De toutes LES matières…

Le bleu mythique, référencé 1837 chez Pantone,a inspiré la nouvelle fragrance de Tiffany & Co. © SDP

Comme les couturiers, les joailliers mettent du rêve en bouteille. Des parfums joyaux devenus cultes pour certains. Et pour lesquels rien, du briefing faisant référence à l’univers du bijou au facettage du flacon, n’est laissé au hasard.

La petite histoire ne dit rien des coulisses de la rencontre de Charles Lewis Tiffany avec ce qui reste aujourd’hui l’un des plus beaux diamants jaunes au monde. Tout juste sait-on qu’il venait d’une mine d’Afrique du Sud et qu’il pesait lors de son achat 287,42 carats. Un chiffre ramené, une fois la taille en coussin accomplie, à 128,54 carats exactement. Cette pierre unique en son genre n’a jamais quitté la maison et n’a été portée à ce jour que par deux femmes, l’une d’elles étant Audrey Hepburn, bien sûr, sur les photos de promo du cultissime Breakfast at Tiffany’s. Exposé dans le magasin principal de New York, ce joyau exceptionnel draine chaque jour son lot de visiteurs, une sorte d’attraction touristique en quelque sorte, ceux qui poussent la porte de la boutique – située qui plus est dans la Trump Tower… – n’entrant pas nécessairement pour acheter.

Ce diamant jaune, l'un des plus beaux du monde, a inspiré la nouvelle fragrance de Tiffany & Co.
Ce diamant jaune, l’un des plus beaux du monde, a inspiré la nouvelle fragrance de Tiffany & Co.© Le bleu mythique, référencé 1837 chez Pantone,a inspiré la nouvelle fragrance de Tiffany & Co.

Rien d’étonnant donc à ce que ce gemme emblématique soit aussi l’une des quatre  » muses  » du nouveau sillage irisé de la marque, qui signe ainsi avec éclat son retour dans l’univers des fragrances, après un temps de pause d’un peu plus de dix ans. Dans le briefing transmis au maître-parfumeur Daniela Andrier figurait également, en bonne place, le  » bleu Tiffany  » – auquel Pantone attribua le numéro de code 1837 en référence à l’année de création de la griffe – que l’on retrouve, délavé, dans le jus lui-même et dans la boîte qui ne pouvait être d’une autre couleur, évidemment. Quant au flacon facetté, il rappelle les lignes d’une autre taille, dite Lucida et brevetée, s’il vous plaît, le fait est assez rare pour être souligné.

La nouvelle fragrance de Tiffany & Co.
La nouvelle fragrance de Tiffany & Co.© SDP

Des flacons bijoux

C’est peu de dire que l’on a poussé loin la déclinaison des codes d’un secteur où le luxe n’est pas un vain mot. Un dénominateur commun à tous les joailliers, qui se sont lancés assez tard dans l’aventure, finalement. Longtemps l’apanage de quelques grands noms uniquement dédiés à cet art, le parfum était devenu aussi affaire de mode au début du siècle dernier : Chanel, Lanvin, Ricci, Rochas et bien sûr Dior ont tour à tour signé des jus devenus cultes, consacrant leur légitimité lorsqu’il s’agissait de créer des propositions en phase avec leur époque. Mais il faudra attendre 1976 pour que les bijoutiers entrent dans la danse. Le nom d’ailleurs, déposé par Van Cleef & Arpels, était on ne peut plus clair.  » Ils se savaient les premiers et avaient choisi de l’appeler First, se souvient le parfumeur Jean-Claude Ellena. Dans le domaine, tout était à inventer. La demande explosait littéralement, il y avait de la place pour de nouveaux acteurs qui arrivaient sans arrière-pensée. J’avais carte blanche. On m’avait seulement dit que le flacon aurait la forme d’une boucle d’oreille. A mes yeux, il fallait que la fragrance incarne le luxe absolu, les belles matières, le prix de la composition pouvait être élevé. J’y ai donc mis tous les archétypes de ce que l’on pouvait considérer alors comme  » le classicisme à la française « . Ce qui, dans ces années-là, passait forcément par un accord rose-jasmin-muguet avec des effets de Fidji de Guy Laroche, de Madame Rochas, d’aldéhydes à la Chanel… « 

