Rencontre avec la crème de la crème des fromagers belges

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Avec 40 années d’expérience dans le fromage, Daniel Cloots compte parmi les pionniers du renouveau artisanal dans notre pays. En toute logique, sa Fromagerie du Gros Chêne se découvre comme l’une des adresses les plus abouties du pays. Rencontre avec un passionné qui signe un « Petit Crémeux » qui fond sur la langue.

L’itinéraire de Daniel Cloots (62 ans) est tout sauf rectiligne. Derrière sa barbe qui rappelle Victor Hugo, l’homme déroule le fil de son histoire dans le décor sommaire d’un petit bureau situé au-dessus de l’atelier de la Fromagerie du Gros Chêne.

VIE NÉO-RURALE

Rencontre avec la crème de la crème des fromagers belges
© PHOTOS FRÉDÉRIC RAEVENS

Très rapidement père de famille, Daniel a dû abandonner les auditoires de médecine pour assumer ses responsabilités. Amateur de « bonnes choses » et soucieux d’autonomie, il fait l’acquisition d’une chèvre. On peut y voir à l’oeuvre les idéaux de l’après mai 68 mais ce serait toutefois un raccourci. L’intéressé explique : « Mon fils était allergique au lait de vache, j’ai voulu explorer une alternative. » A l’époque, produire son propre fromage relève du casse-tête. Le savoir-faire est en train de se perdre et il n’existe quasi aucune littérature sur le sujet. « En m’appuyant sur une page dénichée dans un magazine féminin des années 70, j’ai procédé de manière empirique… m’améliorant un peu plus à chaque tentative », poursuit-il.

A l’époque, Daniel et son épouse habitent Bruxelles. « En 1978, nous avons décidé de nous installer à la campagne, au bout du Condroz, là où les couleurs des paysages éclatent. On a acheté une ruine à laquelle était accolé un lopin de terre. Du coup, en bons néoruraux, on a agrandi notre troupeau, jusqu’à une cinquantaine de chèvres, et on s’est mis à faire les marchés. Quatre ans plus tard, un drame comme la vie en réserve parfois met fin à ce bonheur : la femme de Daniel et l’un de ses enfants perdent la vie dans un accident de voiture.

Nous voulions fabriquer un fromage au lait cru de manière durable.

DÉBUTS DIFFICILES

Le geste est un outil capital dans la fabrication du fromage. Un moulage du caillé à la main assure une texture incomparable.
Le geste est un outil capital dans la fabrication du fromage. Un moulage du caillé à la main assure une texture incomparable.© PHOTOS FRÉDÉRIC RAEVENS

Patiemment, le fromager va se reconstruire avec une nouvelle compagne. Il déménage de Maffe au lieu-dit du Gros Chêne. « En 1989, je me suis rendu compte, qu’en quelques années, la situation de l’élevage avait changé. Investir dans ce créneau n’était pas opportun. J’ai alors pris la décision de devenir uniquement fromager en me fournissant auprès de producteurs de lait en proximité », commente Daniel. Stratégiquement, la décision de se centrer sur la production paie, le succès est au rendez-vous et la Fromagerie du Gros Chêne engage. Hélas, peu préparée à ce développement, la structure s’endette. 1996 marque alors un tournant. Daniel détaille : « Il a fallu prendre une décision, soit arrêter, soit se relancer par le biais d’une recapitalisation. C’est à l’époque que l’on a imaginé la forme actuelle, celle d’une coopérative à finalité sociale. »

Tous les soucis ne sont pas réglés pour autant, il faut encore optimiser l’outil de production, situé dans une ancienne étable, devenu vétuste. L’élaboration des nouveaux plans et surtout le financement prennent du temps. En 2012, Daniel et son équipe poussent la porte de la Fromagerie du Gros Chêne sous sa forme actuelle, soit un bâtiment en bois de 320 m2 basé sur une structure de hangar agricole articulé en différentes pièces à température, caves d’affinage et séchoir. « Le travail est manuel, commente l’artisan, mais toute la climatisation est gérée est de façon électronique. »

AVEC LE TEMPS

Le Pavé Cendré.
Le Pavé Cendré.© PHOTOS FRÉDÉRIC RAEVENS

En choisissant une coopérative à finalité sociale, Daniel Cloots s’est à jamais interdit de tirer un profit personnel conséquent du fruit de son travail. Le but était autre comme il l’explique. « Nous voulions fabriquer un fromage au lait cru de manière durable. Cet objectif rencontrait à la fois les demandes du monde agricole et celles des consommateurs en quête de produits de qualité. » L’approche de la Fromagerie du Gros Chêne doit énormément aux producteurs de lait avec qui elle travaille. Les heureux élus ? La fromagerie compte entre autres deux éleveurs de brebis qui travaillent en bio – Pierre Artoisenet à Cognelée et Martin Pétry à Nettinne -, un chevrier en bio – Marc Vanguestaine à Ferrières – ainsi qu’une coopérative de producteurs de lait de vache, bio également – Biomelk -, avec laquelle Daniel a signé un contrat lui permettant de tracer la provenance du lait.

Entre les bleus, les tommes et les pâtes lavées, la gamme de la Fromagerie du Gros Chêne multiplie les variations sur le lait.
Entre les bleus, les tommes et les pâtes lavées, la gamme de la Fromagerie du Gros Chêne multiplie les variations sur le lait.© PHOTOS FRÉDÉRIC RAEVENS

Parmi les produits phares de Daniel Cloots, « Le Petit Crémeux », au lait de vache, s’est taillé une belle réputation auprès des amateurs. En cause, un profil de pâte fraîche imaginé au départ d’un caillé doublement riche. Ses particularités ? Une texture fondante hallucinante et une belle acidité, un exercice reconnu délicat par la profession. Ces caractéristiques résultent d’un processus de fabrication de trois journées qui laisse le temps au temps. Celui-ci se répartit en un emprésurage opéré un jour après réception du lait, un égouttage réalisé dans la foulée – ou le deuxième jour – et un démoulage qui a lieu le jour trois. A cela, cerise sur le gâteau, il faut ajouter un passage en séchoir entre douze et quinze jours. Riche des différents laits, la gamme du Gros Chêne est variée. Outre le Bleu d’Adèle – un bleu au lait de brebis -, une tomme mi-dure – la Tomme des Botteresses – et des chèvres frais qui sont l’ADN de l’activité, il faut aussi mentionner un fromage typiquement belge, la « boulette », réalisé à partir de lait écrémé selon une méthode traditionnelle. Soixante fromages maigres de ce type sortent chaque semaine, une aubaine pour les amateurs de ce patrimoine gustatif en voie de disparition pour une approche qui va comme un gant à la philosophie de Daniel Cloots.

INFOS

groschene.be

Retrouvez d’autres portraits de fromagers à travers la lecture de Fromages d’artisans en Belgique, de Michel Verlinden et Julien Hazard, photographies d’Alexandre Bibaut, éditions Racine, octobre 2017

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