Chez Troisgros, visite et dégustation

Chez Troisgros. © JEAN-PIERRE GABRIEL

Dès 1930, tout gourmet qui se respecte se doit de passer par Roanne et le restaurant de l’illustre famille. Une étape qui tient du pélerinage. Depuis février dernier, une autre visite s’impose, à Ouches, où la célèbre maison se réinvente. Un changement de décor qui lui donne des ailes.

Un grand restaurant, à plus forte raison un 3-étoiles au Michelin, se reconnaît à ses plats signatures. Chez Troisgros, l’un d’eux s’im- pose en apothéose du menu de cette année. Tout en finesse, en légèreté et en fraîcheur, il porte le nom élégant de  » papillon « . Lorsque le maître d’hôtel dépose l’assiette sur la table, il doit parachever, lui-même, le travail des cuisiniers.

Les assiettes viennent sublimer cette expérience spatiale.

D’un coup de couteau bien affirmé, il sectionne en son centre la superposition de trois lamelles diaphanes de sucre et de légumes séchés. C’est alors que celles-ci se cabrent pour faire naître le lépidoptère. Inutile de dire que l’envol des saveurs est à la hauteur de la métamorphose visuelle. On y retrouve entre autres du miel d’argousier dont la douceur est contrebalancée par de la rhubarbe. Des grains de pollen viennent compléter les frémissements en bouche… nous invitant littéralement à prendre la clé de champs. Un mets fin, comme une métaphore de la nouvelle aventure qu’entame cette année la dynastie Troisgros.

Michel Troisgros avec un de ses sous-chefs.
Michel Troisgros avec un de ses sous-chefs.© JEAN-PIERRE GABRIEL

 » Marie-Pierre et moi étions plutôt des urbains « , avoue Michel, fils de Pierre – un des pères de la Nouvelle cuisine – et petit-fils de Jean-Baptiste, restaurateur et Bourguignon arrivé à Roanne en 1930. Une cité dans laquelle Michel et son épouse ont eux aussi officié durant plusieurs décennies, avant de décider, début 2017, de se mettre au vert, et de s’installer à la campagne, à Ouches, conservant une simple brasserie en ville. L’idée : offrir à leur fils César un terrain propice où écrire la suite de l’histoire de cette lignée de grands chefs.  » Nous voulions qu’il puisse partir d’une feuille blanche. A trois, nous avons préparé cette installation durant quatre années, deux de recherches et autant pour le chantier.  »

 Tout en élégance et en légèreté, le papillon, dernier plat du menu, est une belle métaphore des changements que vit la maison Troisgros.
Tout en élégance et en légèreté, le papillon, dernier plat du menu, est une belle métaphore des changements que vit la maison Troisgros.© JEAN-PIERRE GABRIEL

Les Troisgros n’en sont d’ailleurs pas à leur première incursion champêtre. En 2008, ils investissaient déjà une ferme à Iguerande, soit à une vingtaine de kilomètres de chez eux, pour y créer La Colline du Colombier, un ensemble où les édifices anciens préservés côtoient des constructions affirmant une modernité rurale. Et où leur cadet, Léo, officie en cuisine. C’est à cette occasion qu’ils entamèrent une collaboration avec l’architecte Patrick Bouchain, qui se poursuit aujourd’hui à Ouches.

Architecture locavore

Nous sommes donc à seulement quelques kilomètres du centre de Roanne, sur un site champêtre de 17 hectares alternant prés, bois, parc et un étang de 4 hectares. Le bâti d’origine se compose, lui, d’un corps de ferme avec sa grange, ses étables et ses greniers, sans compter la grande maison de famille. Outre la partie cubique de la villa, à la fois massive et élégante, la maison des anciens propriétaires est flanquée d’une haute tour carrée comme on en trouve dans le nord de l’Italie – un clin d’oeil aux racines transalpines de Michel Troisgros. De cet ensemble, toute la structure extérieure et une grande partie de l’intérieur ont été gardés pour abriter douze chambres, deux salons et la pièce toute blanche réservée au petit-déjeuner.  » Elle est située au sud, souligne Marie-Pierre. Même par temps gris, ce ton immaculé la rend lumineuse.  »

Chez Troisgros, visite et dégustation
© JEAN-PIERRE GABRIEL

De Patrick Bouchain, les Troisgros disent volontiers qu’il s’agit d’un architecte locavore. Il construit local, en respectant l’âme du lieu et, plus encore, en faisant appel à des corps de métier du cru et en sublimant souvent des matériaux  » sans galons « , à l’image des tôles qui habillent la grande cuisine accolée à la grange, tel un hangar agricole.

