Les vins d’Alsace rouges ambitionnent de « prendre la place » des Bourgogne

Jean-Pierre Frick pose avec un verre de Pinot Noir de sa production (biodynamique) à Pfaffenheim, en Alsace, octobre 2015 © Belga Image

Célébrée pour ses grands vins blancs, l’Alsace est en quête de reconnaissance pour ses rouges à base de pinot noir, qui ont de moins en moins à pâlir face aux grands pinots de Bourgogne.

« A rendement égal on peut faire aussi bon qu’en Bourgogne », lance, bravache, Jean-Pierre Frick, en brandissant un pinot noir d’un rouge profond et tanique, tiré d’un foudre, gros tonneau de chêne centenaire, dans sa cave de Pfaffenheim, près de Colmar.

« Notre climat est presque plus favorable que le leur, et on a aussi des sols magnifiques en Alsace », ajoute ce vigneron qui produit, sur les terroirs calcaires Strangenberg et Rot Murlé, des rouges bio à faibles rendements. La complexité des sols alsaciens est d’ailleurs très similaire à celle de la Bourgogne, les deux régions se situant dans une continuité géologique.

Dans le marché mondial, les vins alsaciens bénéficient aussi d’un atout de taille, hérité de la tradition allemande: celui de pouvoir faire figurer le nom du cépage sur l’étiquette, comme les vins du Nouveau monde.

Seul cépage de rouge cultivé en Alsace, le pinot noir souffre pourtant actuellement d’un handicap commercial majeur: il ne peut pas être vendu sous l’appellation « grand cru », quand bien même il est cultivé sur une parcelle classée.

Cette exclusion s’explique entre autres par la « relative condescendance » avec laquelle étaient encore regardés il y a quelques années les rouges d’Alsace, explique Frédéric Bach, directeur de l’Association des viticulteurs d’Alsace (AVA): il s’agissait souvent de vins dilués par de forts rendements, « légers et gouleyants, qui naviguaient entre le rouge et le rosé », généralement servis très frais.

La règle pourrait peut-être changer: avec une quinzaine d’autres domaines, la maison Muré va demander avant la fin de l’année à l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité) le droit d’étiqueter « Grand cru » des rouges de trois terroirs classés: Vorbourg, Hengst et Kirchberg de Barr. Et d’autres demandes sont en préparation.

Nouvelle étape

Réputés dans toute l’Europe au Moyen-âge, les rouges d’Alsace reviennent de loin: de 2% du vignoble régional en 1969, les surfaces plantées en pinot noir ont été multipliées par huit depuis, pour représenter à peu près 10% du vignoble aujourd’hui.

La qualité aussi a évolué et « de plus en plus de vignerons produisent des vins plus musclés, plus charpentés », en faisant macérer les raisins plus longtemps, ce qui colore aussi davantage, et en réduisant les rendements, relève Frédéric Bach.

Le constat est partagé par Romain Iltis, meilleur sommelier de France 2012, qui octroie une large place aux rouges d’Alsace sur sa carte de la Villa Lalique, restaurant gastronomique du nord de l’Alsace. Selon lui, « on est passé aujourd’hui à une nouvelle étape », de plus en plus de vignerons s’engageant sur les voies ouvertes par quelques pionniers en Alsace.

Parmi eux Jean-Michel Deiss, qui élabore depuis 40 ans un rouge puissant et volcanique sur la colline du Burlenberg à Bergheim, un terroir calcaire assez similaire à celui des Côtes-de-Nuit. « Ma passion pour le rouge du Burlenberg a changé mon regard sur la façon dont on fait du vin », souligne Jean-Michel Deiss, qui s’attend désormais à une « révolution » qualitative en Alsace avec la montée en puissance des rouges.

« Le pinot noir est un cépage tellement fragile qu’il ne supporte pas la médiocrité », ce qui demande de gros efforts pour obtenir une production de qualité, confirme le sommelier Romain Iltis.

Une place à prendre

Chez Muré, les rouges sont élevés en barriques de chêne achetées en Bourgogne. « Mais on n’est pas obligé de passer par du bois neuf, on est là aussi pour créer notre diversité », estime Jean-Pierre Frick, qui privilégie pour ses rouges des foudres anciens, traditionnels en Alsace, plus neutres en goût que les barriques neuves.

« La Bourgogne reste le modèle: c’est là que sont produits les plus grands pinots noirs du monde », juge Romain Iltis, comme un grand nombre de spécialistes mondiaux du vin. Toutefois, à côté de certains très bons pinots noirs de l’Oregon ou de Nouvelle-Zélande, ceux d’Alsace « ont une carte à jouer », estime le sommelier.

Alors qu’en Bourgogne les vins de Beaune, Pommard et Volnay, décimés ces dernières années par plusieurs épisodes de grêle, « s’échangent à des prix rédhibitoires, il y a une place à prendre pour les rouges d’Alsace », juge Jean-Michel Deiss. « Il y a une forte demande mondiale sur le pinot noir », confirme Véronique Muré, dont les rouges, depuis quelques années, sont régulièrement en rupture de stock.

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