même la nappe, sur un film alimentaire. Gros avantage : il n’y a pas de vaisselle et le débarrassage se fait en deux secondes. Il faut juste prévoir un repas sans couteau, cela peut être chaud ou froid – mon métier, c’est de résoudre des problèmes spécifiques, là en l’occurrence la cuisine était trop exiguë pour préparer une entrée et un plat, j’ai trouvé la solution avec cette scénographie, qui est souvent une réponse esthétique et conceptuelle à des contraintes logistiques. »

En 2006, elle fonde Food Fiction, un  » service traiteur  » qui n’a rien de banal.  » C’est plus fort que moi, je dois donner du sens à ce que je fais « , explique-t-elle en plissant ses yeux aigue-marine, tout sera donc signifiant. Et comme elle est incapable de faire les choses à moitié, elle scénographiera à sa façon  » l’acte de manger « . Elle conçoit une première mise en scène, pour Fornasetti, elle lit tout ce qui existe sur l’homme qui fonda la société qui porte son nom, cet artiste milanais (1913-1988) qui fut tout à la fois peintre, graphiste, décorateur et inventeur fou.  » Comment lui rendre hommage sans tomber dans les travers ou les mimiques ? « , s’interroge-t-elle en potassant le cahier des charges. De lui, elle sait qu’il aimait les femmes, la liberté et qu’il fit en sorte, toujours, que les gens se rencontrent, elle tient le fil de sa narration : elle imprime en grand le portrait de la Dame à l’hermine de Leonard de Vinci, en fait une nappe recouverte de film alimentaire et dépose dessus les mets, les sauces et les cuillères. A manger ainsi à même la table, chacun recomposait le tableau et participait à une oeuvre collective qu’ils avaient photographiée à intervalles réguliers – le résultat se regarde sur son site, l’éphémère a laissé des traces. De même cette food fiction qu’elle créa pour le pavillon belge à l’Exposition universelle de Milan qui fit grand bruit : un repas sur le thème du gaspillage de la nourriture, avec tas de déchets, renard maraudeur, poubelles et mannequin la tête plongée dedans à la recherche d’une miette à se mettre sous la dent.  » Ce sujet me tenait à coeur, je me souviens que les restes de chez Kika, on ne pouvait pas les donner sous prétexte de normes d’hygiène et de rupture de chaîne du froid. Par contre, on pouvait les jeter à la poubelle… Une installation, cela peut aussi être politique.  »

Si elle a quitté Kika, au bout de dix ans, c’est parce qu’elle en était fatiguée, un peu déçue aussi, l’occasion de se donner à fond dans ses festins narratifs. Et de développer parallèlement une autre petite entreprise baptisée Web Fiction, ce n’est pas fortuit, qui répond à la question :  » Comment faire passer des messages avec le matériau de base qu’est le monde virtuel ?  » Aujourd’hui, elle planche sur un projet de site où il est question d’ADN, elle a appris à coder seule – html, php, css, elle connaît, on dirait même que ça l’amuse. Pareil quand elle joue les mannequins pour Marine Serre, étudiante à La Cambre tout fraîchement diplômée ou pour le créateur de sacs Eric Beauduin. Pourtant, elle avoue détester cela mais elle ne peut s’empêcher de s’entendre répondre  » oui « , parce que la première avait besoin d’une  » vieille  » pour son lookbook, elle sourit, et parce qu’avec le second, il fallait orchestrer une campagne de pub mini-budget, qu’il suffisait d’une idée, de la développer et qu’elle soit  » signifiante « . La vie comme un roman.

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Raconter
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© Laurence Soetens

« Le mangeur est acteur d’une histoire qui s’adresse à ses cinq sens. Comme pour ce tableau olfactif créé pour le parfumeur Carlos Huber, qui s’invente des récits avant d’imaginer une fragrance. Il était question d’un homme qui marche dans un univers très minéral, de rapport entre nature et culture. J’ai posé là des fromages, des figues, des champignons crus et des pierres naturelles pour un brunch Senteurs d’ailleurs. »

A l’époque, elle n’a pas un rond en poche et emprunte son nom à Almodóvar, clin d’oeil à Victoria Abril qui, dans Kika,  » joue une présentatrice de télé qui filme les accidents trash, c’était un pied de nez au journalisme et à ce qu’il était en train de devenir « . Laurence Soetens garnit son chez-elle bruxellois, boulevard Anspach, avec ce qu’elle pioche dans la rue, sur les grandes poubelles –  » On y trouvait alors du mobilier des années 50, 60, 70 pour lequel j’ai toujours eu une affection.  » Elle ne veut pas que son Kika ressemble à un restaurant, tapisse les murs avec des motifs vintage, son fournisseur de vins lui balance :  » Mais vous avez encore beaucoup de travail ici, faut enlever cet affreux papier peint…  » Elle n’en a cure, elle attend le client de pied ferme, elle y croit, elle est patiente, très.

