Le fabuleux destin de la Villa Lorraine (2/2)

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Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Suite et fin de la conversation entamée la semaine passée avec Serge Litvine. Au détour d’une entrée – des gamberoni de Sicile en carpaccio aux cèpes, éclats de noisettes fraîches, zestes de citron vert -, Sylvestre Wahid, ancien chef de l’Oustau de Baumanière et du Strato à Courchevel, rejoint la tablée pour expliquer son actuelle mission au sein de la vénérable institution gastronomique bruxelloise.

Le Vif Weekend : est-ce que c’est ce goût du classique, certes modernisé, qui vous a guidé dans la décoration du lieu ?

Serge Litvine : Tout-à-fait. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai préservé la salle qui, à mon avis, est la seule du genre à Bruxelles. Ce grand espace rectangulaire plutôt parisien constitue l’âme du restaurant. J’ai demandé au décorateur Jacques Garcia d’en revoir la grammaire formelle. Là aussi, c’est parce que j’apprécie son travail que j’ai fait appel à lui. Je ne peux concevoir ce lieu qu’à travers une fidélité à ce qui me touche. Je serai incapable d’imaginer un concept qui serait entièrement formaté au goût du jour. L’assiette que nous dégustons est à l’image de cet esprit. Ces gamberoni sont de grosses crevettes rares, pêchées à plus de 100 mètres de profondeur au large de la Sicile. Je ne supporterais pas qu’un chef veuille en travestir le goût, ce serait aberrant. Avec Maxime Colin, le chef, nous avons une connivence sur ce genre de produit. Il en mesure le caractère exceptionnel et le respecte.

Depuis que vous avez repris l’enseigne, avez-vous le sentiment d’être compris par la clientèle traditionnelle de la Villa ?

Au départ, c’est certain, les clients habituels ont été interloqués. Quand c’est quasiment un rite, ne plus avoir son faisan avec de la crème, des frites et des chicons, ça surprend… Dans mon esprit, ce genre de concession n’est pas digne d’un restaurant gastronomique, cela ne s’inscrit dans aucune tradition. Cela ne veut pas dire que si vous demandez des frites vous ne les aurez pas, mais j’estime que cela ne peut pas être systématique. Beaucoup de clients venaient ici en se disant qu’ils étaient dans un trois étoiles, il a fallu remettre les choses à leur place…

Arrivée de Sylvestre Wahid.

Serge Litvine : Voilà l’homme qui apporte un souffle nouveau à la Villa, il trouve parfois que je suis vieux jeu (rires), je le taquine… Sylvestre a révolutionné le restaurant avec un élément tout simple : il a ajouté un passe. Comme il n’y en avait pas, la circulation en cuisine était chaotique. Cela a structuré l’endroit.

Connaissiez-vous la Villa avant d’être sollicité ?

Sylvestre Wahid : Oui, de nom. Il a fallu que je vienne sur place pour sentir le lieu. Une fois sur place, j’ai très vite senti ce qu’il fallait faire. C’est toujours le lieu qui décide de la cuisine.

Quelle était votre diagnostic ?

C’est un endroit avec un potentiel énorme qui a à sa tête quelqu’un possédant une vision. Ce genre de configuration n’a pas de prix. Je suis un facilitateur, ma mission est compliquée quand les gens qui m’appellent attendent tout de moi. Au départ, je suis resté quelques jours pour voir comment l’équipe fonctionnait. Ce qui est le plus difficile à changer dans un restaurant ce sont les mauvaises habitudes. Il faut associer rigueur et côté humain. La communication est la clé. Aujourd’hui, un chef ne doit pas être craint, il doit être respecté. S’il est craint, ce sera la bérézina dès qu’il aura le dos tourné. La peur n’est pas un modèle viable. L’idée est de faire tendre tout le monde vers le même but en faisant comprendre qu’il y a un capitaine qui donne le cap, le chef. Dans cette optique, l’instauration du passe-plat en cuisine a permis au chef de se créer un poste de pilotage. Du coup, il est obligé de rester à cet endroit et exerce un contrôle total, visuel, sur ce qui sort.

Votre mission se termine quand ?

A la fin du mois de décembre. Elle aura duré quatre mois au total.

Un mot sur votre parcours qui n’est pas banal. Il n’y a pas beaucoup de chefs pakistanais qui ont décroché quatre étoiles…

Mon vrai prénom est Shahzad, je viens d’une famille pachtoune. Nous sommes originaires de la ville de Kohat. Mon père est parti en Europe il y a 30 ans. Une fois installé en France, il nous a fait venir avec mon frère (Jawad devenu Jonathan) et mes deux soeurs. A 15 ans, j’ai quitté l’école et dis à mes parents que je voulais être chef. Ma mère était atterrée. Mon père, lui, l’a accepté… à condition que je devienne le meilleur. Je me suis formé aux côtés d’Alain Ducasse et de Thierry Marx, avant d’être approché par Jean-André Charial, le propriétaire de l’Oustau de Baumanière, qui était passé de 3 à 2 étoiles au Michelin en 1990. Mes conditions pour rejoindre son restaurant étaient les suivantes : choisir mon équipe, revoir la carte de fond en comble et emmener avec moi mon frère pâtissier. Il a dit oui. C’était en 2007. Jusqu’en 2014, l’Oustau dont j’avais la responsabilité, a conservé ses deux étoiles.

>>> Lire égalementLe fabuleux destin de la Villa Lorraine (1/2)

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