Les zombies, cadavres exquis

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Premier blockbuster hollywoodien à mettre en scène des zombies, World War Z joue sur l’attrait du grand public pour les histoires de morts-vivants. Ce que confirment les succès des séries The Walking Dead ou Les Revenants. Explications par le menu.

Tout change, même le zombie. Il y a encore quelques mois, il était une créature destinée au bon plaisir des amateurs de gore, immortalisée par George Romero dans La Nuit des morts-vivants, et cantonnée à des films indépendants, pour la plupart interdits au jeune public. Aujourd’hui, le mort-vivant est partout et visible par tous. A la télé, dans les séries The Walking Dead ou Les Revenants, dans les bandes dessinées, les jeux vidéo, les romans, et jusqu’au coin de la rue, où sont régulièrement organisées des marches de zombies, de Montréal à Paris, en passant par Los Angeles.

Et puis, bien sûr, au cinéma. Notamment, depuis le 3 juillet sur les écrans, dans le plus gros blockbuster estival, World War Z, avec Brad Pitt dans la peau du héros chargé de sauver le monde. Jamais Hollywood n’avait misé un budget de 175 millions de dollars sur une histoire de monstres avides de chair humaine ! Certes, le scénario a été adouci. D’habitude, l’humanité court à sa perte ; dans World War Z, après une heure de film très anxiogène, le héros se lance à la recherche du remède. Et, comme le héros s’appelle Brad Pitt…

Il n’empêche. Le zombie investit dans le divertissement populaire et ça, c’est nouveau. La démocratisation de cet ultime tabou que représente la mort résonne à la fois comme un exutoire et une catharsis.

Pour le sociologue québécois Maxime Coulombe, auteur de Petite Philosophie du zombie (PUF), « il y a quelque chose de jouissif à voir des créatures totalement stupides anéantir les êtres humains censés dominer le monde ». Ceci pour l’exutoire. « Ces films se rattachent aux deux plus grandes angoisses de notre époque : la contagion planétaire et l’apocalypse », continue Maxime Coulombe. Ceci pour la catharsis.

Néanmoins, ces explications ne sont que des éléments de réponse à cette tendance émergente. Car quid des Revenants, la série française à succès diffusée l’hiver dernier sur BeTv, dans laquelle les morts-vivants ne sont pas des cadavres ambulants en état de décomposition avancée, mais des hommes et des femmes en pleine forme et tout à fait normaux – si ce n’est qu’ils furent enterrés des années auparavant et qu’ils reviennent comme si de rien n’était. « Mes références puisent autant dans la Bible que dans les films de George Romero, explique Fabrice Gobert, auteur des Revenants. Sauf qu’ils ne sont ni Jésus ni des zombies. Ils représentent à la fois un miracle et une malédiction. » Ils remettent surtout l’inéluctable en question et participent de cette fascination ancestrale que l’homme nourrit à l’égard de la mort.

A l’origine, le zombie est une création vaudoue, un individu ensorcelé et manipulé par un type aux motivations pas très sympas. En 1968, dans La Nuit des morts-vivants, George Romero inverse la problématique : le zombie n’est plus un vivant pris pour un mort, mais un mort qui paraît vivant. Il déambule, hagard, et n’a pour seul but que de dévorer de la chair fraîche, contaminant toute personne qu’il mord. Seul moyen de l’anéantir : lui transpercer le cerveau. Ce petit film devenu culte, réalisé en noir et blanc pour la modique somme de 114 000 dollars, pose les fondements d’un genre dont la plupart des fleurons sont sous-tendus par une dimension politique, philosophique ou métaphysique.

