Géraldine Maillet

Longiligne, Géraldine Maillet est une féline, capable de se faufiler dans un récit intimiste ou de rebondir avec un roman dévergondé. Sous ses allures drôles et distrayantes, French Manucure effleure les fêlures des femmes d’aujourd’hui. Clarisse (mondanités versus désastre conjugal), Jeanne (mater familias débordée), Noé (sous la plastique, le mal-être) et Gab (actrice ratée et célibataire endurcie) s’offrent une cure de copines mensuelle. Loin de vivre une sinécure, elles partagent leurs rêves et leurs blessures inavoués. Tout comme elles, l’auteur révèle ses noirceurs.

Ecrire, besoin ou plaisir ?
Les deux. Je ne peux pas concevoir un jour sans écrire. Mais à l’instar d’un marathon, la première demi-heure est laborieuse. Puis, les hormones du plaisir prennent le dessus.

Premiers pas en écriture.
Ils sont liés à ma mère. L’apparition de sa surdité nous a poussées à communiquer par écrit. Mannequin à l’étranger, je rédigeais mon courrier lors des attentes des backstages ou des castings. Avec mes carnets de route, je ne pouvais pas me perdre. Mon goût de l’écriture est né de mes vagues à l’âme, mes coups de blues. La librairie new-yorkaise Le Strand a servi de détonateur pour mon premier roman.

Rituels d’écriture.
J’emporte toujours un bloc-notes, Cerfontaine noir, pour noter mes observations. Devant mon ordi, j’ai besoin d’être seule. Comme j’ai froid, j’enfile les pulls et les boissons chaudes. L’obscurité me fait l’effet d’une bulle.

Que révèle la littérature ?
A travers mes livres, on découvre une dépressive joyeuse ou une pessimiste gaie ! Le lecteur peut y trouver des choses sur lui-même.

Vos lectures.
Brett Easton Ellis, James Ellroy, Cormac McCarty.
Et la chick-litt ?
Jamais, mais il est vrai que ce roman dresse le portrait de la femme et de l’homme contemporains. L’incommunicabilité entre les sexes, les rapports de couple, le mal-être des trentenaires m’intéressent. Telle une éponge, je me laisse inspirer par mon époque.

Votre roman se veut…
Une comédie des moeurs au ton impertinent. Mes héroïnes passent de l’éclat de rire aux larmes. J’aime ces oscillations entre « névrosées », car elles dévoilent leurs richesses et leurs failles. Finalement, je leur ressemble.

Votre vision de l’amitié ?
Assez pessimiste et décevante. Ici, elles se consolent et se disent leurs quatre vérités. Complémentaires, elles osent aborder crûment leurs zones d’ombre. Faute de mieux, c’est un exutoire. Voir les autres en baver, réchauffe plus qu’un plaid ! Mais sous le vernis, les gens ne sont pas si bons que ça. L’amitié demeure une béquille, qui n’empêche pas de boiter…

Comment sont vos amies dans la vie ?
Comme dans le roman : drôles, gourmandes, sanglantes, déjantées, désespérées, insupportables. Entre filles, on se fait des dîners trash dans nos apparts respectifs. Depuis la sortie du livre, certaines ne se manifestent plus. Elles semblaient excitées ou paranos à l’idée de ce roman. Certaines allaient jusqu’à se stéréotyper pour entrer dans leurs « rôles ». On ne sait jamais comment on est perçu par l’autre…

« Soulagent-elles votre conscience » ?
Non, seule l’écriture recycle mes frustrations, angoisses, silences, secrets et idées noires.
Séries cultes.
Californication, The Sopranos, 24h Chrono. Les séries françaises sont si cheap que la sauce ne prend pas. Desesperate Housewives ? J’ai horreur de ces dindes, qui ne savent pas comment combler leur ennui. Avec ses quatre New-Yorkaises, les plus branchées et les plus décomplexées de la Terre, Sex in the City a révolutionné les sitcoms. Mais je ne m’y reconnais pas non plus.
Y a-t-il une différence entre les trentenaires parisiennes et new-yorkaises ?
A New York, les célibataires constituent un phénomène de société puissance mille. Les femmes se doivent d’être utiles et rentables. A Paris, c’est plus complexe… Désarmantes, elles se montrent telles qu’elles sont.

Etes-vous une femme d’aujourd’hui ?
Bien dans mon époque, je vis, je capte et je ressens les émotions d’une trentenaire, qui craint de faire de mauvais choix. Me construisant pierre par pierre, je me pose beaucoup de questions. La pression des magazines nous rend névrosées ! Le bonheur sur papier glacé nie la solitude, la culpabilité et le repli sur soi. L’amour est vite consommé et vite oublié.

