Un crabe cristallise les tensions dans l’Arctique

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Sous des latitudes reculées de l’Arctique, l’Union européenne et la Norvège ferraillent autour d’un crustacé de la région polaire. Ou comment une délicatesse risque de réveiller une guerre territoriale.

Le bloc européen et le pays nordique, qui reste farouchement à l’écart de l’UE, s’opposent sur les droits de pêche commerciale du crabe des neiges autour de l’archipel du Svalbard, singulier territoire norvégien baignant en mer de Barents.

Ce pourrait n’être qu’un énième différend économique dont l’Europe est coutumière, mais il cache des enjeux autrement plus importants: de son issue dépendra en partie le sort des hydrocarbures et autres ressources minérales gisant en abondance, croient les experts, autour de ce groupe d’îles. « Aucun pays ne souhaite céder des ressources sans rien recevoir en retour. C’est le principe qui vaut ici aussi », martèle le ministre norvégien de la Pêche, Per Sandberg, auprès de l’AFP.

La Norvège fulmine contre l’autorisation donnée par Bruxelles à des bateaux baltes notamment de pêcher des crabes dans la zone du Svalbard, une initiative qui bafoue, selon elle, sa souveraineté. Un navire letton en a fait les frais. Arraisonné dans les eaux litigieuses en janvier, le Senator vient d’écoper d’une amende rondelette.

– Le pétrole en ligne de mire –

« Ce qui s’est produit est totalement nouveau », s’indigne M. Sandberg. « L’UE est sans gêne et prend ce genre de décision sans nous consulter ».

Au coeur du problème: une lecture différente du droit qui fait la singularité du Svalbard. Le traité de Paris de 1920 confie à la Norvège la souveraineté sur l’archipel mais stipule aussi que les ressortissants de tous les Etats signataires puissent exercer sur ces terres et « leurs eaux territoriales » des activités économiques « sur un pied de parfaite égalité ».

Faisant une interprétation stricte du texte, Oslo considère seul contre tous qu’il ne porte que sur la zone des 12 milles, pas au-delà. L’UE prête en revanche des intentions moins littérales aux architectes du traité et estime que l’accord doit s’appliquer aux 200 milles autour du Svalbard, conformément au concept de zone économique qui n’existait pas encore à l’époque. Le crabe des neiges est une espèce envahissante et surtout sédentaire –qui vit en contact permanent avec le fond–, ce qui l’apparente en droit aux hydrocarbures offshore davantage qu’au poisson.

Le litige peut par conséquent créer « un précédent » qui « aurait des implications pour le pétrole et le gaz », avertit Harald Sakarias Brøvig Hansen, chercheur à l’Institut Fridtjof Nansen. « On redoute un effet-domino. Si on reconnaît à un acteur le droit de pêcher le crabe des neiges au nom du traité, d’autres, plus nombreux, viendront probablement réclamer une part du gâteau », souligne-t-il.

– Crabes contre poissons –

Un gâteau d’autant plus appétissant que la Direction norvégienne du pétrole a, en avril, doublé ses estimations de réserves d’hydrocarbures dans la partie norvégienne de la mer de Barents, désormais chiffrées à 17,7 milliards de barils, dont une bonne partie au sud-est du Svalbard.

Poussant toujours plus au nord, le géant énergétique norvégien Statoil prévoit dès cet été de prospecter dans une concession qui mordille sur la zone litigieuse. Le forage sur le prospect Korpfjell, jugé extrêmement prometteur, pourrait irriter les autres Etats.

« Je pense que le crabe des neiges est un ballon d’essai », estime l’écrivain Per Arne Totland, spécialiste des questions liées au Svalbard. « Dans cette affaire, tant la Russie que les Etats-Unis, l’UE que la Chine, ont un intérêt commun: obtenir le plus large accès aux ressources que le traité pourrait leur donner ».

Dans un geste de conciliation, Oslo a proposé à l’UE de réserver une partie de ses quotas de crabe des neiges –500 tonnes sur un total de 4.000 tonnes– à d’autres pays, en contrepartie de quotas de poissons. Mais l’UE a refusé la main tendue, qui reviendrait à accepter la conception norvégienne du traité.

La Commission européenne veut trouver « une solution pratique avec la Norvège, qui permettrait la poursuite de la pêche du crabe des neiges, sans renoncer à l’interprétation que l’UE fait du traité de Paris », a indiqué à l’AFP un porte-parole, Enrico Brivio.

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