En attendant Florian Zeller

Le regard bleu perçant, Florian Zeller ne se laisse pas approcher facilement. Une fois confiant, il révèle l’intensité de ses pensées profondes. Le théâtre leur sied bien, tant sa pièce, Elle t’attend, est animée par un volcan latent. Celui d’un amour légitimé, qui a du mal à s’ancrer dans la véracité des sentiments. Le soleil corse ne fait que corser les non-dits étouffants…

Quel goût a l’enfance ?
Un goût fade.

La famille, prison ou cocon ?
Je déteste les cocons. La famille qu’on crée n’est ni une prison ni un centre vital. Tout comme Ulysse, j’ai conscience de l’endroit du retour.

La lecture, évasion ou refuge ?
Mon rapport à elle est fort, voire salutaire. Quand ça va vraiment mal, je prends une dose de beauté pour me réconcilier avec la vie.

Qu’est-ce que la beauté ?
Une sensation esthétique. Les livres sont une nourriture intérieure pour survivre au chagrin. Etre un grand « relecteur » aide à percevoir l’évolution de la connaissance de soi. Dans L’Odyssée, j’ai le sentiment d’être chez moi.

L’auteur qui vous a formé.
Kundera, j’aime ses livres, son univers et l’ambition qu’il accorde au roman. A savoir, nous faire découvrir des choses, qui éclairent la réalité de façon nouvelle.

Que signifie « devenir écrivain » ?
Ce processus est confus et encore inachevé. J’ignore à quoi correspond ce désir très fort. Ecrire, c’est la chance d’être libre sans tricher.

Est-ce un plaisir ou un poids ?
Dans un premier temps, c’était une contrainte de l’ordre d’une boulimie féroce. Puis, j’ai appris à m’en libérer. J’écris parfois avec beaucoup de facilité et d’excitation, mais je connais aussi des moments de sécheresse. Ce combat intérieur me confronte à mes limites. Les accepter permet de préserver cet état de liberté vis-à-vis de soi-même et des autres.

Héros d’hier et d’aujourd’hui.
Cela me trouble de ne pas avoir de rapport à l’héroïsme. J’ai pourtant une vraie disposition à l’admiration. En musique, j’admire Christophe pour sa liberté absolue. Ce dandy, au sens noble, se définit par rapport à lui-même. Je suis aussi fasciné par Kundera et les acteurs, comme Nicolas Vaude, pour lequel j’ai écrit cette pièce.

La solitude, amie ou ennemie ?
C’est une structure indispensable. Loin d’être douloureuse, j’ai la solitude heureuse. Je ne m’ennuie pas trop avec moi-même (rires). Si la solitude m’effraye parfois, je pense être armée pour l’affronter. Mes premiers pas vers le théâtre sont nés de l’envie de vivre une expérience plus large que moi-même.

Qu’exprimez-vous au théâtre ?
Mes pièces me ressemblent d’avantage que mes romans. Comme j’écris pour des acteurs, je procède à une écriture plus généreuse. Elle correspond au langage de mon inconscient, alors je ne découvre qu’après que je portais une histoire en moi. C’est très troublant.

Pourquoi aimez-vous diriger les comédiens ?
J’aime les acteurs. Avant, j’aimais tellement le texte que j’ai mis du temps à saisir les enjeux et la grâce de l’incarnation. Les acteurs font partie de la race des gens bizarres. Ils ont un rapport fragile à l’existence et à l’enfance. En jouant, ils se délivrent des angoisses de la vie.

Vivre avec l’actrice Marine Delterme vous aide-t-il à mieux les saisir ?
Marine est aussi un sculpteur dans l’âme et dans le quotidien. Je l’ai rencontrée par ce biais-là. Aujourd’hui, elle est une muse malgré moi.

Ici, Laetitia Casta est votre héroïne. Que vous inspire-t-elle ?
J’ai eu le sentiment intuitif qu’elle possédait un côté solaire et un potentiel tragique. Elle était d’ailleurs disposée à se brûler. Dans cette pièce, elle incarne le paradoxe d’une beauté pour laquelle on abandonnerait tout et qui est néanmoins abandonnée.

Les amours interdits ont-ils une autre saveur ?
S’agitant en secret, ils ont un goût de dissimulation, de crainte et de trahison. Or s’aimer en plein jour est aussi d’une grande beauté.

Que feriez-vous de plus beau par amour ?
Un enfant.

Que n’avez-vous pas osé faire par amour ?
Je suis plutôt entier. La force, je la perçois chez les personnes âgées, qui sont toujours ensemble. C’est si modeste de pouvoir partager le sentiment d’être mortel. La beauté vient de cette humilité à vivre à deux.

