Christophe Lemaire pour Uniqlo: « J’observe plus la rue que les podiums »

Christophe Lemaire © SDP

Avec Uniqlo U, ligne développée pour la chaîne de prêt-à-porter japonaise, le créateur français Christophe Lemaire veut proposer des vêtements pour tous, et pas figés par les tendances. Et ce dans un soucis de durabilité.

Question fashion, Christophe Lemaire est une valeur sûre. Depuis les années 90, sa marque s’est perpétuellement réinventée – sa dernière réinterprétation, Lemaire en abrégé, est sans doute la plus prisée. L’homme a également assuré la direction artistique des maisons Hermès et Lacoste. Depuis sept ans, le créateur français est à la tête du Centre de recherche et de développement parisien de la chaîne de prêt-à-porter japonaise Uniqlo. Il est notamment responsable d’Uniqlo U, une ligne pour laquelle il repense de nombreux classiques – tee-shirts, jeans et vestes bomber.

.
.© SDP

Cette collection s’est bâtie une solide réputation grâce à ses prix abordables – un tee-shirt à partir de 15 euros -, des vêtements bien coupés et une qualité souvent remarquable. Mais malgré cela, cette ligne reste discrète, clairement moins populaire que les autres collabs de la chaîne, avec Jil Sander, J.W. Anderson ou Inès de la Fressange.

Sans doute parce que ce qui unit Uniqlo et Lemaire n’est pas une « collab » au sens strict.  » Au début, notre collaboration pouvait être perçue comme telle, y compris par la direction d’Uniqlo au Japon, précise-t-il quand nous le rencontrons dans le studio du géant textile, à Paris. Mais dans ma tête, le projet a toujours été clair. Nous faisons du Lemaire pour Uniqlo jusqu’à un certain point. Toutes nos réalisations s’inscrivent également dans le concept de  » LifeWear  » pour tous, cher à la marque. « 

.
.© SDP
.
.© SDP

Uniqlo a développé cette idée du  » LifeWear  » en tant que solution alternative à la fast fashion. Comme d’autres enseignes, l’entreprise se spécialise dans les vêtements bon marché, en grande partie confectionnés dans des pays à bas salaires, mais elle se veut moins liée aux tendances éphémères.  » Nous essayons de créer des collections qui soient les plus universelles possible, des vêtements que tout le monde peut comprendre, quel que soit l’âge, la classe sociale, le lieu de vie. Nous ne voulons pas être « mode » à tout prix. Le rôle d’un Centre de recherche et de développement consiste à créer des pièces différentes des collections habituelles d’Uniqlo, par le biais des volumes ou des couleurs, par exemple. La confection est un peu plus raffinée. Ce qui explique que nos pièces soient légèrement plus coûteuses « , explique Christophe Lemaire qui est épaulé pour cette tâche par six personnes et travaille en concertation régulière avec le bureau au Japon. « J’ai une vision précise. Mais j’estime que le dialogue, l’écoute, le brainstorming et les échanges sont essentiels « , souligne-t-il alors que nous commençons notre interview.

.
.© SDP

Vous accordez une attention particulière aux couleurs…

Nous y consacrons en effet beaucoup de temps. Nous utilisons essentiellement des teintes neutres: cinquante nuances de gris (rires), des déclinaisons de noir, toutes sortes de blanc, du beige, du sable et du greige. Il nous est arrivé d’essayer des couleurs plus vives, mais nous confectionnons des vêtements universels qui sont facilement combinables. Pour moi le bleu marine est par exemple essentiel, mais il faut bien le choisir : assez foncé, avec une pointe de vert. Lorsque je travaillais chez Lacoste, c’était la deuxième couleur la plus vendue. Je trouvais qu’on pouvait la rendre plus raffinée, j’ai dû me battre pour ça. Ce n’était pas simple, mais j’y suis arrivé, et mon nouveau bleu marine a eu du succès. J’aime ce genre de petite bataille

.
.© SDP

.

Mais l’esthétique n’est pas tout…

Je suis quelqu’un de réaliste. On doit aussi se sentir à l’aise dans un vêtement. Le matin, on a peu de temps pour s’habiller. La tâche des créateurs consiste à proposer des choses stylées dans un cadre pratique. Je n’ai jamais vraiment cru au monde imaginaire d’un créateur enfermé dans son propre univers.

.
.© SDP

Uniqlo U ne suit pas les tendances. Cela signifie-t-il que vous ne regardez pas ce qui se passe dans le domaine de la mode ?

Il faut regarder autour de soi! Mais j’observe plus la rue que les podiums. Martin Margiela, Phoebe Philo sont parmi les créateurs qui ont orienté la mode dans une nouvelle voie, mais ce sont des exceptions. Selon moi, depuis les années 60, lestreetwear a eu plus d’influence que la mode elle-même.

Votre propre ligne est plus exclusive…

Ce que je fais avec Sarah-Linh (NDLR : Sarah-Linh Tran, sa partenaire chez Lemaire), est très similaire. Certes c’est peut-être moins démocratique, un peu plus exclusif, mais le point de départ est le même : créer de vrais vêtements, destinés au quotidien, avec un maximum de style et de qualité.

Comment avez-vous vécu la pandémie ?

La situation sanitaire a été difficile mais pas tellement pour moi car j’ai passé les confinements dans des conditions confortables et privilégiées. Pour Lemaire, c’était une opportunité de pouvoir tout repenser : le mode de présentation et de vente de nos collections, de manière numérique et à distance. Paradoxalement, la pandémie nous a beaucoup appris. Mais maintenant, nous avons envie de repasser en mode  » live « , avec un défilé mixte lors de la Semaine de la mode masculine si la situation le permet.

.
.© SDP

Chez Uniqlo, comme nous avons des boutiques dans le monde entier, c’était plus compliqué, mais nous avons continué à travailler en studio. La pandémie m’a conforté dans mes convictions. Les syndromes de la société de consommation sont la course effrénée, la surabondance d’infos et d’activités. Nous n’avons plus le temps d’être nous-mêmes. A présent, il nous semble indispensable d’acheter moins et mieux: des vêtements qui vieillissent bien, qu’on n’a pas envie de jeter après six mois : c’est un bon début d’approche écologique.

La nouvelle ligne Uniqlo U est en boutique dès le 28 janvier 2022.

Christophe Lemaire en bref

Aujourd’hui âgé de 56 ans, il est actif dans la mode depuis les années 80.

Il a commencé à créer de vêtements lorsqu’il était ado, avec Isabel Marant, et a été le bras droit de Christian Lacroix pendant quatre ans.

En 1991, il lance sa propre marque, Christophe Lemaire. Au fil des années se succéderont plusieurs arrêts puis reprises du label. Depuis 2014, il dirige Lemaire avec Sarah-Linh Tran.

En 2000, il devient directeur artistique de Lacoste, où il restera dix ans.

En 2011, il succède à Jean Paul Gaultier en tant que directeur artistique des collections Femme d’Hermès, durant quatre ans.

Depuis 2016, il est directeur artistique du Centre R&D de la ligne Uniqlo U.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content