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Création culinaire : Laurence Soetens,
© Laurence Soetens

« C’est un « dîner dans la jungle », une installation inspirée du Monde d’Hermès. Ces sculptures qui servent de gourmands sont en réalité de bêtes bols trouvés dans un supermarché chinois, à moins de 1 euro. On les assemble avec de la colle forte, on les dispose comme des Lego et dans ces récipients détournés, on dépose des fruits, des légumes ou des cuberdons. Cela prend joliment la lumière et c’est la preuve que tout est toujours une question de regard posé sur les choses. »

Un soir, un an et demi de galère plus tard, Christophe Coppens passe par-là, elle s’en souvient,  » il a poussé la porte, il a mangé, il était seul dans la salle. Il avait alors une belle actualité et c’était la mode, dans la presse, de demander aux gens « connus » quels étaient leurs endroits préférés, il répondait toujours Kika. C’est parti comme une traînée de poudre « . Sa cuisine n’y est pas pour rien, ni son sens de l’accueil et de la mise en scène, déjà. Elle dit que cette enseigne lui a tout appris, que cela l’a  » ouverte sur le monde « ,  » transformée profondément « , qu’elle était  » une grosse conne humainement  » avant de l’ouvrir, qu’elle s’est humanisée  » terriblement « . Elle a aussi surdéveloppé son imaginaire, qui pourrait bien être  » une façon de transformer la réalité  » – et pourquoi pas ? Mêler les sens, le sensuel et le cérébral, détourner les codes, provoquer des électrochocs, stimuler la réflexion, c’est son rayon.

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Création culinaire : Laurence Soetens,
© Laurence Soetens

« Une végé-table, un tableau de légumes, posés à même la nappe, sur un film alimentaire. Gros avantage : il n’y a pas de vaisselle et le débarrassage se fait en deux secondes. Il faut juste prévoir un repas sans couteau, cela peut être chaud ou froid – mon métier, c’est de résoudre des problèmes spécifiques, là en l’occurrence la cuisine était trop exiguë pour préparer une entrée et un plat, j’ai trouvé la solution avec cette scénographie, qui est souvent une réponse esthétique et conceptuelle à des contraintes logistiques. »

En 2006, elle fonde Food Fiction, un  » service traiteur  » qui n’a rien de banal.  » C’est plus fort que moi, je dois donner du sens à ce que je fais « , explique-t-elle en plissant ses yeux aigue-marine, tout sera donc signifiant. Et comme elle est incapable de faire les choses à moitié, elle scénographiera à sa façon  » l’acte de manger « . Elle conçoit une première mise en scène, pour Fornasetti, elle lit tout ce qui existe sur l’homme qui fonda la société qui porte son nom, cet artiste milanais (1913-1988) qui fut tout à la fois peintre, graphiste, décorateur et inventeur fou.  » Comment lui rendre hommage sans tomber dans les travers ou les mimiques ? « , s’interroge-t-elle en potassant le cahier des charges. De lui, elle sait qu’il aimait les femmes, la liberté et qu’il fit en sorte, toujours, que les gens se rencontrent, elle tient le fil de sa narration : elle imprime en grand le portrait de la Dame à l’hermine de Leonard de Vinci, en fait une nappe recouverte de film alimentaire et dépose dessus les mets, les sauces et les cuillères. A manger ainsi à même la table, chacun recomposait le tableau et participait à une oeuvre collective qu’ils avaient photographiée à intervalles réguliers – le résultat se regarde sur son site, l’éphémère a laissé des traces. De même cette food fiction qu’elle créa pour le pavillon belge à l’Exposition universelle de Milan qui fit grand bruit : un repas sur le thème du gaspillage de la nourriture, avec tas de déchets, renard maraudeur, poubelles et mannequin la tête plongée dedans à la recherche d’une miette à se mettre sous la dent.  » Ce sujet me tenait à coeur, je me souviens que les restes de chez Kika, on ne pouvait pas les donner sous prétexte de normes d’hygiène et de rupture de chaîne du froid. Par contre, on pouvait les jeter à la poubelle… Une installation, cela peut aussi être politique.  »

Si elle a quitté Kika, au bout de dix ans, c’est parce qu’elle en était fatiguée, un peu déçue aussi, l’occasion de se donner à fond dans ses festins narratifs. Et de développer parallèlement une autre petite entreprise baptisée Web Fiction, ce n’est pas fortuit, qui répond à la question :  » Comment faire passer des messages avec le matériau de base qu’est le monde virtuel ?  » Aujourd’hui, elle planche sur un projet de site où il est question d’ADN, elle a appris à coder seule – html, php, css, elle connaît, on dirait même que ça l’amuse. Pareil quand elle joue les mannequins pour Marine Serre, étudiante à La Cambre tout fraîchement diplômée ou pour le créateur de sacs Eric Beauduin. Pourtant, elle avoue détester cela mais elle ne peut s’empêcher de s’entendre répondre  » oui « , parce que la première avait besoin d’une  » vieille  » pour son lookbook, elle sourit, et parce qu’avec le second, il fallait orchestrer une campagne de pub mini-budget, qu’il suffisait d’une idée, de la développer et qu’elle soit  » signifiante « . La vie comme un roman.

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