L’amour, quelle est sa force vitale et créatrice ?
Son intensité, sa sincérité. L’inspiration reste un mystère… Instable, elle demeure aussi obscure que le brouillard. Au théâtre, le point de départ vient des acteurs, plus que des sentiments.

Pourquoi n’est-ce pas suffisant d’aimer ?
Ici, on assiste à la prison de la nostalgie. L’homme ressent un élan amoureux. Contrairement à l’amour, c’est un état, pas un sentiment. « Tous les hommes vivent dans le passé, alors que les femmes vivent dans l’instant présent. » Ce n’est pas faux, un homme reste captif de son passé.

Est-ce pour cela que vous êtes hanté par l’abandon ?
Quand j’écris, j’exprime tout ce que je porte, ce que je ressens et ce que je capte autour de moi. Mais il y a des choses inconscientes…

Etes-vous parfois absent à vous-même ?
J’ai l’art d’être là sans être complètement là. Les questions et les obsessions, que je trimballe, se poursuivent à l’intérieur de moi. Je passe pour quelqu’un de distrait, or cette vie parallèle est plus profonde que la rêverie. Quand j’écris, j’ai du mal à vivre complètement. Une fois que c’est fini, je me sens libéré. On n’écrit que pour cet apaisement, sinon on serait pris en otage.

Qu’est-ce que la lâcheté ?
C’est ne pas assumer complètement qui on est, y compris sa part monstrueuse.

La nostalgie.
Le fantasme de pouvoir retourner quelque part. Cela peut condamner à l’errance et à une situation carcérale, peu productive. Mais cela peut aussi mener à l’action.

Peur du temps qui passe ou de celui qui est à venir ?
Les deux, tant c’est quasiment la même chose. J’admire les gens qui n’en ont pas peur.

Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ?
Voir un film d’Antonioni me confronte à la beauté brute.

Et vous fait douter ?
Le travail d’écriture me confronte aux pires doutes sur moi-même. Bien que cela implique la souffrance, c’est indispensable.

Qu’attendez-vous de la vie ?
Je ne sais pas… je préfère ne pas me projeter.

Et de vous-même ?
J’espère continuer à écrire en ressemblant d’avantage à ce que j’aimerais écrire.

Votre plus longue attente.
L’attente du début de la vie, à l’adolescence. En envoyant mon premier roman, j’ai ressenti une attente paniquée. Il n’y avait plus de place pour autre chose dans ma tête !

L’attente, espoir ou malheur ?
L’espoir peut être synonyme de malheur, car on peut s’exposer à la déception. Le point de départ de cette pièce a été la lecture de L’Odyssée, où une femme attend un homme qui ne vient pas. Cela m’a ému…

Où aimez-vous passer vos vacances ?
En Corse. Sensible à L’Odyssée, j’aime cette sensation très méditerranéenne du soleil, qui me ramène à l’antiquité, la tragédie et la sensualité.

Vous aimez-vous ?
Je me réconcilie avec le réconciliable et je me bats avec ce qui n’est pas intéressant.

Quels sont vos atouts ?
Psychiquement, la curiosité. Physiquement, la résistance.

Votre look.
Malgré sa superficialité, j’attache beaucoup d’importance à mon apparence et à celle des autres, parce que c’est révélateur. Ce qui m’intéresse c’est un regard, un goût.

Lequel ?
Celui de Nicolas Ghesquière, le jeune créateur de Balenciaga.
Votre coiffure a fait couler beaucoup d’encre…
C’est de la négligence, je me réveille comme ça.

Vous parfumez-vous ?
Ça m’arrive, mais je suis plus troublé par le parfum d’une femme et par les odeurs qui font écho à ce que j’ai connu.

Passion méconnue.
La musique.

Le talent que vous auriez adoré avoir.
Interpréter Les Variations Goldberg de Bach. J’aime cette idée de se retrouver seul avec un piano pour recréer autant de beauté.

Pourquoi le bonheur ne vous inspire-t-il pas ?
Il n’a jamais inspiré personne. Le bonheur se vit ou se recherche. Il correspond à une sorte d’apaisement. Le vrai bonheur étant inatteignable, nous n’en connaissons qu’un fragment, une version faiblarde. Je préfère la quête de création. A travers mes pièces et mes romans, j’aimerais continuer à explorer cet espace puissant.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

Elle t’attend, par Florian Zeller, éd. Flammarion, 155 p.


ARNAUD FEVRIER/FLAMMARION






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