Quand la vaisselle se mange

Ecologiques, ludiques et esthétiques: c’est la mode des objets à croquer! Nos préférés.

Vous êtes accoudé au bar. Devant vous, une bouteille. Vous en buvez le contenu et entreprenez tranquillement d’en mâchonner le contenant pour finir par l’engloutir totalement. C’est une scène à la Topor… qui est en passe de ne plus être une chimère. David Edwards, professeur de génie biomédical à Harvard, fondateur du Laboratoire, à Paris, et le designer François Azambourg ont imaginé une bouteille comestible, réalisée à partir d’alginates (dérivés d’algues marines laminaires). D’ici à quelques mois, ils devraient finaliser ce projet, dont ils exposent déjà un prototype au Laboratoire.

Manger ses couverts pour sauver la planète

Cette idée, pas si surréaliste, est née d’un constat désormais connu : « Le pétrole est une énergie fossile complètement dépassée, rappelle Azambourg. Nous devons apprendre à ne plus utiliser ses dérivés, comme le plastique. La question de l’eau, et, plus précisément, de son acheminement, étant cruciale pour l’humanité, il nous a paru cohérent de nous inspirer de la cellule biologique pour la transporter, sur le modèle du grain de raisin, par exemple. » David Edwards est, quant à lui, convaincu qu' »on commandera bientôt un soda dans une membrane caramélisée que l’on avalera. Le contenant, poursuit-t-il, doit être indissociable du contenu ». Pour Stéphane Bureaux, auteur, avec Cécile Cau, de Design culinaire, « l’aliment est la matière des matières, dépassant largement les possibilités des matériaux technologiques comme le Corian et autres résines, dans la mesure où l’on peut en extraire une cellule que l’on démultiplie pour recréer de la matière à l’infini. » Dans un contexte où les ressources naturelles s’épuisent, où l’on doit s’efforcer de maîtriser les dépenses d’énergie et les émanations toxiques, l’aliment, qu’il soit farine, agar-agar ou fécule de pomme de terre, pour citer les plus utilisés ces dernières années, est une piste qui nourrit de plus en plus les créateurs.

De la tradition à l’innovation A l’origine est l’objet de table que le designer s’efforce de perfectionner. La Cookie Cup d’Enrique Luis Sardi pour Lavazza, le couvercle de tasse en biscuit de Florence Doléac, ainsi que la cuillère à café en sablé d’Apollonia Poilâne témoignent d’un début de réflexion sur le remplacement d’une matière synthétique par une matière naturelle, appelée à disparaître naturellement à l’usage. Premiers jalons d’une écologie alimentaire, certes assez décorative. A l’inverse, certains n’ont que faire de l’aspect comestible, mais se passionnent pour l’aliment en tant que matière durable et peu coûteuse à produire. C’est le cas du jeune duo italien FormaFantasma, installé à Eindhoven, aux Pays-Bas. Inspirés par les décorations traditionnelles en pain moulé que l’on trouve en Sicile et, surtout, épatés par la qualité de leurs finitions, ils ont entrepris de quitter le champ du folklore pour le design en réalisant de la vaisselle en farine, ce qui a donné lieu à une exposition très remarquée à la galerie Rossana Orlandi, temple de la création milanaise. « C’est comme si nous avions décidé de faire de la pâte à sel un médium de production en série, tout en respectant une technique très ancienne », expliquent-ils. C’est en travaillant qu’ils ont pris conscience de l’intérêt écologique de leur projet : « Nous n’utilisons que de la farine de blé produite localement dans le cadre d’une agriculture raisonnée, et tous les colorants que nous utilisons sont issus de fruits et de légumes. » On reprendrait bien une petite part de saladier, non? Sauf que leur but est de « manufacturer des biens durables, donc par essence non comestibles » ! Pas consommable non plus, mais parfaitement alimentaire dans son origine, le travail du designer britannique Jerszy Seymour. Son dada, à lui, c’est la fécule de pomme de terre. Pas tant pour ses qualités gustatives -on vous met au défi de croquer un de ses fauteuils en fécule moulée, peinte et vernie- que pour « ses mille possibilités formelles, l’excellente résistance du matériau et son faible impact environnemental ».

Un défi pour le futur

Jusqu’au-boutiste, la designer québécoise Diane Leclair Bisson, auteure de l’ouvrage Comestible. L’aliment comme matériau, paru en 2009, travaille depuis dix ans à divers projets de contenants parfaitement comestibles et, mieux encore, vertueux du point de vue nutritionnel. Le design, c’est la santé! Peut-être… « Ce n’est pas le but premier, dit-elle. Ma préoccupation initiale est d’essayer de résoudre le problème des déchets plastique occasionnés par l’utilisation de vaisselle jetable. Je me suis donc intéressée à l’agar-agar, à la farine de quinoa noir, idéale pour les couverts, du fait de sa solidité, à la farine de châtaigne d’eau. » Ses recherches ont porté sur la matière, de manière à parvenir au croquant, au moelleux et au gélifié requis. Quelles difficultés a-t-elle rencontrées? « Outre les problèmes inhérents aux textures, les contraintes de sécurité alimentaire sont compliquées à assumer. » Et en termes d’énergie dépensée? « Je sais pour en avoir fait l’expérience qu’une assiette lavée requiert plus d’énergie qu’une assiette mangée, à condition que celle-ci soit produite localement de A à Z. »

De quoi donner du grain à moudre à nos designers ou, dans le cas de Felipe Ribon, un os à ronger. Il est parti du constat qu’après l’abattage les os de bovins sont calcinés en pure perte, et avec fracas, puisque cette opération produit une fumée polluante. Or le travail artisanal de l’os est un savoir-faire traditionnel en perdition en France (il ne reste plus qu’un seul artisan compagnon, dans le Centre), alors même que l’os est un matériau idéal, du fait de son abondance et de ses qualités: ultrarésistant, imperméable et isolant thermique. Le jeune designer franco-colombien le lave, le ponce, le polit pour le transformer en montures de lunettes, en talons d’escarpin ou en stylos. Il rêve même, à terme, de panneaux d’isolation pour nos maisons! Champs de blé, troupeaux de bétail, algues marines… le paysage design est en train de se métamorphoser, pour mieux faire rimer technologie et écologie.

Elvira Masson
Pour en savoir plus
Exposition Le Design cellulaire, au Laboratoire, jusqu’au 31 janvier 2011, 4, rue du Bouloi, Paris (Ier), 01-78-09-49-50, www.lelaboratoire.org
Design culinaire, de Stéphane Bureaux et Cécile Cau. Eyrolles, 35 euros.

Culinaire Design, de MarcBretillot. Editions Alternatives, 29 euros.

Comestible. L’Aliment comme matériau, de Diane Leclair Bisson, Les Editions du Passage, Montréal, 21,50 euros.

http://edibleproject.com www.formafantasama.com

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