Le Mexique, pays riche en street food, mais paradoxalement hostile aux food trucks

Taco Truck mexicain © Flickr / Christopher Porter

Avec sa culture de nourriture de rue, Mexico distille quotidiennement ses odeurs de friture, de maïs grillé et de coriandre. Mais un vide juridique maintient à distance les food trucks, ces « camions gourmets » qui prolifèrent dans d’autres grandes villes comme New York.

Dans sa camionnette décorée de fleurs multicolores et marquée du mot « Nanixhe », qui veut dire « délicieux » en zapotèque (une ethnie indigène du sud du Mexique), le chef Luis Castillejos s’applique à préparer ses « tlayudas », de grands toasts de maïs fourrés de haricots, de viande séchée, d’avocat et de fromage, le tout arrosé de sauce piquante.

L’idée de ce food truck était d’apporter la gastronomie sudiste d’Oaxaca en différents endroits de la capitale « mais avec une touche gourmet », explique-t-il à l’AFP, tout en modulant le feu de sa gazinière professionnelle.

Castillejos souhaitait également travailler « dans un cadre légal », au contraire des stands de nourriture informels et souvent insalubres que l’on trouve à chaque coin de rue de la mégapole.

Mais son véhicule reste immobile. Depuis qu’il s’est lancé dans cette aventure il y a sept mois, « Nanixhe » est garé sur un terrain vague, parmi d’autres food trucks qui proposent sushis, burritos, jusqu’aux assiettes sophistiquées libanaises de viande d’agneau.

Corporatisme et complicités

Quand un food truck s’installe dans la rue, les policiers ou les autorités locales débarquent peu après, se plaint Fernando Reyez, président de l’association Foodtrucks DF, qui regroupe quelques dizaines des 300 véhicules de ce type recensés dans la capitale.

Pourtant les camions gourmets se développent « de Tijuana (nord) jusqu’à Cancun (sud-est) », mais nulle part « nous ne pouvons opérer de façon libre et légale comme cela se fait dans d’autres métropoles comme New York et Paris », regrette-t-il.

Car si l’assemblée législative a vu passer différents projets de loi visant à réglementer et autoriser les food trucks, tous sont restés lettre morte du fait du « corporatisme et de complicités » entre les autorités et les leaders des vendeurs ambulants, selon Priscila Vera, ex-députée du Parti action nationale (PAN) qui a soutenu l’une des propositions de loi.

Le manque de réglementation concernant les commerces ambulants « donne un pouvoir discrétionnaire » aux autorités pour délivrer les permis, indique-t-elle.

Dans les faits, la majorité des food trucks de Mexico sont obligés de se regrouper à l’écart des rues ou de ne fonctionner qu’à l’occasion d’événements spéciaux, de concerts ou de fêtes privées.

Mais en versant des pots-de-vin et en participant à des manifestations « pour soutenir le pouvoir en place », certains vendeurs ambulants obtiennent des autorités « qu’elles ferment les yeux », assure Mme Vera.

Ces vendeurs ne sont pas déclarés et travaillent du lundi au vendredi sur les trottoirs de la ville, dans des conditions sanitaires médiocres.

Réseauxsociaux

Que les food trucks soient tenus à l’écart ou non, la clientèle est au rendez-vous et ce commerce fonctionne. Certains patrons ont indiqué à l’AFP faire autour de 200 ventes par jour en semaine, 400 le week end, voire 1.000 pour un évènement spécial.

Ces camions représentent une offre « originale », en semaine « il n’y a pas beaucoup de lieux pour manger varié près du bureau… », commente Miguel Mendoza, un comptable de 39 ans tout en dégustant un ceviche « à un prix raisonnable » dans l’un des camions gourmets garés sur un terrain vague.

Face aux obstacles administratifs, les réseaux sociaux Twitter, Facebook, Periscope et Instagram constituent la meilleure arme des entrepreneurs qui se sont lancés dans les food trucks.

C’est « le moteur fondamental du commerce, 90% de nos clients ont vu une de nos campagnes » sur les réseaux, où sont indiquées le lieu et l’heure où le camion sera stationné, explique Jorge Udelman, qui possède 20 années d’expérience comme chef.

Dans son combi bleu turquoise au style vintage, ce Vénézuélien défend sa cuisine, vantant une « expérience différente »: il propose un pain de maïs garni de poulet et de mayonnaise à la coriandre, un plat typiquement vénézuélien.

Dans leur grande majorité, les détenteurs de food trucks sont des entrepreneurs âgés de 20 à 35 ans qui savent utiliser les réseaux sociaux pour maintenir à flot leur commerce, dont l’investissement de départ est de 24.000 à 120.000 dollars (21.000 à 106.000 euros).

Ils veulent simplement « travailler en payant des impôts », indique Fernando Reyez, qui milite pour que la législation soit revue.

Nulle raison qu’il en soit autrement: ils respectent les normes, avec « cuisine en acier inoxydable, électricité, réservoir d’eau, usage de gants », souligne Reyez.

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