Un reflet de la société contemporaine Ne souriez pas. Le film de zombies, quand il est réussi, est à prendre très au sérieux, car il se veut le reflet de la société contemporaine qu’il décrit. Dans World War Z, par exemple, la fin de l’espèce humaine est envisagée, véritable cauchemar en ces temps de crise écologique et de multiplications d’épidémies ou de pandémies. Dans Zombie, de George Romero (encore lui), c’était la société de consommation des années 1970 qui était mise en cause, avec ces humains prisonniers d’un centre commercial assiégé par les macchabées affamés. Les ravages du sida étaient, eux, évoqués dans 28 Jours plus tard, de Danny Boyle (2002), où le moindre contact sanguin avec un mort-vivant transformait la victime en zombie. Et la politique de George W. Bush était sévèrement critiquée dans le téléfilm Homecoming, de Joe Dante (2005), où des soldats tombés au front sortaient de leurs cercueils pour aller voter. Enfin, plus récemment, dans Je suis une légende (2007), avec Will Smith, une malheureuse manipulation génétique transformait la population mondiale en monstres terriblement agressifs. Certains puristes pinaillent sur le fait que ce sont ici des mutants plus que des zombies. Pourtant, le roman de Richard Matheson dont s’inspire le scénario est une des références avouées du grand spécialiste de la chair en lambeaux, George Romero. Alors…

Du temps de Romero, justement, le fléau relevait du châtiment divin. « Quand il n’y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur terre », déclarait un des personnages de La Nuit des morts-vivants. Et il suffisait de mourir, même d’un infarctus, pour devenir à son tour un zombie. Aujourd’hui, la cause est clairement virale ou bactériologique. Seuls les contaminés deviennent des ennemis. La menace est concrète. Même dans Les Revenants, une magouille autour d’un barrage de montagne où se déroule l’action semble être à l’origine du retour des disparus – on en saura sans doute plus dans la saison 2.

En attendant, quelle que soit la raison de cette « zombitude », l’intérêt de ces films est d’ordre quasi métaphysique. Ne souriez toujours pas. C’est très sérieux. Dans un épisode de la troisième saison de The Walking Dead, un rescapé constate : « Les morts sont de plus en plus nombreux, et les vivants de moins en moins humains. » Tout est dit. A la fascination de ce spectacle macabre s’ajoute, chez le spectateur, un « plaisir malsain », selon le psychanalyste Dominique Barbier, auteur de La Fabrique de l’homme pervers (éd. Odile Jacob). « Ce genre de films met en avant les pulsions les plus archaïques de l’être humain. Or, la différence fondamentale entre l’homme et l’animal est de contrôler ces pulsions. »

S’amuser à scruter la noirceur qui est en nous « Pour vaincre un vampire ou un loup-garou, le héros doit puiser ses forces dans ce qu’il a de meilleur en lui, explique Maxime Coulombe. Pour vaincre un zombie, c’est tout le contraire. Agissant sans autre raison que celle de nous détruire, il fait apparaître ce qu’il y a de plus sombre en chacun, de plus individualiste. » De fait, les personnages de ce genre d’histoires finissent toujours par se bouffer le nez – d’abord au figuré, puis, rapidement, au propre. Le film devient alors un miroir dans lequel le public ne se voit pas forcément sous son meilleur jour – même la nuit. « Dans une société de plus en plus hygiéniste, les films de zombies agissent comme un défouloir », explique Maxime Coulombe. Jouer à se faire peur n’est pas une activité qui date d’hier. S’amuser à scruter la noirceur qui est en nous est une distraction plus récente.

Destiné au grand public, World War Z ne s’appesantit pas trop sur ce côté obscur du divertissement. Mais il est bel et bien là, en filigrane, à travers quelques personnages secondaires, avant que le héros, beau et irréprochable comme Brad Pitt, ne remette les choses en place. L’espoir est une valeur plus vendeuse que le pessimisme. Surtout au box-office. De même le romantisme est-il plus fédérateur. Fabrice Gobert l’a bien compris : « La philosophie des Revenants va à l’encontre des histoires de zombies et se rapproche davantage de celles des fantômes, qui ont toujours une bonne raison de venir hanter un lieu. » Le psychanalyste Dominique Barbier, lui, se moque bien de ces explications. Pour lui, ces films et ces séries ne sont que « des produits de bonimenteurs destinés aux gogos. On veut éliminer la mort, en laissant croire qu’on est éternel. Et pourquoi ? Pour dévorer l’autre ? Pour éliminer le deuil ? Il faut revenir à Platon et à Socrate, qui expliquaient le tragique de la mort pour mieux démontrer la beauté de la vie. » Mais, justement, c’est peut-être parce que la vie est si belle que les zombies reviennent sur terre et sur les écrans. Pas fous, les gars.

Par Christophe Carrière

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