La ligne Quatre de Boucheron, et sa dernière déclinaison, Absolu de Nuit, évoquent une bague du même nom.
La ligne Quatre de Boucheron, et sa dernière déclinaison, Absolu de Nuit, évoquent une bague du même nom.© SDP

Le succès est immédiat et donne rapidement des ailes à d’autres habitants de la place Vendôme. Un lien – plus ou moins textuel – avec le travail de joaillier est presque toujours présent dans le sous-titre. Chez Boucheron, en 1988, il est question d’une bague mais imaginaire, à l’origine du moins.  » Ce n’est qu’après le lancement que la forme de ce flacon initial a inspiré l’univers joaillier, rappelle Pierre Desaulles, directeur marketing chez Interparfums. Dans les briefings que l’on donne, on évoque toujours des joyaux, des parures, des gemmes… Mais ce qui fait à mon sens la spécificité par rapport à d’autres acteurs du secteur, c’est que ces maisons peuvent compter sur la force et l’éclat d’objets d’une intemporalité qui ne cesse de rayonner.  » Comme le souligne par ailleurs Nathalie Gracia-Cetto, qui signe Quatre Absolu de Nuit, dernière création en date de Boucheron, ces deux métiers en apparence si différents ont pourtant plus de points communs qu’il n’y paraît.  » Regardez l’attention qui est apportée de part et d’autre dans le sourçage des ingrédients, insiste-t-elle. Nous les ciselons aussi, comme un joaillier, pour les rendre les plus purs possibles et faire ressortir les plus belles facettes du produit avant de les assembler.  » Sur le capot des flacons de la ligne Quatre, lancée en 2015 déjà, on retrouve une évocation de tous les attributs de la bague du même nom – le clou de Paris, le diamant, le gros grain – devenue, depuis son lancement en 2004, l’un des produits phares de la maison.  » Comme un bijou, une fragrance se porte à même la peau, ajoute Pierre Desaulles. Il arrive en touche finale et participe à la construction de l’identité de celui ou de celle qui le choisit. Il y a toujours eu chez Boucheron l’idée que la femme pouvait être maître de son destin et de ses apparats. Qu’elle pouvait entrer chez nous pour s’offrir à elle-même un bijou ou un parfum. Ce sont ces parures olfactives que nous voulions lui offrir.  »

La ligne Quatre de Boucheron, et sa dernière déclinaison, Absolu de Nuit, évoquent une bague du même nom.
La ligne Quatre de Boucheron, et sa dernière déclinaison, Absolu de Nuit, évoquent une bague du même nom.© SDP

Des collections exclusives

Seule griffe à disposer depuis 2005 d’un parfumeur attitré en la personne de Mathilde Laurent, Cartier se targue de  » bousculer le monde souvent trop formaté de la parfumerie d’aujourd’hui  » en osant s’éloigner du modèle parfois en  » copier-coller  » des autres joailliers-parfumeurs. Si certaines fragrances, comme le dernier féminin Panthère notamment, ont un lien assez explicite avec le passé de la marque, d’autres choisissent de parler d’amour – on pense à Baiser Volé et bien sûr à Déclaration, que l’on doit également à Jean-Claude Ellena avant qu’il ne rejoigne Hermès -, voire de rendre librement hommage à  » l’histoire de l’art du parfum  » au travers de la collection des Heures, entre autres. Ces sillages  » très privés comme autant d’instants olfactifs de pure émotion « , construits autour de matières premières uniques, ne sont proposés que dans une sélection ténue de points de vente. Une démarche qui semble avoir fait des émules, ainsi qu’en témoigne l’arrivée chez Van Cleef & Arpels de la Collection Extraordinaire – derrière chaque opus se cache un nez rendant hommage à une matière première, un numéro figurant sur le flacon correspondant à celui de l’essai choisi. Ou chez Bulgari de la ligne Le Gemme dont chaque contenant, en forme d’amphore antique – une référence au berceau romain de la marque -, renferme un jus inspiré par les plus grandes pierres de la joaillerie.

