La dernière fromagerie de Camembert fait de la résistance

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Dans le centre de ce bourg du nord-ouest de la France, perché sur une colline du bocage, le numéro un mondial des produits laitiers Lactalis a planté les drapeaux colorés de ses marques devant le musée consacré à l’histoire du camembert, symbole du « french way of life ». Le mastodonte agroalimentaire loue une partie des murs du musée à la commune.

Car Lactalis, qui a fait face cet été à une mobilisation nationale sans précédent des producteurs de lait exigeant un meilleur traitement financier, pèse de plus en plus sur le marché du camembert: il est récemment devenu le numéro 1 du Camembert d’appellation d’origine protégée (AOP), c’est-à-dire fait au lait cru et moulé à la louche.

« Les producteurs sont pris à la gorge, le circuit court est le seul moyen de s’en sortir », dit Nicolas Durand, 43 ans, à la tête de la ferme La Héronnière, à Camembert, et rare producteur de lait à faire lui-même son camembert.

Cet éleveur-fromager transforme plus de 90% du lait de ses 90 vaches en 700 à 800 camemberts par jour, contre 600 environ en 2000 – le reste du lait est collecté par un groupe normand. Son exploitation emploie sept salariés, soit quatre de plus qu’en 2015, explique-t-il.

Pour sentir le parfum effronté du camembert en fabrication, il faut suivre la rivière au pied de la colline, passer devant la stèle érigée « en l’honneur de Mme Harel 1761-1812 qui inventa le camembert » et rejoindre la ferme tenue par la famille Durand depuis 1961, fromagerie depuis 1987.

‘Le Durand, il envoie en goût derrière’

Ici, demander quelle est la différence entre un « Durand » et un camembert industriel est « une insulte », répond, en souriant, une employée.

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Non seulement le camembert y est labellisé AOP, mais il est de surcroît fermier. Autrement dit, « il est fabriqué avec le lait de nos vaches et non pas avec un mélange de lait de différentes fermes. C’est important pour le goût », précise Nicolas Durand.

« Le Durand, il envoie en goût derrière », dit un fromager de Caen, en Normandie, soulignant ainsi que les camemberts fermiers sont plus forts.

Un Durand est vendu 4,40 euros à la ferme et 5,60 euros chez ce fromager, contre moins de deux euros pour un camembert industriel de grande marque en hypermarché.

La bataille se joue sur les prix et la qualité, dans un marché du camembert de plus en plus tendu: les ventes totales ont baissé de 10% en 5 ans, à 52.528 tonnes en 2015, selon l’interprofession laitière (Cniel); mais dans le même temps, la production AOP a progressé de 16%, indique l’association des AOP laitières normandes.

Le géant Lactalis, lui, mise à la fois sur l’AOP, avec ses marques Graindorge et Jort, et sur le camembert non-AOP avec Président, Lepetit ou encore Lanquetot.

L’âme de la ferme

Derrière les murs de la fromagerie Durand, la scène est presque identique à celle aperçue sur le film en noir et blanc du musée – où Lactalis est présent, louant une partie des murs à la commune.

Les employés versent délicatement, à l’aide d’une louche, un lait caillé aux apparences de faisselle dans de petits pots où il sera égoutté pendant une demi-journée dans une salle chauffée (ou réfrigérée) à 32 degrés. Depuis l’époque de Marie Harel, les normes ont bien sûr évolué. Comme on lave désormais le pie des vaches, on perd quelques bactéries, des bonnes comme des mauvaises, et il faut notamment ajouter quelques ferments lactiques.

Mais le temps demeure un facteur clé. Une fois égouttés, les camemberts passent dans différents « hâloirs », soumis à des températures précises (entre 12 et 17 degrés). Ils sont salés et le fromage commence à « fleurir » grâce à la pénicilline: la croûte blanche comme neige s’y développe. Au total, la fabrication dure deux semaines et le fromage doit encore être affiné.

Aujourd’hui, la ferme peine à répondre à la demande et aimerait « d’ici cinq, six mois trouver un groupe – pas Lactalis – qui mette de l’argent et du personnel, et on se partagerait les gains », explique le producteur qui gagne 2.000 euros par mois avant remboursement d’emprunts.

Tourisme et investissements

L’idée est de développer le marketing pour attirer plus de touristes, dont les visites et dégustations sont rémunératrices.

Mais la quête du bon partenaire n’est pas simple. Des négociations viennent de capoter avec des investisseurs qui n’avaient pas tout l’argent promis, explique M. Durand à l’AFP.

Le producteur, qui entend rester actionnaire majoritaire à un peu plus de 50%, vient d’emprunter pour racheter la part de sa belle-soeur dans la ferme et cherche un repreneur pour la part son frère.

Le couple a en effet quitté la ferme pour ouvrir une fromagerie à Granville, près du Mont Saint Michel en juillet. Depuis, Nicolas Durand, jusqu’alors en charge du lait, pilote également la transformation.

Les propositions sont nombreuses et viennent parfois de loin (Chine, Russie), assure M. Durand.

Mais, comme avec son fromage, le fermier entend prendre son temps. « Les requins nous guettent. Mais je n’ai pas envie que ça devienne une usine à lait ici », dit-il. « Je veux une production fermière made in France ».

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