Being Jean-Paul Lespagnard

© OSKAR

Le créateur belge s’installe au Musée Mode et Dentelle à Bruxelles. Dès ce 21 octobre, il y expose ses cheminements intérieurs, ses sources d’inspirations, son monde foisonnant et son talent pour l’hybridation. Reflection. Réflexions.

Il rentre de Papouasie occidentale où il a mené tambour battant une étude de terrain propre à nourrir son imaginaire pourtant déjà hypertrophié. Car Jean-Paul Lespagnard a ceci de singulier qu’il va toujours à la source avant de digérer puis traduire en vêtements, foulards, accessoires, costumes de scène ou oeuvres plastiques ce qu’il a vu, appris, senti, touché, collectionné et qui peuple à jamais son monde intérieur. Dans son penthouse bruxellois avec vue sur ciel brodé de toits, il interrompt parfois la longue liste de ses inspirations-hybridations pour touiller dans un boeuf rendang qui mijote doucement, il a rapporté les épices et la recette de là-bas. Comme le reste d’ailleurs – dans ses bagages, des visions, des masques, des plantes qu’il bouture, des colifichets, des objets usuels, des impressions délicates qu’il ordonne à sa façon, féconde et puissante.

Pour le danseur et chorégraphe Darlane Litaay, invité d’Europalia Indonésie avec son spectacle Morning Star Dark Valley, le créateur belge signe des costumes de scène dans un tissu bois incroyable, peint à la main par ses nouveaux amis papous qu’il respecte au plus haut point, fasciné par leur pureté non polluée. Comme il n’est pas l’homme d’un seul projet, il s’apprête à filer en Suède où il travaille au côté du chorégraphe Damien Jalet pour l’opéra de Göteborg, arrêt au Volksbühne à Berlin, où l’attend Boris Charmatz et sa nouvelle création appelée 10000 Gestes, puis crochet au Musée Mode et Dentelle, à Bruxelles, qui l’accueille pour une expo, Reflection, qui se penche sur ce qui l’inspire et qu’il métisse avec une joyeuse irrévérence.

Associations sans fin, mélanges bienheureux, traductions singulières. Il ne craint pas le foisonnement, encore moins l’immersion, avec lui, pas d’exclusion. Ce fils de camionneur, né à Harzé le 5 avril 1979, a d’abord croisé les arts plastiques, est tombé en amour pour le pop art et le néo-pop puis le baroque. En 2008, très naturellement, il fonde son label à son nom, sans pour autant se ranger dans la case  » créateur de mode « . Son vestiaire s’ancre dans la culture populaire, les traditions de village, le MTV des années 1990, ses racines wallonnes, l’exotisme, la danse contemporaine, Jeff Koons, Wim Delvoye, Paul McCarthy, l’art brut et cette insatiable curiosité qui l’ensemence par capillarité. Il était une fois Jean-Paul Lespagnard.

Reflection, by Jean-Paul Lespagnard, Musée Mode et Dentelle, 12, rue de la Violette, à 1000 Bruxelles. Du 21 octobre au 15 avril prochains. www.museemdoeetdentelle.brussels

Somewhere in Between 2012

 » Sur l’affiche de l’exposition, je porte ce sweat à motif brodé en perles de verre, visuellement, c’est peut-être la pièce qui montre le plus simplement ce mélange de deux éléments assemblés. Somewhere in Between parle d’élévation sociale, on voit très clairement que le homard, que l’on retrouve dans le surréalisme, chez Jeff Koons et Salvador Dalí, monte et tient le ballon de basket vers le haut, presque comme une hostie. Le tout dans un esprit vitrail, avec des broderies réalisées dans un atelier en Belgique. Les vitraux reviennent très souvent dans mon travail, pour les compositions des imprimés des foulards notamment. Wim Delvoye en utilise aussi souvent, beaucoup connaissent mon admiration sans bornes pour son oeuvre, il arrive à mélanger le goût et le dégoût, à magnifier le laid de la vie. Cela me parle, ne danse-t-on pas tous sur nos tombes ? « 

