Notre personnalité 2010: David Martin, aux origines du goût

Le talentueux chef David Martin (La Paix, à Anderlecht) est désormais à la tête de Bozar Brasserie. Une bonne raison pour élire ce fou du goût vrai Personnalité de l’année du Vif Weekend.

David Martin (La Paix, à Anderlecht) fait parler de lui sur la planète gastronomique belge. Désormais, le talentueux chef est à la tête de Bozar Brasserie, le restaurant dessiné par Victor Horta au sein du Palais des beaux-arts de Bruxelles. Une bonne raison pour élire ce fou du goût vrai Personnalité de l’année du Vif Weekend. Par Jean-Pierre Gabriel
Roland Obbiet prend, comme à son habitude, les commandes et s’offre deux mots de liberté avec les habitués. Deux mots, pas plus : ce midi, comme tous les jours de la semaine, la salle de La Paix est pleine et les choses sont menées bon train. Dans la cuisine ouverte, son beau-fils David Martin, entouré de ses cuisiniers, tout de noir vêtus, se préparent à un coup de feu qui laisse peu de temps aux soupirs. Un service en apnée en quelque sorte, parfaitement géré, pour une qualité hors norme dans l’assiette. « Je me fais parfois injurier au téléphone, pour les réservations du vendredi soir (la seule soirée où la brasserie gastronomique est ouverte), confie Roland. Quand on me demande une table de six et que je dois répondre qu’on est complet jusqu’en juin 2011, les gens ne me croient pas. »

Roland et Jeannine Obbiet ont laissé depuis quelques années déjà les rennes de leur institution anderlechtoise à leur fille Nathalie et à son cuisinier de mari, David Martin. Arrivé aux fourneaux voici six ans environ, David n’a pris que quelques mois pour trouver ses marques : une année après son entrée en scène, La Paix était déjà l’endroit dont tout le monde parlait. Les raisons de ce succès ? La cuisine gastronomique de brasserie qu’on y propose, tout simplement goûteuse, fait le pari de la simplicité et de la relation évidente entre un produit et la manière dont il apparaît dans l’assiette. Comme ces potimarrons, tout « naturellement » cuits au four au charbon de bois, après avoir été abondamment enduits de beurre. Ce parti pris – qui a le courage d’être très personnel – ce grand chef l’a affiné tout au long de son parcours.

Des débuts rock’n’roll
Dans la vie, tout est formateur : un grand-père maternel modeste mitron au Pied de Cochon à Paris, un oncle restaurateur à Royan ou, plus largement, de nombreux parents espagnols, du côté de son père, ayant émigré en Amérique du Nord où ils sont actifs dans la restauration. Le père de David Martin, Felix, a échappé à ce destin familial. Guitariste, chanteur, croque-mort à ses heures perdues, électricien et commentateur de rugby, il a apporté à son fils une valeur importante, celle du travail. « Il bossait 7 jours sur 7 et n’arrêtait jamais… », raconte le chef.

Seul garçon d’une fratrie de six enfants, David suit dans un premier temps les traces de son père : il devient musicien et chanteur dans un groupe punk rock ! « J’avais une double iroquoise bleue sur la tête et les bras pleins de tatouages, que j’ai fait enlever au laser il y a dix ans. Je n’étais vraiment pas un cadeau », se rappelle-t-il. Élève plus que récalcitrant, David prend la voie de l’apprentissage. Il commence en pâtisserie, auprès d’un compagnon du tour de France, dans un restaurant de Fumel (Lot-et-Garonne), sa ville natale. Un passage chez un boulanger s’ensuit et, le voilà « recadré ». Il entreprend l’école hôtelière, réussit et se fait engager dans un restaurant, le Puits Saint Jacques (Gers), qui conquiert sa première étoile, alors qu’ils sont deux en cuisine, le chef et lui. « On travaillait jour et nuit. »

