John Connolly

Situé à Paris, l’Hôtel de l’Abbaye possède un charme inédit. La véranda donne sur un petit jardin. Un décor très cottage, qui convient bien à l’écrivain irlandais John Connolly. Alors que son univers de thrillers est teinté de noirceur, il est d’une douceur absolue. A l’image de ses dents du bonheur, il déborde de générosité et de drôlerie. La proie des ombres pousse à nouveau le détective Charlie Parker dans les sombres recoins humains. Un cauchemar qui n’a rien à voir avec cette délicieuse conversation !

Qu’y a-t-il de plus irlandais en vous ?
Un complexe d’infériorité, qui me pousse à m’excuser tout le temps. Quand on grandit dans un petit village, on n’a qu’une envie, c’est de fuir. Outre la musique, je m’inscris dans une tradition d’écriture fantastique.

Le journalisme a-t-il été une bonne école de détective ?
Cela m’a appris à approfondir mes recherches et à acquérir une discipline quotidienne, très cadrée. N’aimant pas le news, j’étais plutôt frustré. L’écriture même ne me plaît pas. Ce n’est qu’une fois que c’est fait, que je suis satisfait. Or tant que vous n’êtes pas publié, nul ne sait que vous existez !

Qu’aimez-vous explorer dans les thrillers ?
Ce qui m’intéresse dans le monde, c’est l’empathie, la justice, la compassion et la vérité. Imbibé de catholicisme irlandais (NDLR : il porte d’ailleurs une croix), j’aime l’idée du repenti et de la rédemption. Pour imaginer des méchants ou des gentils, je dois puiser une part humaine en moi. Ainsi, les deux protagonistes de ce roman sont des hommes brisés.

Pourquoi aimez-vous susciter la peur ?
Que ce soit dans un livre ou un film d’horreur, j’aime la sécurité. Malgré des poussées d’adrénaline, nul n’est en danger. C’est idéal pour ouvrir une plaie, afin de la comprendre.

Qu’est-ce qui vous fait peur ?
Même si je ne suis pas Rambo, c’est un sentiment que j’éprouve rarement. D’autant que je me crois fort dans mes romans. Je crains plus ma vulnérabilité.

Votre héros, Charlie Parker, est-il votre double ?
Il y a énormément de choses de moi en lui, mais elles sont exagérées. Tout comme moi, il voit le monde comme une prison, où se reflète la lumière. En dépit de ces similitudes, je ne suis pas aussi tourmenté et enragé que lui.

Quelle est sa part d’ombre et la vôtre ?
La mélancolie et le fatalisme. Ça m’aurait plu de m’immerger dans le romantisme du XIXe siècle.

Le pire des cauchemars?
Perdre ceux qu’on aime… Parker est confronté à l’impossible deuil d’un enfant. Une fois que le pire est arrivé, on ne se sent pas invincible, mais on est en quelque sorte libéré de sa plus grande crainte. Si Parker préserve son empathie, Merrick est consumé par une rage égoïste.

Merrick tend-il un miroir à Charly ?
Il est celui qu’il aurait pu devenir s’il ne s’était pas débarrassé d’une haine dévorante. J’ai interrogé des psys et des sociologues sur la question du Mal, qu’ils conçoivent comme l’absence d’empathie et la déshumanisation de l’ennemi.

Vous écrivez que « ce sont les vivants qui ont une tâche à finir ». Avez-vous des fantômes ?
Ce sont les vivants qui créent des fantômes, qui portent le poids de leur culpabilité. J’aime que mes livres soient ambigus. Les semi-vérités me fascinent car, je préfère me protéger, quitte à me raconter des histoires. Dès qu’on franchit cette frontière, on peut se perdre… Mais mieux vaut un pt’it qu’un grand péché.