La ligne Quatre de Boucheron, et sa dernière déclinaison, Absolu de Nuit, évoquent une bague du même nom.
La ligne Quatre de Boucheron, et sa dernière déclinaison, Absolu de Nuit, évoquent une bague du même nom.© SDP

 » Nous sommes en face de deux arts dont on peut vraiment comparer les savoir-faire, abonde Luis Miguel Gonzalez Sebastiani, managing directeur de l’unité parfum chez Bulgari. Nos artisans-joailliers se rendent dans le monde entier pour chercher des pierres comme les parfumeurs les matières premières. Notre vision est planétaire : nous ne nous limitons pas à Grasse dans la quête de nos ingrédients rares. De même, nous avons travaillé et travaillons encore avec les meilleurs maîtres-parfumeurs du monde. Je pense à Jean-Claude Ellena, Olivier Polge, Jacques Cavallier (NDLR : aujourd’hui respectivement  » nez maison  » chez Chanel et Louis Vuitton), Alberto Morillas… Notre volonté à l’avenir sera de rationaliser les sorties – finis les flankers saisonniers – et de nous focaliser sur nos parfums les plus exclusifs. Sans abandonner pour autant nos succès populaires – je pense à la ligne Omnia – qui resteront dans notre assortiment mais seront fonction des préférences olfactives des différents marchés.  »

Van Cleef & Arpels fut le premier bijoutier à se lancer en parfumerie, d'où le nom de son jus, First.
Van Cleef & Arpels fut le premier bijoutier à se lancer en parfumerie, d’où le nom de son jus, First.© SDP

Cette  » accessibilité « , on la revendique également chez Tiffany & Co., qui assume avec une certaine fierté une approche du bijou que l’on pourrait presque qualifier de démocratique.  » Nous sommes très américains en ce sens, assure Melvyn Kirtley, gemmologue en chef depuis trente-sept ans. Notre offre ne se limite pas à la haute joaillerie. De nombreux clients de notre maison viennent ici aussi pour notre ligne argent, nos pièces plus mode, c’est une part importante de notre business, l’autre côté du spectre. Nous apportons la même attention à toutes nos catégories de produits. Ceci témoigne du fait que ce qui vient de chez Tiffany & Co. se doit d’être spécial, le fait de recevoir une de nos petites boîtes bleues doit vous apporter le sourire, vous procurer du plaisir. Il en ira de même avec le parfum.  » Un peu de rêve en goutte à goutte tous les matins…

Van Cleef & Arpels fut le premier bijoutier à se lancer en parfumerie, d'où le nom de son jus, First.
Van Cleef & Arpels fut le premier bijoutier à se lancer en parfumerie, d’où le nom de son jus, First.© SDP

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Histoires d’eaux

Qu’est-ce qui fait le succès d’un parfum ? La recette universelle n’existe pas et heureusement sans doute, quand on y pense. Lorsqu’il crée, pour Bulgari, L’Eau Parfumée au Thé Vert, en 1992, Jean-Claude Ellena est loin d’imaginer que ce sillage sera un jour commercialisé à grande échelle, se retrouvera dans des salles de bains d’hôtels du monde entier sous forme de produits d’accueil et surtout donnera naissance à une ligne reprenant aujourd’hui des déclinaisons au Thé Blanc, Bleu, Rouge et Noir.  » Bulgari voulait une Cologne qui ne serait vendue que dans ses boutiques, dans un flacon XXL, se souvient-il. La demande a été tellement forte qu’ils ont dû changer de stratégie et envisager une distribution en parfumerie.  » Tout au plus trouve-t-on une référence à la joaillerie sur le capot du flacon qui reprend le logo inspiré par les inscriptions que l’on pouvait voir sur les pièces de monnaie anciennes. La gamme à l’origine de l’entrée de la marque dans l’univers des fragrances est aujourd’hui reprise au même titre que Le Gemme dans la catégorie Haute Parfumerie de la maison.

La collection des Heures de Cartier, des sillages
La collection des Heures de Cartier, des sillages  » très privés  » construits autour de matières premières uniques.© SDP
La collection des Heures de Cartier, des sillages
La collection des Heures de Cartier, des sillages  » très privés  » construits autour de matières premières uniques.© SDP
La collection des Heures de Cartier, des sillages
La collection des Heures de Cartier, des sillages  » très privés  » construits autour de matières premières uniques.© SDP
La collection Le Gemme de Bulgari rappelle les amphores antiques et s'inspire des pierres précieuses.
La collection Le Gemme de Bulgari rappelle les amphores antiques et s’inspire des pierres précieuses.© SDP

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