Ce volume, imposant par son pignon au faîte aigu, est le premier contact qui s’offre au futur convive. D’entrée de jeu, celui-ci passe sous une galerie ajourée, formée d’une répétition de fers à bétons auxquels Marie-Pierre Troisgros a suspendu des boules en verre, comme si c’était Noël toute l’année ! La porte d’entrée s’ouvre sur un long couloir ; de chaque côté, a été accrochée aux soubassements une longue tapisserie crochetée en fil d’aluminium de l’artiste Nadine Moëc, fille du plasticien Daniel Buren.

Le domaine d'Ouches compte aussi un étang de 4 hectares.
Le domaine d’Ouches compte aussi un étang de 4 hectares.© JEAN-PIERRE GABRIEL

Chemin faisant vers la salle du restaurant, des ouvertures ont été percées dans les murs à hauteur des yeux ; ce sont autant de fenêtres sur la prestigieuse cave à vins de la maison. Avant d’aborder l’espace central, on passe encore dans un couloir sombre éclairé par un mur de lampes à huile en verre, déjà présentes à l’adresse roannaise. Comme d’autres éléments, dont nombre d’oeuvres d’art contemporain, elles sont des réminiscences de ce passé que les Troisgros ont voulu rappeler. C’est alors qu’on atteint la pièce principale. Entièrement vitrée, la salle se noie dans le paysage extérieur et s’organise en U, autour d’un chêne centenaire. Pour répondre à cet environnement végétal, le concepteur a imaginé une forêt de piliers en métal qui soutiennent le toit plat. Ils ont été forgés sur mesure par une métallerie locale.

Un travail d’équipe

Notre équipe a vite adopté l’endroit, car nous l’avons intégrée à l’aventure, dès le départ.

Grand amoureux de culture, Michel Troisgros aime donner des noms évocateurs à ses enseignes et recettes.  » Ici, l’un d’eux s’est imposé ; il nous trottait dans la tête depuis un certain temps : le Bois sans feuilles.  » Les colonnes nues répondent en effet à d’autres troncs, ceux des arbres du voisinage, et cela fait référence à une célèbre peinture de Magritte, Le blanc-seing, où le peintre joue avec les plans dans lesquels se déplacent une cavalière. Une reproduction de cette peinture a d’ailleurs été accrochée dans le futur restaurant. Pour le mobilier, les Troisgros ont collaboré notamment avec le Belge Alexis Vanhove qui a, durant de longs mois, rassemblé quantité de meubles vintage, notamment de Hans Wegner, designer fétiche de Marie-Pierre.

Chez Troisgros, visite et dégustation
© JEAN-PIERRE GABRIEL

 » Nous avons souvent associé le travail au plaisir d’un repas qu’on partage, précise le couple. Et c’est cette dynamique que nous avons essayé de développer également sur chantier. Les corps de métier ont affirmé que c’était l’une de leurs plus belles expériences professionnelles. Notre équipe aussi, notamment en salle, s’y sent bien. Elle a immédiatement adopté l’endroit, en dépit des changements d’habitudes. Et ce car nous l’avons intégrée à l’aventure, dès les premiers jours, lui offrant la possibilité de nous accompagner sur chantier. La responsable de l’accueil a conçu cette zone ; le chef sommelier a fait de même pour la cave de jour, celle où toutes les étiquettes de la carte sont présentées dans des armoires vitrées.  »

Avant de quitter la salle à manger, un regard s’impose au plafond où des grillages à poules forment des caissons remplis de tissus.  » L’idée vient de l’architecte, explique Marie-Pierre. C’est une manière d’améliorer l’acoustique en absorbant une partie du bruit. Toujours selon la même logique d’associer les collaborateurs, nous nous sommes mis à cinq pour emballer les blocs de laine de roche qui forment ces modules.  »

Passage de flambeau

Les assiettes signées Troisgros, complétées par un service ultraprofessionnel, viennent évidemment sublimer cette expérience spatiale. Ce que l’on retient, du début à la fin du repas, c’est l’élégance de la présentation et le raffinement du goût. Il est porté par la signature de Michel, qui s’est aiguisée au fil des années. De son père Pierre et de son oncle Jean, il a capté l’art de la fraîcheur venue de l’acidité, qu’il exprime par des agrumes, des vinaigres seuls ou incorporés dans des marinades.

