Madrid Fusion, lorsque le cuisinier devient fermier

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Pour sa onzième édition qui s’est achevée ce 23 janvier, Madrid Fusion le grand congrès mondial de la gastronomie et le rendez-vous annuel des chefs du monde entier a été d’abord marqué par la montée en puissance des cuisines d’Amérique du Sud.

De l’invité d’honneur, l’état brésilien de Minas Gerais (qui voisine Sao Paulo et Brasilia) à la Colombie, en passant par le Pérou ou l’Argentine, le podium a révélé une nouvelle génération de chefs totalement au fait des techniques de la cuisine d’avant-garde. Ils appliquent celles-ci à de nombreux produits – légumes, fruits, céréales, poissons … – qui nous sont pour la plupart encore exotiques. A l’autre bout de la mappemonde, la cuisine coréenne reste la one to watch.

Le thème de l’édition 2013 affirmait : « La créativité espagnole continue. » Ce slogan un tantinet incantatoire ne peut cependant combler l’immense vide laissé par le retrait des affaires – temporaire – de Ferran Adrià.

Il est vrai que l’Espagne compte encore de très bons cuisiniers, ceux qui ont depuis le début des années 2000 bousculé le landerneau et enthousiasmé le monde par leur générosité, celle du partage de leurs connaissances acquises et innovations techniques.

Force est cependant de constater que la créativité espagnole trouve cette continuité davantage hors des frontières de la Péninsule ibérique, à une grande exception près : les frères Josep, Joan et Jordi Roca (photo), du Celler de Can Roca à Girone, les actuels numéros 2 du classement mondial 50 Best. La présentation de Joan Roca a confirmé en effet la grande sensibilité d’une cuisine goûteuse, belle et sensible.

Une autre créativité s’est installée au sein de la cuisine mondiale. On l’a croisée autant en Amérique du Nord et du Sud qu’en Europe. L’école scandinave du « mangeons local » incarnée par Noma à Copenhague continue de faire école. De la Pologne à la Colombie en passant par la Suisse, l’Autriche, l’Angleterre,… nombre de chefs mettent en avant, vidéos sophistiquées à l’appui, leur jardin, leur ferme, l’immensité de leur environnement naturel immédiat. Avant de commencer à cuisiner, ils sont bûcherons, éleveurs, horticulteurs, chasseurs ou pêcheurs, cueilleurs, ou sont entourés par une armée de fournisseurs locaux, avec l’obsession d’être locavores, saison après saison.

Parmi toutes ces cueillettes, qu’elles soient effectuées dans la nature ou dans le potager, une autre tendance s’affirme, celle de rechercher la saveur dans les jeunes ou petites pousses, du micro panais à la mini betterave, en passant par les feuilles à peine sorties de terre.

Un dernière vedette s’est invitée tout au long de ce congrès : c’est la crise qui dérange et bouscule beaucoup d’ordres établis. Chacun tente d’y faire face, avec plus ou moins de bonheur. Madrid Fusion n’a pas échappé à quelque dérapage, le plus dérangeant étant réalisé par le numéro 3 mondial lui-même : Andoni Aduriz du restaurant Mugaritz à San Sebastian. Devant le grand auditoire, il s’est livré à une démonstration publicitaire d’un nouveau produit lancé sur le marché ibérique, des sprays de pâtes préparées qui vous permettent d’exprimer des blinis, des churros, de la crème pâtissière on appuyant … On ose à peine imaginer l’empreinte carbone négative de tels gadgets culinaires. Fortement critiqué, le chef qui s’était construit une image de défenseur du développement durable a définitivement tourné le dos à ses premières amours.

Autre grosse déception, le chocolatier français installé à Bruxelles Patrick Roger qui s’est limité à un exposé égocentrique, sans partager aucune de ses connaissances avec son auditoire, ce qui est en définitive la raison d’être de tels congrès.

Pour terminer, on notera la présence remarquée de deux Belges. Le chocolatier brugeois Dominique Persoone et Bernard Lahousse, le créateur du foodpairing, qui a appliqué ce concept pour des mariages assez originaux avec les crus de cafés de Colombie.

Jean-Pierre Gabriel, depuis Madrid.

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