Pascal Devalkeneer: Cela est juste et beau

© J. Pohl

À 45 ans, le chef étoilé du Chalet de la Forêt, à Uccle, figure au sommaire de Coco, who’s who de la cuisine contemporaine publié ces jours-ci aux prestigieuses éditions Phaidon. Consécration d’un style raffiné et généreux.

« Pondérée, réfléchie, honnête, parfaitement exécutée : voilà la cuisine belge dans ce qu’elle a de meilleur. » Ces mots, écrits à l’attention de Pascal Devalkeneer, sont, excusez du peu, signés Ferran Adrià, le brillant chef espagnol qui a fait entrer la cuisine dans le XXIe siècle. On les lit dans Coco (*), vade-mecum des meilleures tables de demain, à paraître le 9 novembre aux éditions Phaidon. Le concept de ce guide d’un genre nouveau s’inspire de la logique de compagnonnage en vogue dans le monde des fourneaux. Soit : 10 figures incontournables de la planète gastro (Adrià, donc, mais aussi René Redzepi, Alain Ducasse, Gordon Ramsay…) usent de leur argument d’autorité pour pointer chacun 10 talents qui leur voleront peut-être un jour la superbe. Beau jeu. « J’ai d’abord été surpris d’être sélectionné par Adrià, avoue un Devalkeneer ravi jusqu’aux oreilles. On ne se connaît pas très bien, et hormis un goût commun pour le produit et la recherche, je ne partage pas son approche radicale de la cuisine ». Lui serait en effet plutôt « valeur sûre » revisitée, classic with a twist pour citer Paul Smith. Voyons plus près.

On retrouve l’intéressé un matin gris-clair d’automne, saison idéale pour profiter des couleurs de la nature qui s’invitent à travers la verrière 1900 de son antre bon teint bon genre, en bordure du Bruxelles en béton. L’homme passera le tablier pour la photo tout à l’heure, là, il porte casual. Mais chic, comme d’habitude – Monsieur aime les montres, les jolis lainages, les chaussures cirées, les barbes cool mais soignées, monsieur est raffiné, limite apprêté. À l’image de sa cuisine, qu’on catégoriserait volontiers de « cuisine de beau gosse ». Si. A la Brad Pitt, ou à la Depp. Métaphore fumeuse ? Pas tant que ça. A première vue, trop lisses, trop parfaits pour être honnêtes, agaçants, presque, ces garçons-acteurs sur-gâtés par Dieu se révèlent, dès qu’ils s’expriment, profonds, nuancés, habités. Remplacez « garçons-acteurs sur-gâtés par Dieu » par « plats peaufinés avec une rigueur quasi clinique par P. Devalkeneer » et vous aurez une idée précise du style à la fois délicat, simple et généreux défendu par ce fan de Michel Bras.

Maniaque (voir ses cuisines Monsieur Propre), mais doté d’un sens réel du partage et des plaisirs de la bouche, l’Ucclois travaille en effet sur un subtil équilibre : quelque part entre l’émotionnel et le carré, le sensuel et les lois glacées de la physique. Un algèbre gourmand dont on entrevoit la logique dans ce bar juste cuit, chapeauté d’un tartare d’huîtres Gillardeau et caviar osciètre sur un parmentier aux fleurs de brocoli. Ou quand l’élégance de l’acidité et la complexité des arômes marins rencontrent les joies beurrées de l’épicurisme. Apollon et Dionysos.

Pour comprendre un peu mieux ce style tout en contrôle, saucé à l’émotion et au plaisir, il faut revenir dans les années 80. Après des études secondaires, « pas vraiment brillantes » et une passion zéro pour le diplôme d’ingénieur commercial qu’il entame avec l’idée d’un jour reprendre la société de son père, Pascal Devalkeneer a 20 ans mais aucune idée de son avenir. Il entre en cuisine, « un peu par hasard et par nécessité : je devais sauver ma peau ». Apprenti au Surcouf, chez Pierrot puis à la Quintessence à Bruxelles, il se révèle chef de partie à la Truffe noire puis au Scholteshof (Hasselt) avant d’asseoir sa réputation personnelle au Bistrot du Mail et de la confirmer définitivement au Chalet de la Forêt, il y a onze ans, maintenant. « C’est aujourd’hui une passion, mais ce fut d’abord un calvaire, avoue-t-il. Je n’y connaissais rien, n’avais aucun goût, j’ai dû apprendre à aimer la cuisine, car au début, je n’éprouvais aucun intérêt pour la chose. Dès que j’ai contrôlé les bases et commencé à comprendre la mécanique et le potentiel créatif infini du boulot, j’avais un défi, j’ai saisi que j’allais pouvoir m’amuser. » D’où sa rigueur d’horloger, son obsession des classiques bien maîtrisés avant d’être revisités, conséquence d’une passion tardive axée sur les rouages du moteur gastro. Qu’il fait donc tourner avec un point d’honneur : toujours donner du plaisir, comme s’il cuisinait pour lui-même – « j’aime tous les plats que je sers, le jour où ça ne me plait plus, j’arrête ». Pourvu qu’il termine vieux beau.

Baudouin Galler

Retrouvez trois recettes de Pascal Devalkeneer parues dans Coco dans LeVif Weekend de ce 22 octobre

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