Le chef en question lui trouve ensuite une jolie place à Londres, au Hyde Park Hotel, le palace privé de la reine d’Angleterre. « J’arrivais dans une cuisine où il y avait cinquante cuisiniers, une vraie brigade. Ce fut le paradis : cette discipline m’a plu, m’a structuré. La cuisine fonctionnait comme un petit village. Il y avait le boucher qui recevait ses demi-carcasses, les palettes de poisson pour le poissonnier… J’ai terminé chef de partie mais je ne savais pas encore pourquoi je prenais du plaisir à faire ce métier. »

Un apprentissage humain
Par la suite, David postule dans des 3-étoiles comme simple commis. C’est Alain Passard, de L’Arpège, à Paris, qui l’engage. Il commence en pâtisserie, dans une cave de 5 mètres sur 2, avec le four à pain qui monte à 350 °C deux fois par jour. Passard repère le bosseur, le fait monter en cuisine, le teste à différents postes, pour lui confier le « passe » quelques mois plus tard, en général réservé au chef lui-même. Il a alors 22 ans. Les deux années passées auprès de celui qui fut déclaré meilleur rôtisseur de France vont marquer David pour toujours. « Passard était pâtissier de formation. Chez lui, je touchais la pâte du pain, je faisais les crèmes anglaises, les feuilletages. Je ne connais personne qui sait les cuire comme lui. Il a d’ailleurs inventé le feuilletage inversé au chocolat, comme le carpaccio de langoustine avec crème de caviar, souvenir de son passage à Bruxelles, lorsqu’il était chef au Carlton. »

En cuisine, David apprend à cuire les viandes, les poissons. « Pour une sole, on place une cuillère sous la queue, et on lève au fur et à mesure pour éviter de trop cuire les sections les plus minces. C’est chez Alain Passard que j’ai appris qu’on sale différemment selon l’épaisseur du morceau. Sa cuisine est tellement logique. Mais il m’a aussi beaucoup apporté sur le plan humain. À l’époque, j’étais très méchant, un sale connard. Je hurlais du matin au soir. Un jour il m’a appelé et m’a dit que j’allais avoir une crise cardiaque, que ce n’était pas comme cela qu’on devait travailler. »

Lorsqu’il quitte l’Arpège, David Martin passe brièvement au Jules Verne, le restaurant de la tour Eiffel, puis postule dans le groupe des hôtels Méridien. On pense d’abord l’envoyer à Barcelone, puis à La Nouvelle-Orléans. Mais c’est à Bruxelles qu’il atterrit, pour ouvrir le restaurant l’Épicerie. Il gagne d’entrée de jeu le prix Prosper Montagné du meilleur cuisinier de Belgique et conduit l’enseigne à un 16/20 au GaultMillau. « Pendant mes sept années et demi passées au Méridien (et quelques mois au Vignoble de Margot à Bruxelles également), j’ai travaillé les épices. Passard, lui aussi, en use beaucoup. Ses saveurs de référence sont girofle, café, muscade, vanille, menthe, citron, mandarine, réglisse. J’ai continué dans cette lignée. Maintenant encore, dans la carte de La Paix, j’ai parfois du mal à me détacher de ce qui vient de chez lui. Les légumes rôtis c’est le nirvana selon Passard, comme le poulet au foin. Et la bisque de crabe au café m’a aussi été inspirée par lui. »

Retour aux fourneaux
Jean-Pierre Bruneau du Vignoble de Margot vient alors le dénicher. Le 3-étoiles bruxellois de l’époque cherche un chef et, dans la foulée, un successeur. « Ce fut la claque. C’était comme retourner à l’école. Au Méridien, j’étais chef exécutif. J’avais vingt-cinq cuisiniers sous mes ordres. J’étais devenu un administratif et, chez Bruneau, je me suis retrouvé à nouveau aux fourneaux. »

Là, David apprend des classiques : la mousseline, les bouillons de légumes, les terrines et les sauces de gibier. « J’ai aimé sa cuisine pour sa grande modernité, ses notes d’acidité et, surtout, son goût. J’ai avant tout appris la gestion d’un restaurant, faire le marché, le coût des marchandises, la rigueur du rangement. » Certaines recettes du chef bruxellois le marquent, comme cet émincé de bar de ligne cuit à la vapeur, avec un pied de porc pressé qui fond dessus et une vinaigrette à l’échalote et aux truffes. « C’est de là qu’est né le croustillant de pied de porc qui est à la carte de La Paix. La cuisine de Bruneau s’est associée à celle de Passard. Le second se retrouve dans les entrées, le premier dans les plats. »