Ayant le pouvoir de vie et de mort, l’écrivain peut-il s’apparenter à Dieu ?
J’aime avoir ce pouvoir. C’est à moi de décider ce que je fais vivre et endurer à mes héros. Il y a aussi l’envie de distraire les lecteurs avec les souffrances d’autrui. Il est très excitant d’écrire des polars, car ils frôlent les frontières de la responsabilité envers le monde et la vérité. D’autres personnes songent à la destruction et à la mort, mais comme le romancier le fait sous couvert d’un livre, cela paraît noble (rires).

Qu’avez-vous fait de plus fou ?
Ado, j’aimais transgresser certaines règles. Depuis, je me suis assagi… Alors que mon bureau est hyperbordélique, j’ai tendance à être obsédé par l’ordre.

Si « le Devineur » devait vous toucher, que percevrait-il ?
En touchant mes doigts, écrasés par les touches d’ordinateur, il pourrait aisément deviner mon métier.

Que ne soupçonnerait-il pas ?
Que j’adore chanter et danser, surtout lors du repassage (rires). Et puis, mon amour des chiens. J’en ai eu un pendant des années. Notre amour était inconditionnel. C’est fou comme un animal vous est dévoué ! J’admire cette loyauté totale, qu’on ne retrouve hélas pas chez les hommes.

A l’instar du « Collectionneur » de l’intrigue, collectionnez-vous quelque chose ?
Je ne jette rien (rires) ! Mes deux vices sont la musique et la lecture. J’adore être entouré de piles de livres.

Ecrivains favoris?
Cormac McCarty et E. E. Cummings, un immense poète. J’ai pu sauver l’un de ses ouvrages signés. C’est mon bien le plus précieux !

La musique qui vous accompagne?
Mon héros a beau s’appeler Charlie Parker, je n’écoute quasiment pas de jazz. Je préfère la spiritualité et la liberté. Ce roman est accompagné d’un CD de musiques douces. Si ce n’est quand j’écris, je suis perdu sans musique.

Aimez-vous cuisiner ?
Seulement pour impressionner les femmes (rires) ! En Irlande, ce sont surtout les mères qui cuisinent. J’aime me mettre aux fourneaux pour me détendre et pour déguster un plat avec un bon verre de vin.

Une spécialité ?
Le chili pepper très épicé. J’adore voyager, alors quand je suis à la Nouvelle Orléans, j’achète plein d’ingrédients qui conviennent au gumbo : un mélange de saucisses, de poivrons et de riz.

Qu’appréciez-vous dans le voyage ?
La solitude. J’aime aller dans une ville étrangère pour me perdre anonymement. Les voyages sont comme une addiction, car ils m’éloignent des responsabilités réelles. Or à force de ne plus être chez soi, on risque de se fuir soi-même…

La Belgique c’est…
Un pays où je n’ai jamais été. Je possède toutefois un objet typiquement bruxellois : un ouvre-bouteille Manneken Pis (rires).

Soignez-vous votre look ?
Si ce n’est ma manie pour les chemises blanches, je me limite aux jeans et aux bottes. Pour les conférences, je préfère les smokings, please.

Quelle est votre vision des femmes ?
Je ne les redoute pas, mais elles sont plus intelligentes et perceptives que nous. Les hommes cachent toujours quelque chose dans leur relation, alors heureusement qu’elles existent !

Et de l’amour ?
Je ne suis pas très optimiste… Peut-être est-ce dû au souvenir de mon coeur broyé. Quand on aime la première fois, on le fait inconditionnellement. Lorsque ça prend fin, on a l’impression d’avoir les deux bras brisés. Passé au rayon X, le coeur n’est pas beau à voir.

Craignez-vous le Jugement Dernier ?
Comme tout bon catholique, je fais une prière avant d’aller dormir. J’ignore si ça me sauvera, mais je prie pour la sécurité des gens que j’aime, pour ma santé, pour la non paralysie de mon écriture et pour le succès de mes livres. Quand Harlan Coben – que j’adore – me complimente, je n’y crois pas tellement c’est flatteur.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

La Proie des ombres, par John Connolly, Presses de la Cité, 445 pages.

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