Nan, restaurant tenu par des réfugiés ayant choisi de rester à Lesbos, en Grèce

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« Cuisiner c’est mon rêve, et j’aime Mytilène »: Hafiz, un Pakistanais de 32 ans, n’aurait dû faire qu’une escale à Lesbos sur la route du nord de l’Europe. Contraint d’y rester par l’accord UE-Turquie, il est désormais chef à plein temps au restaurant associatif Nan.

Pimpant, avec ses chaises vertes et son mur jaune, Nan (« pain » dans différents pays d’où viennent les exilés), accueille une clientèle attirée par d’appétissants cheikh al-mahchi (courgettes farcies) syriens, korma de poulet pakistanais, bolani (pain farci) afghans ou koyo wot (boeuf) éthiopiens.

« C’est délicieux! commente Konstantin Flemig, un journaliste allemand habitué des lieux. On a pris six plats à deux, il n’est resté qu’un petit morceau de feta! ».

Nan participe cette semaine, comme une centaine d’autres restaurants en Europe et au-delà, au « Refugee Food Festival », qui met à l’honneur pour la troisième année consécutive des chefs réfugiés, en partenariat avec le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR).

Mais contrairement à la plupart des évènements du festival qui consistent pour un restaurant à accueillir un cuisinier réfugié pour un jour ou deux, l’équipe de Nan est permanente, depuis son ouverture le 29 mars.

Nouvelle famille

Cuisinant derrière le comptoir qui la sépare de la salle, Howeda Ebrahem, une Syrienne de 30 ans, vit depuis un an et demi à Lesbos, avec son mari, employé aussi par une ONG, et leurs filles de 11, 9 et 4 ans, scolarisées avec les enfants grecs.

Nan, restaurant tenu par des réfugiés ayant choisi de rester à Lesbos, en Grèce
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Elle ne compte plus bouger de Lesbos: « Je voulais simplement un endroit sûr pour ma famille, et ici j’ai aussi trouvé une nouvelle famille ».

Hafiz Abdul Waris, le chef, était guide touristique à Lahore qu’il a fui pour échapper aux talibans.

Il est arrivé à Lesbos en mars 2016, juste avant l’accord UE-Turquie prévoyant le renvoi en Turquie de tous les arrivants sur les îles grecques qui ne déposeraient pas de demande d’asile, ou en seraient déboutés.

Dans l’attente de la réponse, seuls les plus vulnérables ont le droit de gagner la Grèce continentale.

Les tensions sont ainsi fortes sur ces îles qui hébergent actuellement 17.352 réfugiés, dont 9.584 à Lesbos, pour une capacité d’hébergement moitié moindre.

Hafiz, lui, a obtenu l’asile, a un logement, et ne rêve que d’accueillir à Mytilène son épouse et sa fille de 8 ans.

La serveuse, Ovileya Javed, 22 ans, une transsexuelle du Bangladesh, vient elle aussi d’obtenir l’asile. Harcelée, violée dans son pays, elle vit aujourd’hui à Mytilène avec son petit ami pakistanais dans un appartement du HCR.

Intégration et co-existence

« Ici nous sommes tous égaux, on m’a toujours considérée comme une femme, merci à ces gens qui m’ont ouvert les bras », sourit-elle.

Nan a été fondé par quatre amies de Mytilène. Depuis le grand exode de 2015-2016 qui a vu un million de réfugiés traverser la Grèce via ses îles, elles cherchaient comment aider à la fois les réfugiés et la population locale.

Nan, restaurant tenu par des réfugiés ayant choisi de rester à Lesbos, en Grèce
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L’une d’elles a fourni le local, et le reste vient de donations. « Mais ni du gouvernement ni de l’UE », relève auprès de l’AFP Lena Altinoglou, l’âme du projet.

Depuis l’accord UE-Turquie « intégration et co-existence sont devenus le coeur de notre projet », remarque-t-elle. Or Nan « est un magnifique exemple de co-existence », souligne Theo Alexellis, un des représentants du HCR sur Lesbos.

Economies et écologie y vont de pair. Les tables ont été fabriquées avec des palettes, le reste du mobilier est d’occasion, l’utilisation du plastique est limitée et il n’y a pas de four à micro-ondes. La priorité est donnée aux produits locaux et issus du commerce équitable.

Les surplus sont redistribués aux habitants ou à d’autres réfugiés.

Pour accoutumer la clientèle locale, Nan a même recruté une fine cuisinière de Mytilène, Eleni Varsaki, qui aide à adapter la cuisine orientale au goût grec.

« Nous utilisons les mêmes épices, constate-t-elle, mais la différence c’est qu’ils en mettent davantage ».

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