Lorsqu’il fait le marché, le mardi aux abattoirs d’Anderlecht, pour le compte de Jean-Pierre Bruneau, David Martin a pour habitude de prendre son petit-déjeuner à La Paix, la brasserie toute proche. Il y rencontre Nathalie Obbiet, la fille de la maison. Un nouveau chapitre de sa vie et de celle de ce restaurant commence.

« Mes beaux-parents s’étaient constitué une très belle clientèle. Durant les premiers mois où je suis passé en cuisine, j’ai exécuté leur carte. Certains de mes collègues se sont dit que j’allais me cantonner à l’américain-frites », confie-t-il. Alors qu’il aurait aussi pu se laisser tenter par le « moléculaire », une tendance qui battait son plein, ou opter pour un restaurant gastronomique, David décide de fonder sa signature sur des produits de très grande qualité. Dans les caves de La Paix, à côté de la cuisine, une petite chambre frigorifique lui permet de poursuivre la maturation des viandes de boeuf, de leur donner du goût. Il affine quelques plats de brasserie : la cervelle de veau, le croustillant de pieds de porc. Il revisite les escargots à l’ail… Mais le style David Martin éclate totalement lorsqu’il décide de faire monter la cuisine dans la salle du restaurant et de jouer chaque service devant son public, à guichets fermés s’entend ! Le chantier est important mais l’esprit ancien de la salle est maintenu, avec son brouhaha typique des lieux informels et affairés. Tout l’effort se concentre sur la cuisine, haut de gamme à plusieurs niveaux. David y fait installer un four au charbon de bois, le Josper, qu’il a découvert en Espagne et qui lui permet de griller et rôtir en même temps, à 350 °C.

Deux lieux, une philosophie
En cette fin 2010, l’actualité de David Martin s’est déplacée des abattoirs d’Anderlecht vers le centre de la ville. Pour l’arrivée de l’hiver, il s’offre une seconde adresse dans la capitale, au restaurant du Palais des beaux-arts. La salle Horta, magnifiquement réhabilitée, sert d’écrin à cette autre interprétation de la brasserie gastronomique. Le comité d’experts qui a sélectionné le chef a certainement été séduit par ce souffle nouveau qu’il incarne. De plus, le style informel et décontracté qui règne à La Paix se prête bien au raffinement d’un public soucieux de se cultiver. Ouvert depuis ce 11 décembre, le Bozar Brasserie s’inspire donc de la table anderlechtoise, dans la forme – même cuisine ouverte (la première table se trouve à 1 mètre du fourneau) et même four Josper – mais aussi dans l’assiette – David Martin utilise ici les mêmes produits et fournisseurs triés sur le volet, que l’on parle de viande, de seiches de Biarritz ou d’oeufs de la ferme des Coudriers. Le menu élaboré pour l’ouverture affiche une série de plats nouveaux comme ces légumes « imprégnés » à l’aide d’une marinade aux accents japonisants, un parmentier de crémeux de boeuf carotte braisé « à la cuillère », un vitello anguilo Bozar avec crème d’avocats et même une croquette de crevettes revisitée. « On retrouvera cependant des plats communs aux deux adresses tels que l’entrecôte de boeuf Simmental de Bavière grillée au Josper comme à La Paix, béarnaise au beurre fermier ou le pain perdu. » David Martin, qui s’est constitué une équipe de fidèles seconds, ne sera toutefois pas seul aux fourneaux. « Nous avons engagé deux chefs qui, avec le temps, s’exprimeront à leur manière, en respectant la philosophie de La Paix. » Et celle-ci est toute simple : « Ma cuisine, c’est ce que j’aime manger à la maison, tous les jours. »

Quatre recettes de David Martin

Poulet en croûte de cacao

Potimarron rôti

Terrine de faisan et lentilles vertes

Légumes en marinade

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