Derek Hudson: Pris au trip

Ce gentleman baroudeur de 57 ans assiste, fataliste, à l’évaporation de ce qui fût très longtemps son métier : le photojournalisme. La fin d’un voyage qu’il traduit dans une série fragile et profondément mélancolique sur les ports vibrants de la Méditerranée.

Ce gentleman baroudeur de 57 ans assiste, fataliste, à l’évaporation de ce qui fût très longtemps son métier : le photojournalisme. La fin d’un voyage qu’il traduit dans une série fragile et profondément mélancolique sur les ports vibrants de la Méditerranée.

Comme le photojournalisme, Derek Hudson a semble-t-il vécu son âge d’or : il nous reçoit dans son appartement du très chic VIe arrondissement parisien, à deux pas de chez Jane et Serge. L’homme incarne le cliché du beau reporter en bras de chemise. À la James Nachtwey. Mince mais solide, le cheveu assaisonné poivre et sel, l’oeil, bleu piscine, qui a tout vu ou presque. Point de suffisance pourtant chez ce parfait candidat à la confiance en soi écrasante et à la drague facile. Non : de la douceur, mâtinée d’élégance toute british, plutôt. Et une pointe touchante de vague à l’âme dans des regards posés sur son récit. Celui-ci.

Né à Londres au début des années 50, Derek Hudson grandit « un peu à l’écart, au creux de la campagne anglaise auprès de parents adoptifs aimants, mais du tout intéressés par l’art ». Le déclic pour la photographie est subit. Il a 18 ans, s’apprête à entrer à l’Université. Le film Blow Up de Michelangelo Antonioni, pépite vénéneuse dont le personnage principal est photographe, en décide autrement. « Ça m’a suffisamment secoué pour que je décide d’en faire ma vie. » Premier job auprès d’un photographe de mode, « dont je ne me souviens même plus du nom, mais entre la préparation du thé pour ses clients, j’apprends la technique sur le tas ». Butin de sa niaque juvénile, il débouche pigiste sur Fleet Street, La Mecque de la presse britannique. Époque dorée, urgente, avec développement des bobines dans les salles de bains, reportages azimutés dans toute la Grande-Bretagne, entre portraits et catastrophes. Son nom commence à circuler, il rencontre Terry Fincher, Don McCullin, géants du reportage de terrain. Virus. Et le rêve d’un jour parcourir le monde. Réalité : dans les années 70, il s’installe à New York, voyage inlassablement, « deux Leica en bandoulière », couvre les conflits, multiplie les collaborations pour Paris Match, Time, Stern, Newsweek. Epoque dorée, bis. Et le rêve d’un jour bosser comme contractuel pour Life Magazine. Réalité : début des années 90, il revient en Angleterre et, en plus de bosser contractuellement pour l’agence Sygma, devient correspondant permanent pour ce monument du photojournalisme, avec, cherry on the cake, son quart d’heure de célébrité : il est le premier à photographier les prisonniers irakiens arrêtés par les marines U.S.. Ses clichés font le tour du monde. Il s’installe à Paris, âge d’or, encore, « sans savoir que c’était la fin ».

En effet, c’est l’an 2000. « J’étais au Congo, on m’annonce que Life met la clé sous la porte, l’angoisse. » Depuis, Gamma et Sygma ont fait faillite, le numérique a eu raison de nombreuses agences indépendantes. Et de Derek Hudson. « J’ai pas mal bossé pour Géo et Le Monde 2, j’ai fait de la mode, couvert Cannes. Je travaille maintenant pour des des sociétés comme Sofitel. Car il n’y a plus assez de commandes pour vivre et payer les études de mon fils. Et plus assez de place dans la presse pour exercer le métier tel que je l’ai appris », constate-t-il, moins amer que résolu.

Du coup, pour évacuer la nostalgie et le repli ronchon sur soi, Hudson met aujourd’hui à profit le virage radical qu’a pris sa profession pour revenir aux bases de sa passion : révéler un monde. Le sien, pour le coup. Qu’il traduit métaphoriquement à la faveur d’une série fragile et mélancolique sur des ports méditerranéens au passé aussi fameux que leur présent est sensiblement chaotique, rude et sauvage : Naples, Tanger, Alexandrie, Gênes, Marseille. Des villes anti-musée, loin d’être figées dans les catalogues, des villes portuaires « vibrantes », au pouls puissant, impolluée par un tourisme lissant. Un hommage au voyage en parallèle duquel il prépare un autre travail de plus longue haleine : partir à la recherche de ses racines en Afrique du Sud, sur les pas de sa mère biologique, mettre des images sur un passé qu’il n’a pas vécu. « Un voyage en soi », dit-il.

Baudouin Galler

A voir : les clichés de Derek Hudson dans le cadre de l’exposition itinérante Si la mode m’était contée co-organisée par la chaîne d’hôtel Sofitel et la galerie parisienne Polka. Au Sofitel de Rome du 25 octobre au 3 janvier 2011.

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