Yaourtmania: focus sur un buzz onctueux

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Porté par un nouvel engouement autour des produits laitiers, le yaourt s’affiche comme la dernière sensation urbaine du moment. Et ce n’est probablement qu’un début…

Cet été, la petite station balnéaire de Knokke a été le témoin privilégié d’un concept éphémère amené à se développer dans les mois qui viennent. Nom de code ? YOGIIRT. Pardon ? Vous avez bien lu. Comme le précisent les initiateurs du concept,  » Y O G II R T s’écrit avec deux i majuscules entre le G et le R et se prononce… comme on veut « . Ces deux lettres sont là pour évoquer le symbole  » pause « . Pour mieux comprendre, on écoute les explications d’Hakim Benbouchta, l’un des quatre entrepreneurs qui se cachent derrière l’initiative :  » centrée sur les plats à base de yogourt, au sens le plus large du terme, notre enseigne propose des recettes couvrant toutes les pauses gourmandes de la journée : petit déjeuner, déjeuner salé, goûter fruité ou frozen mojito pour un apéro décalé. Selon nous, c’est le premier point de vente de ce type à voir le jour en Belgique, voire dans le monde.  »

Ce comptoir pop-up s’est ouvert le 19 juillet et n’a pas désempli jusqu’à sa fermeture à la fin du mois d’août. Conçu dans le plus pur style  » upcycling  » –  » récup’ chic  » en français, une expression caractérisant un décor qui en jette réalisé à partir de matériaux bruts et peu chers -, l’endroit n’est pas passé inaperçu. Tant mieux car le but de la manoeuvre était de prendre la mesure de la popularité d’un tel lieu auprès d’un public cible averti comme celui de Knokke, avant de se lancer dans l’ouverture de différentes adresses chez nous et plus largement en Europe. Le principe de YOGIIRT est des plus simples. On pousse la porte et l’on choisit sa base parmi les yaourts et les fromages frais proposés. A celle-ci, on ajoute des ingrédients, sucrés ou salés, selon son humeur. Il est ainsi possible de se concocter un Massala – soit un yaourt entier à la betterave, poulet tikka massala, boulgour et salade. Envie d’être plus audacieux ? Optez pour une maquée aux brownies ou un fromage blanc demi-écrémé, radis et ciboulette, servi avec un mix de légumes grillés. C’est vous qui voyez car, face à une carte qui cultive la combinatoire gourmande, les possibilités ne manquent pas. Afin de proposer des préparations qui tiennent la route, YOGIIRT s’est choisi une caution gastronomique de choix, à savoir Carlo De Pascale – de l’espace culinaire Mmmmh ! à Bruxelles – qui s’est chargé d’élaborer les mets et leurs associations.

Contexte favorable

Ce projet, qui a réuni quatre personnalités issues du monde de la communication – autour d’Hakim Benbouchta, on trouve Marc Van Cutsem, Thierry Goor et Axel Leclère -, n’a rien d’une tocade. Au contraire, ce sont des chiffres et des analyses précises de comportements alimentaires qui ont décidé les partenaires à se lancer dans l’aventure. Selon le Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (Crioc), les ventes de yaourt en Belgique ont augmenté de 40 % en dix ans, tandis que 84 % de la population nationale mange plus de 5 yaourts par semaine… Et ces chiffres figurent parmi les plus bas d’Europe. Sans parler des tendances actuelles au rayon food, identifiées par le Salon international de l’alimentation de Paris dans son cahier 2014, selon lesquelles l’avenir est aux alternatives futées répondant à la banalisation de la restauration classique et du fast food.  » En plein dans le mille  » est-on tenté d’écrire au regard de ce qu’a proposé tout au long de l’été l’onctueux laboratoire de Knokke. Sans oublier la touche d’implication personnelle des quatre mousquetaires du yaourt, qui correspond à une vision engagée du secteur.  » Nous sommes des amoureux du yoghourt de qualité et regrettions que l’offre actuelle grand public soit principalement industrielle, souligne Marc Van Custem. Avec notre label, nous voulons proposer des recettes originales, saines, light, principalement composées à base de produits locaux.  »

La nouvelle enseigne et ses développements futurs débarquent dans un contexte plus général favorable au secteur laitier.  » Mangez du beurre  » incitait la couverture du Vif/L’Express du 11 juillet dernier, décrivant le retour en grâce de celui-ci aux yeux des scientifiques. Un récent article du Courrier International, titré Le laitier fait son beurre et daté du 17 juillet dernier nous apprenait, lui, qu’avec la vague locavore, les livreurs de lait reprenaient du service aux Etats-Unis. Mieux, au Pays de l’Oncle Sam, le yaourt a tout du gros carton alimentaire. Mais il faut surtout entendre  » frozen yogurt  » ou  » fro yo « , cette version glacée qui fait un malheur. Une récente enquête de la firme britannique Mintel démontrait que le marché outre-Atlantique avait progressé de 74 % entre 2011 et 2013, passant de 208 à 363 millions d’euros. Un boom monstrueux.

Bonnes bactéries

Si le  » frozen  » constitue la partie visible de ce succès laitier, il ne le résume pas pour autant. D’autres faits confirment la tendance. Ainsi de la success-story de la marque Siggi’s. L’histoire de Siggi Hilmarsson, Islandais exilé à New York, commence en 2004 lorsque le jeune homme se met à fabriquer le yaourt de son enfance, le fameux skyr, dans sa cuisine. Repéré et distribué par la chaîne Whole Foods, cette spécialité – et ses différentes variations – va créer le buzz, devenant le signe de ralliement des branchés qui en farcissent leur frigo. En cause ? Une forme de lait fermenté à mi-chemin entre le fromage à tartiner et la faisselle – le skyr n’est pas à proprement parler un yaourt – particulièrement pauvre en matière grasse (0,5 %) et emballé dans un packaging magnifiquement épuré.

Il est à noter que, selon la législation européenne, ne peut porter le nom de yaourt qu' » un lait fermenté par le développement des seules bactéries lactiques thermophiles (Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus et Streptococcus thermophilus) qui doivent être ensemencées simultanément et se trouver vivantes dans le produit fini « . Cette définition étroite de Wikipedia échoue à rendre compte de la variété de ce produit fort d’une histoire qui remonte à plusieurs millénaires et qui s’étend à toute la planète – on dénombrerait environ 400 dénominations différentes de laits fermentés dans le monde. Paradoxalement, le yaourt n’a débarqué que tardivement dans nos contrées, au début du XXe siècle. A l’époque, il était vendu en pharmacie. Ce n’est que dans les années 50 qu’il partira à la conquête des foyers.

Dernière explication pouvant justifier cette tendance : la perception qu’ont les consommateurs de cette denrée réputée fraîche et saine qu’ils classent spontanément dans la catégorie des  » better-for-you products « . Cet état de fait est confirmé par la science qui voit dans la présence de millions de bactéries vivantes par millilitre de yaourt un impact positif sur la santé. Face aux dangers omniprésents de la malbouffe, cet avantage n’est pas négligeable. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles un si bel avenir s’offre à cette pause crémeuse.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content