Maatjes 2013

 » Célébrer l’objet du quotidien par le recouvrement, lequel traverse la culture populaire et l’art contemporain. Pour cette collection Maatjes, j’ai visité le musée de Flardingue, aux Pays-Bas, et je me suis inspiré des femmes de pêcheurs qui se préparaient pour aller chercher en vélo leur mari qui revenait avec leur bateau plein de harengs. J’ai traduit cela de façon un peu plus contemporaine : je les ai imaginées fans de motocross et se déplaçant à moto. Et elles se font tellement belles qu’elles décorent même leur casque avec des strass, des boutons d’or et des boulons, en un mélange de choses très élégantes et d’autres très simples. Ce casque évoque également les crânes décorés, les vanités, les masques de Martin Margiela que j’admire pour la radicalité de son propos, les coiffes traditionnelles hyperchargées et les makech, ces petits insectes que les Mexicains customisent avec des paillettes et portent en broche, vivants.  »

Ich Will ‘Nen Cowboy Als Mann 2008

 » C’est l’histoire d’une femme qui travaille dans une friterie et qui rêve de s’enfuir au Texas pour rencontrer un cow-boy. Il y a cette idée de vêtement élégant et sportif, la taille est élastiquée, certains détails sont agrandis pour les rendre « parodiques », à la manière de Saint Laurent et ses noeuds. Le tissu du jumper est en coton enduit, il ressemble à un cornet de frites que la mayonnaise aurait rendu transparent, c’est en le trouvant que m’est venue l’idée de la collection sur cette femme dans son fritkot. La veste en dentelle de Bruxelles est inspirée de ma collection d’étudiant, à Château Massart (Haute école libre mosane), des éléments de ma grammaire étaient déjà installés. Elle s’appelait La Vierge Marie joueuse de foot, j’avais envie de comparer les fanatismes religieux et hooligan, ces croyances qui fédèrent les gens, en bien ou en mal… Je voulais aussi que cette dentelle recouvre le visage. Cette idée de masque me poursuit, comme un changement d’identité, une mise en valeur ou une annulation. « 

Tenue de scène créée pour Alice on the Roof 2016

 » Cette robe en sergé de coton floqué de paillettes trouve ses origines dans une photo de Chantal Goya dans une jarre de bonbons, c’était l’intérieur d’une pochette de disque que j’écoutais quand j’étais petit, comme une apparition magique. Quand vous collaborez avec des artistes, ils vous font entrer dans leur univers et vous, avec le vôtre, vous les entraînez vers ce qui devient alors un partage. En même temps, c’est une manière pour moi de voir comment d’autres travaillent et quels sont leurs modes de fonctionnement. En oeuvrant avec des chorégraphes comme Meg Stuart ou Arco Renz, notamment, je découvre des systèmes de recherches que je peux ensuite utiliser dans mes propres créations. « 

From B to A 2013

 » Transgresser les règles. Prendre une broderie populaire, traditionnelle et la transformer, la faire muter vers quelque chose de plus couture. Avec, pour les manches, un hommage à Madame Grès, qui ajoutait un morceau de tissu quand elle n’en avait pas assez pour couvrir la longueur des bras, c’est une découpe inventée par elle. L’épaule sans couture donne cet effet de boule, typique des Gilles de Binche, c’est comme si on avait pris la silhouette d’un Gille et qu’on l’avait synthétisée en termes de coupe. Il n’est pas toujours nécessaire d’aller en Papouasie pour trouver l’exotisme.  »

I Could Be Yours 2012

 » Cette robe mise à plat, c’est une taie d’oreiller, que j’avais vue pendre sur le fil à linge dans l’appartement d’un ami, à Paris. Elle se porte très ample ou très serrée, avec cette idée de pouvoir donner à nos clientes une pièce qu’elles vont pouvoir s’approprier et enfiler à leur manière, ce n’est pas figé et il y a toujours cette grande notion de confort et de versatilité. Je peux avoir des fantaisies de coupes en regardant autre chose qu’un vêtement : c’est en voyant un objet, une pose, un mouvement que j’imagine des formes qui seront confortables. Mon amour de la coupe me vient de ma tante Odette. J’ai ensuite suivi des cours de coupe couture dans un atelier pour personnes âgées en même temps que mes études de stylisme.  »

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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