Tsuji, l’école de gastronomie française qui forme les chefs japonais

La pâtissier Xavier Brignon, venu faire une démonstration aux élèves de l'école Tsuji © Facebook / Pâtisserie Xavier Brignon / Château de l'Eclair

Au bout d’une route perdue au milieu des vignes du Beaujolais, un panneau en japonais: bienvenue à l’école Tsuji, où la crème des futurs chefs japonais vient se former à la cuisine française.

En ce matin d’hiver, la campagne est encore blanchie dans l’est de la France mais les élèves sont déjà en cuisine pour fumer des entrecôtes de Charolles aux sarments de vigne ou préparer des fondues de tomates grappes qui garniront des tartes aux rougets.

Ils ont cinq mois pour apprendre à saisir, confire, élaborer une sauce, et peu de temps pour former leurs palais: « Le sel, ils ne connaissent pas. Chez eux, c’est la sauce soja, donc il faut les former à tout ça, aux goûts, à l’acidité », détaille Aimé Nallet, leur professeur, entre deux ordres ponctués de « Oui, chef ! »

Les cours sont dispensés en français mais Aimé Nallet est épaulé de professeurs japonais, capables notamment d’assurer la traduction le temps que les élèves apprennent la langue. « Notre gros souci ce n’est pas la technique, mais la communication », souligne le chef.

20.000 à 25.000 euros

Cette formation accélérée de haute volée coûte entre 20.000 et 25.000 euros, repas et pension compris. A ce prix, les étudiants manipulent les plus beaux produits de la région lyonnaise, haut-lieu de la gastronomie française: poulet de Bresse, boeuf Charolais, poissons d’eau douce de la Dombes, fruits de l’Arbresle ou de la Vallée du Rhône… Ils dorment dans la dépendance d’une maison de maître aux allures de pension d’été pour famille fortunée.

A l’origine de cette école, on trouve un journaliste gastronomique japonais, Shizuo Tsuji. En 1960, cet amoureux de la cuisine française et ami de Paul Bocuse ouvre à Osaka son école hôtelière, devenue très renommée au Japon. Puis il s’implante en France en ouvrant un premier centre en 1979, au château de l’Eclair à Liergues, dans le Beaujolais, suivi d’un deuxième dix ans plus tard, au château Escoffier à Reyrieux (est).

Tsuji s’est peu à peu imposée comme une grande école de gastronomie française – où ce ne sont pas les élèves qui sont sur liste d’attente pour un stage, mais les chefs.


VIDEO. Tsuji, une école qui forme les Japonais à notre gastronomie

Les élèves sont « très méticuleux » et se démarquent sur la présentation des plats grâce à leur culture japonaise, note le directeur Pierre Béal. « Ils ont l’envie d’apprendre en suivant la voie du maître. J’ai d’ailleurs des élèves de Tsuji dans mon restaurant à Tokyo », souligne Patrick Henriroux, chef de La Pyramide, à Vienne (ouest), qui compte deux étoiles au Michelin.

Soul Sato sursaute à chaque ordre en cuisine et entretient minutieusement les braises du fumoir à viande. C’est son père qui lui a donné le goût de la gastronomie française, explique cet élève appliqué, qui envisage de s’installer un jour en France: « Je vais d’abord rentrer au Japon chercher du travail. Je ne souhaite revenir ici qu’une fois que je me serai fait la main, je pense que j’aurai alors une meilleure idée de quel chef et de quel type de cuisine j’apprécie », dit-il.

Crumble à la poudre de soja

En cuisine le matin, les apprentis chefs suivent ensuite l’après-midi des démonstrations ou présentations de produits du terroir français.

Ce jour-là, Patrick Henriroux a prévu de leur faire sa recette de coquilles Saint-Jacques à la crème soufflée de pain d’épice. « A l’école Ferrandi, ils ont plusieurs formations en cuisine mais beaucoup de théorie aussi. Chez Bocuse, ils forment plus des manageurs. Ici, c’est uniquement de la pratique: on est constamment en cuisine », relève le professeur Aimé Nallet.

Tsuji, école réservée aux Japonais et à quelques Coréens, est à part dans le paysage gastronomique. Beaucoup d’élèves connaissent ensuite des carrières flamboyantes, y compris en France, où la cuisine française revisitée par des Japonais est de plus en plus prisée avec un travail sur les cuissons, les produits, l’esthétique, le sucré-salé…

On ne compte plus les anciens de Tsuji qui ont décroché des étoiles au Michelin au Japon ou en France: Yusuke Takada ou Hajime Yoneda à Osaka, Takeo Yamazaki au restaurant Robuchon Yoshi de l’hôtel Métropole de Monaco ou Raphaël-Fumio Kudaka, à La Table Breizh Café de Cancale (nord-ouest de la France).

Certains intègrent les brigades les plus renommées, comme la seconde de Thierry Marx (au Sur Mesure à Paris), Atsuko Koizumi. D’autres s’aventurent même à ouvrir leurs propres établissements sur le sol français, comme le So à Dijon (est) ou L’Ourson qui boit à Lyon.

Être en France, expliquent-ils, permet d’avoir sous la main à un prix raisonnable les meilleurs produits du terroir français, notamment la viande.

« Notre spécialité, ce sont les gâteaux utilisant des ingrédients qui n’existent pas ici en pâtisserie, comme le thé vert, le sésame ou le miso », explique Kyoko Fujiyama, ancienne de Tsuji devenue chef pâtissière à L’Ourson qui boit à Lyon. Avec sa tarte aux haricots rouges, crème amande au sésame noir et crumble à la poudre de soja ou son cake vanille-miso, elle émoustille les papilles les plus exigeantes et vient d’ouvrir une pâtisserie à côté du restaurant où elle officie.

Un succès qui a peut-être donné des idées au chef le plus étoilé au monde, Joël Robuchon, qui va bientôt lancer dans la Vienne une école internationale de cuisine… financée par des capitaux chinois. Après avoir investi dans le vin ou le lait, les Chinois lorgnent eux aussi la gastronomie française.

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