Icônes électriques: Lou Reed Mon oncle d’Amérique

Tous les quinze jours, Jérôme Mardaga nous parle d’un des musiciens qui a marqué sa carrière.

Photo de famille. Tout le monde est là. Dans le coin inférieur gauche écorné se tient l’oncle Lou. Si je me souviens l’avoir vu sourire trois fois, c’est beaucoup. Toujours à bougonner dans son coin, strabisme entre les dents. Il ne fallait pas l’énerver l’oncle Lou. Les autres adultes gardaient toujours une certaine distance. Nous, la marmaille, l’adorions. Il avait parcouru le monde mais vivait dans le sien et inventait des tas d’histoires. Alors, une fois que la lumière dehors se fanait, venait le moment de l’oncle Lou. Nous formions l’arc de cercle et tendions les oreilles en tentant d’étouffer nos piaillements excités. Derrière ses verres fumés qu’il ne quittait jamais, sans un sourire, sans laisser croire qu’il nous portait la moindre attention, le vieux fou se mettait à nous conter les grandes villes lointaines et les aventures étonnantes de leurs pauvres hères. En grattant doucement une guitare centenaire de couleur crème écaillé. Nous raffolions de ses histoires, plutôt paraboles qui finissent mal que fables bienveillantes. Dans les histoires de l’oncle Lou, c’était le méchant qui gagnait la plupart du temps. Le décor variait peu: ces capitales lointaines d’acier, de verre et d’électricité où se débattait une fourmilière dérisoire d’âmes égarées. Oncle Lou connaissait ce monde étrange par coeur et nous le délivrait, l’augmentant de mille détails qui rendaient le récit poignant de vérité. Il nous conta ainsi l’histoire d’une Vénus en fourrure, de la douce Jeanne aux yeux bleus, si pâles, de l’homme qu’on attend et qui n’arrive pas, l’histoire de la journée parfaite et aussi celle d’une randonnée sur le mauvais côté de la route. Toujours en grattant doucement sa guitare. Il m’a tellement impressionné, l’oncle Lou, que bien des années après sa mort, je fis comme lui et quittai la ferme pour une ville lointaine et hostile. J’avais mille histoires à écrire, mille chansons à chanter. Comme oncle Lou.

Jérôme Mardaga

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