Quelques éléments du décor de Roanne ont été transférés à Ouches comme ces très belles lampes à huile.
Quelques éléments du décor de Roanne ont été transférés à Ouches comme ces très belles lampes à huile. © JEAN-PIERRE GABRIEL

De sa mère italienne, il a hérité des notes de légumes et d’herbes aromatiques. A cela est venue s’ajouter la personnalité de César, qui s’est étayée au cours d’un beau parcours initiatique chez Michel Rostang à Paris puis en Catalogne, chez les frères Roca (El Celler de Can Roca) et, en Californie, chez Thomas Keller (The French Laundry) où il a aussi côtoyé le chef des cuisines d’alors, Corey Lee (Benu), aujourd’hui triplement étoilé. Père et fils fusionnent désormais leurs talents, le second ayant apporté des notes de fumé, de barbecue et de piquant aux saveurs élaborées par son paternel.

Après quelques mois passés à Ouches, autant Marie-Pierre que Michel font le constat que ce lieu les transforme. La campagne les fait penser autrement. César, c’est certain, apportera une dimension nouvelle, celle du cuisinier qui vit dans une époque où on a pris conscience de la nécessité d’agir pour son environnement. Un exemple, pour le futur potager, il a établi un plan précis avec Corinne Duperron. Cette maraîchère produit non seulement des légumes mais encore des semences. Cette année, à deux, ils ont entre autres assuré la multiplication d’une variété oubliée : la fève d’Auvergne, que l’on peut consommer crue, cuisinée séchée ou transformée en farine. A l’évidence, la quatrième génération de Troisgros est aussi porteuse de belles transformations.

SALADE CARPACCIO

INGRÉDIENTS

Pour 8 personnes

Chez Troisgros, visite et dégustation
© JEAN-PIERRE GABRIEL

4 filets de pigeonneau,

24 fraises des bois,

24 groseilles,

24 baies de cassis,

1 bâton de rhubarbe,

1 pamplemousse rosé,

12 amandes fraîches,

1 quartier de pastèque,

gingembre frais,

1 poivron rouge long (Corne de Taureau),

16 radis, 1 salade trévise,

1 tomate (Cornue des Andes),

2 oignons de Florence.

Pour la marinade : 500 g d’eau, 500 g de vinaigre blanc, 400 g de sucre semoule, 10 baies de poivre noir, 2 feuilles de laurier.

Pour la vinaigrette : 2 c à s d’umezu (en épicerie japonaise ou bio), 1/2 jus de citron vert, 1 c à s d’huile d’olive vierge.

PRÉPARATION

-Retirer la peau des filets de pigeonneau et les envelopper individuellement dans un film alimentaire.

-Les cuire à la vapeur 5 min afin qu’ils soient rosés à coeur.

-Les laisser tiédir. Découper chaque filet en 6 aiguillettes. Réserver.

-Nettoyer les fruits rouges.

-Peler la tige de rhubarbe et la détailler en bâtonnets.

-Peler à vif et détacher les segments de pamplemousse.

-Casser et peler les amandes.

-Parer la pastèque, découper la pulpe en huit morceaux, gros comme une noix.

-Peler et émincer le gingembre en julienne.

-Mettre le poivron à cuire, au four à 180 °C durant 10 minutes, dans une poêle huilée. Le couper en huit.

-Parer les radis et les couper en deux dans la longueur.

-Parer la trévise et déchirer le coeur en petites feuilles.

-Monder la tomate et la couper en huit quartiers.

-Peler les oignons de Florence, les couper en deux et détacher les pétales.

-Rassembler tous les ingrédients de la marinade dans une casserole et les porter à ébullition.

-Verser le mélange fumant sur les radis, la rhubarbe, le gingembre et les agrumes réunis dans un bol.

-Filmer et réserver au frais (idéalement deux jours).

-Pour la vinaigrette, mélanger l’umezu, le jus de citron vert et l’huile d’olive. Ne pas saler.

-Répartir un à un tous les ingrédients, ainsi que les aiguillettes de pigeon, sur huit assiettes.

-Assaisonner d’une cuillère de vinaigrette.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content