Pourquoi avoir organisé un cocktail dînatoire, chez vous, pour la promo du roman ?
C’était dans la logique du livre. J’avais convié un chef londonien, qui a imaginé un cake pour chacune de mes héroïnes. Jeanne était une meringue rose vanillée, Clarisse avait un goût de rhum, Gab une saveur café/chocolat noir, et Noé des marrons glacés ornés de pépites d’or.

Quel est le décor de votre appartement ?
Possédant une âme, il renferme beaucoup de livres et de photos. Chacune d’entre elles raconte une histoire…

Qui rêvez-vous de rencontrer ?
Jody Foster. Elle est formidable, brillante, époustouflante. Ayant défilé avec Carla Bruni, j’aimerais parler avec cette femme intrigante et totalement romanesque. Quant à Woody Allen, je me reconnais bien dans sa façon désespérée de voir la vie.

Qu’aimeriez-vous changer en vous ?
J’ai tendance à me flageller en permanence. Toujours insatisfaite, je ne trouve guère grâce à mes yeux. Même si j’avance, c’est épuisant.

Et physiquement ?
Il faut certes bloquer les dégâts de l’angoisse, mais je ne suis pas pour la chirurgie esthétique. Gommant notre personnalité, elle finit par nous transformer en clones.

La féminité c’est…
Le naturel.

Est-ce votre mère qui vous l’a léguée ?
Oui, mais malgré elle. Sa prise de cortisone l’a rendue obèse. Honteuse, j’ai pris mon contre-pied en devenant maigre et mannequin.

Comment entretenez-vous votre corps ?
Par la cuisine. J’adore faire du cheese-cake, de la mousse au chocolat et des linguinis crabe/fenouil. Mon pot-au-feu est le meilleur de France !

Astuces beauté.
Me sentir désirée dans le regard de l’autre me rend plus belle que le plus performant des bistouris !

Et la french manucure ?
Ayant des ongles très blancs, je suis plutôt « french pédicure » (rires).

Le mannequinat c’est…
Un métier anxiogène et déstabilisant, qui m’a donné une grande liberté financière. Grâce à lui, j’ai pu voyager dans le monde entier et rencontrer Saint-Laurent, McQueen et Galliano.

Goûts vestimentaires.
Je déteste m’acheter des vêtements. Depuis mes quinze ans, j’ai le même dress code. Fan de Yamamoto, je porte une chemise blanche basique avec un pantalon à pinces, taille haute. Mesurant 1,82 m, je ne porte jamais de talons.
Couleur fétiche.
Le noir, pour son côté japonais. Chic, neutre, passe-partout, il permet d’exister sans s’exhiber.

Qui vous fait fantasmer ?
Contrairement à Noé, je ne fantasme pas sur Vincent Lindon, mais j’aimerais lui offrir un rôle au théâtre ou au cinéma. Je lui ai donné mon roman, mais il n’a pas donné suite. Viril sans être précieux, il m’émeut en tant qu’acteur. J’adore cet homme déglingué, à fleur de peau.

Séductrice ou séduite ?
Je suis séduite par la singularité, la discrétion et le mal-être. Mon premier amour était un acnéique charmant (rires).

En amour, vous êtes…
Entière.

Ce roman explore néanmoins la peur d’aimer.
Autour de moi, je ne vois que ça. Une quête effrénée d’amour, tout en le redoutant. On veut tout et son contraire : la liberté et s’engager. Il faut avoir la tête solide pour vivre dans cette société, où l’on refuse de grandir.

Etes-vous aussi éternellement maman que Jeanne ?
Non, j’apprends jour après jour à devenir mère. C’est un travail de longue haleine. Pessimiste, j’aimerais transmettre à ma fille le goût de l’effort et de la générosité.

Prochains projets.
Après avoir réalisé le court métrage, Un certain regard, (avec Stéphane Freiss et Julie Gayet), j’en écris un second avant d’attaquer le format long. J’aime passer de l’écriture solitaire au travail d’équipe.

Le bonheur c’est…
Une utopie. Si ce n’est le sourire de ma fille, le bonheur est un mirage aux alouettes. La vie n’est qu’une succession de destins croisés, de patchworks d’émotions, de rendez-vous manqués et d’espoirs.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

French Manucure, par Géraldine Maillet, Flammarion, 380 pages.




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