Freegan Pony, le restaurant déchétarien éthique, branché… mais illégal

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Au milieu d’un bloc de béton soutenant le périphérique parisien, une porte entrouverte: dans ce local municipal abandonné, des squatteurs menacés d’expulsion tiennent un restaurant « freegan » ou « déchétarien », dont le menu est concocté avec des invendus du marché de Rungis, l’un des premiers marchés de gros en produits frais au monde.

Dans une pièce de la taille d’une église – 1000 m2 et 8 mètres sous plafond – plongée faute de fenêtres dans une semi-pénombre, tables, canapés et tapis récupérés chez Emmaüs, éclairage minimaliste et musique douce donnent à l’endroit une chaleur qui contraste avec la froideur du béton. Autour du grand plan de travail, la dizaine de bénévoles du « Freegan Pony » s’affaire.

« Velouté céleri pommes noisettes », « gratin pommes de terre et légumes », « compote de pommes et chocolat »… Près du menu unique écrit à la craie sur le tableau figure la liste des « rescapés »: 110 kg de petits oignons, 52 kg de pommes golden, 56 kg de choux chinois… une liste chaque jour différente avec laquelle il faut improviser.

Le Freegan Pony à Paris
Le Freegan Pony à Paris© Belga Image

Ces aliments sont récupérés notamment le vendredi auprès des grossistes du marché de Rungis, près de Paris, qui donnent ce qui ne peut plus être vendu légalement mais reste comestible.

« C’est à chaque fois un petit défi de se dire qu’à partir de produits invendus, on va réussir à faire plaisir à 80 personnes », le nombre de couverts assurés chaque soir du vendredi au lundi, explique Floriane, la chef du jour.

Aventure quotidienne

Selon l’ONU, près d’un tiers de la nourriture produite dans le monde pour les humains est perdue ou jetée, soit approximativement 1,3 milliard de tonnes par an.

Les projets visant à récupérer cette nourriture gâchée se multiplient dans les pays développés. Le concept du restaurant cuisinant à partir de denrées rescapées des poubelles est notamment incarné par le Real Junk Food Project (RJFP), lancé en décembre 2013 à Leeds, dans le nord industriel de l’Angleterre, et qui a essaimé jusqu’en Australie et au Nigeria, avec désormais plus d’une centaine de cafés affiliés dans le monde.

Avec le « Freegan Pony », Aladdin Charni, squatteur en chef de 32 ans, explique vouloir « toucher des personnes qui ne connaissent rien au gâchis alimentaire ». Il se dit « freegan », contraction de « free » (gratuit) et vegan (végétalien, c’est-à-dire qui ne consomme pas de produit issu des animaux ou de leur exploitation), se veut plus pragmatique que militant et explique se nourrir dans les poubelles depuis sept ans. « Je mange mieux que tous mes amis », assure-t-il.

Freegan Pony, le restaurant déchétarien éthique, branché... mais illégal
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Voir la vidéo >>> Le scandale du gaspillage alimentaire

Queue de cheval, barbe semi-taillée et regard doux, Aladdin s’est lancé dans cette « aventure quotidienne » en misant sur « la foi et un brin de folie ». Les chefs, motivés par le défi, « n’ont pas de limites, ils sont autonomes », dit-il, « c’est la liberté! ».

Ce fouineur qui squatte depuis des années et occupe actuellement un logement à Aubervilliers, tout près de là, raconte avoir découvert en mai 2015 ce lieu où « il y avait des mètres cube de détritus, un centimètre de poussière… » Avec ses acolytes, il l’a aménagé en six mois pour ouvrir le restaurant en novembre.

Le manteau y est de mise, faute de chauffage. Mais cela ne freine pas la clientèle, des jeunes branchés pour la plupart. Chaque semaine, le site de réservation est pris d’assaut en quelques minutes. Un succès qui s’explique aussi par le tarif: les convives versent ce qu’ils veulent en partant. Pas de service, on vient chercher son plat au comptoir.

Relocalisation ?

Aladdin Charni n’en est pas à son coup d’essai: depuis son premier squat en 2010, il enchaîne les projets. Il y a notamment eu le très évocateur « Pipi Caca », des toilettes publiques abandonnées près d’une station de métro dans le centre de Paris qu’il a transformées en lieu de fête la nuit et d’exposition le jour.

Le « Freegan Pony », lui, doit son nom au « Poney Club », boucherie chevaline désaffectée du sud de Paris dans laquelle il a organisé des fêtes. La première version de ce restaurant pas comme les autres a eu lieu dans un squat du centre de la capitale française.

Pour que le projet tienne plus longtemps, il lui faudra survivre à l’épreuve de la justice: la mairie a engagé des poursuites et les occupants risquent l’expulsion. « Il est hors de question qu’on aille ailleurs », assure Aladdin au sujet d’une éventuelle offre de relocalisation de la mairie. Cette dernière, mal à l’aise vis-à-vis d’un projet éthique mais illégal, n’a pas souhaité répondre à l’AFP tant que l’affaire n’est pas tranchée devant le tribunal.

Au problème de sécurité mis en avant dans ce type de procédures par la municipalité s’ajoute un autre paramètre sensible: les déchétariens ont fait venir dans leur squat des migrants afghans, qui dorment sur la mezzanine qui jouxte l’espace principal…

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