La harissa traditionnelle, vecteur d’émancipation pour les femmes

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Quand Najoua Dhiflaoui prépare la harissa traditionnelle, ce n’est plus seulement pour le plaisir de sa famille: avec plus de 150 autres agricultrices tunisiennes, elle exporte désormais son savoir-faire ancestral pour atteindre une autonomie financière.

En 2013, un groupe d’agricultrices de Menzel Mhiri, près de Kairouan, dans le centre rural et défavorisé de la Tunisie, lance une petite coopérative nommée Tahadi, qui signifie « défi » en arabe.

Najoua et les autres ont fait du « porte-à-porte pour convaincre des agricultrices d’unir leur savoir-faire et vendre ensemble leurs produits », explique la dynamique quadragénaire.

Grâce à un projet de soutien aux produits du terroir, ces femmes ont reçu des formations techniques, sanitaires et commerciales et préparent une harissa traditionnelle, un condiment tunisien dont la recette se perpétue « de mère en fille ».

La harissa est cuisinée à partir de piments séchés au soleil, d’épices fraîchement préparées et d’huile d’olive qui la conserve et en atténue le piquant. On la trouve quasiment dans toutes les assiettes de restaurateurs en Tunisie et elle est exportée par ailleurs dans une vingtaine de pays au total.

Petite gazelle

Depuis 2015, les agricultrices commercialisent leur harissa sous la marque Errim, un mot désignant en arabe une petite gazelle, symbole de beauté féminine. « C’est une manière de représenter la femme tunisienne, laborieuse, authentique et fière », sourit Najoua Dhiflaoui, dont le front perle de sueur sous l’effet de la chaleur.

Tahadi, qui compte 164 employées, est une des premières sociétés tunisiennes à faire travailler exclusivement des femmes rurales, selon un système de roulement: elles sont adhérentes et viennent à tour de rôle selon un emploi du temps flexible.

Dans un sobre laboratoire blanc où sont alignées quelques machines agroalimentaires de base, broyeur, malaxeur ou remplisseuse, elles enfilent blouse et gants pour laver et réduire en une pâte rouge les ingrédients récoltés localement.

Le rôle des femmes est essentiel dans l’économie tunisienne, reconnaît Farouk Ben Salah, expert chez Pampat, le projet d’accès aux marchés des produits du terroir lancé par l’ONU, la Suisse et le gouvernement tunisien.

« L’essentiel est de leur créer des occasions de travail dès que possible », ajoute-t-il.

Les productrices de harissa sont payées « un peu plus que le salaire agricole, environ une quinzaine de dinars » (cinq euros) par journée de travail, selon M. Ben Salah. D’autres effectuent à domicile des tâches qui génèrent de petits revenus, en nettoyant, vidant puis séchant sur le toit de leur maison les piments nécessaires.

Najoua Dhiflaoui est enthousiaste: « Ce travail permet aux femmes une certaine autonomie financière ». Elles sont « confiantes » et peuvent ainsi « aller de l’avant », assure-t-elle.

Depuis que la coopérative existe, les agricultrices « s’encouragent mutuellement pour imposer leur existence. Il n’y a pas que l’institutrice, le médecin, elles aussi peuvent travailler et sentir qu’elles ont une place dans la société. »

Plus de ‘liberté’

En Tunisie, les femmes des zones rurales sont particulièrement touchées par les discriminations de genre et la précarité. Si au niveau national le taux de chômage des femmes est de 22,5%, il dépasse les 35% pour les gouvernorats ruraux, selon un rapport de l’Institut national de la statistique (INS) en 2015.

Najoua Dhiflaoui ajoute que beaucoup de femmes employées chez Tahadi travaillaient auparavant dans les champs dans des « conditions pénibles » ou « attendaient que leurs maris ramènent de l’argent ». Cet emploi leur procure plus de « liberté » et « d’épanouissement ».

« Il y a une grande différence entre une femme qui a un salaire mensuel et une femme qui attend l’argent de son mari », approuve Chelbia Dhiflaoui, sa cousine qui travaille aussi chez Tahadi. « Elle se sent responsable, elle a une ambition à atteindre, elle travaille pour améliorer ses conditions de vie ».

Selon Farouk Ben Salah, le projet Pampat pourrait aider Tahadi à diversifier sa production, afin de fournir davantage d’emplois à des femmes rurales.

Et la harissa Errim commence déjà à se faire un nom: on la trouve en Tunisie dans les épiceries fines mais aussi en Suisse ou en Allemagne. Des commandes ont en outre été expédiées vers la France et l’Italie, et des discussions ont été engagées pour exporter vers le Canada.

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