Matthias Schoenaerts: « Il n’est pas bon de tout réussir ! »

Veston, Brunello Cucinelli. Tee-shirt, Weekday. Pantalon, Uniqlo. © Filip Van Roe / Stylisme : Amke Rijkenbarg

Il tient le rôle-titre dans Le Fidèle, l’une des sorties incontournables de la rentrée, en salle dès ce 4 octobre. Un drame policier dédié à sa mère, décédée en 2016. Confidences.

Quand il arrive au rendez-vous, Matthias Schoenaerts est sur les rotules : à peine revenu de New York, il vient de passer toute la journée à faire la promotion du dernier opus de Michaël R. Roskam, Le Fidèle.  » Mais je le fais avec plaisir : je suis vraiment fier de ce film « , précise-t-il. Le long-métrage, qui portera les espoirs de la Belgique aux prochains Oscars, retrace l’histoire de Bibi (Bénédicte), une jeune pilote de course issue d’un milieu bourgeois – magistralement interprétée par Adèle Exarchopoulos – qui tombe amoureuse de Gigi (Gino), un gangster qui jetterait volontiers son revolver aux orties, incarné par l’Anversois.  » Travailler avec Michaël, c’est toujours tout un processus, explique-t-il.

Il faudrait toujours être dans l’expectative, sentir que quelque chose se prépare sans bien savoir quoi.

Pendant six ans, nous avons patiemment modelé le personnage, les scènes, les dialogues. Nous sommes amis et toujours heureux de partager un plateau ; nous nous amusons d’ailleurs beaucoup, mais cela ne nous empêche pas de travailler aussi très sérieusement, de nous interroger sur les moyens de tirer le meilleur de chaque plan. Le film comporte quelques passages assez piquants et on sent vraiment le plaisir que nous avons eu à le faire – ou du moins je l’espère !  » Confidences du quasi-quadra – il franchira le cap le 8 décembre -, devant un double expresso.

C’est la troisième fois que vous travaillez avec Michaël R. Roskam. Cela vous a-t-il d’emblée mis en confiance ?

Même si on ne peut jamais complètement anticiper le résultat en cours de processus, on part avec un a priori positif. Connaissant le pouvoir narratif de Michaël, son langage visuel, son sens de la lumière, je m’engage dans ses projets avec une entière confiance. Mais ce n’est que lorsque le récit prend forme que l’on peut jauger la qualité, la manière dont tout s’articule. Ce qui me plaît beaucoup ici, c’est que Michaël a voulu faire un film de gangsters, mais en jouant avec les conventions du genre : finalement, c’est l’amour qui est au premier plan.

Le Fidèle est dédié à votre maman, Dominique…

Elle est décédée pendant le tournage, mais ce n’est pas la seule raison de cette dédicace. Elle était vraiment la personnification de tout ce que ce film représente : la loyauté, un amour absolu sur lequel on pouvait toujours compter… Perdre un parent est une expérience brutale, une véritable amputation émotionnelle. La douleur ne se voit pas, mais elle est bien présente. On a l’impression de vivre un crash psychologique et, comme après un accident de voiture, il faut parfois des mois ou des années pour s’en remettre. Mais les autres oublient très vite. Au début, ils vous demandent si ça va… et après quelques mois, on sent qu’ils trouvent que ça commence à bien faire. On est souvent seul dans sa souffrance, et c’est très bien ainsi.

Comment continuer sa route ?

J’ai refusé de rester à ne rien faire : j’ai travaillé dur au cours de l’année écoulée, et cela m’a beaucoup aidé. Mon métier est moins un job qu’une passion, et la créativité est une bénédiction en ce sens qu’elle permet de canaliser, de transformer, de donner forme. Nous portons en nous un bagage d’informations et d’expériences. Nous n’avons pas conscience de tout ce que notre cerveau enregistre, mais cela laisse des traces : chaque personne que nous avons regardée dans les yeux, chaque endroit par où nous sommes passés. Tout bouge et évolue en permanence, y compris nous, et ce flux d’énergie qui nous enveloppe peut être converti. On cristallise tous ces moments, ces émotions, ces impulsions venues de l’extérieur, et voilà que quelque chose émerge : un film, un tableau, une chanson… C’est ce qui rend l’honnêteté si importante chez un artiste. Personnellement, il n’y a que l’art sincère qui m’intéresse. Et je pense qu’il ne peut pas être désengagé : il doit prendre position, défendre un point de vue. Il lui faut une raison d’être, sinon ce n’est pas de l’art. Cette raison peut être simplement de divertir ; un bon divertissement, je trouve ça super. Quoi qu’il en soit, l’art doit avoir un sens.

Vous êtes d’ailleurs vous-même artiste…

Je fais de la peinture. Je m’efforce vraiment d’y consacrer du temps – et ce sera encore plus le cas l’année prochaine, car je travaille actuellement sur un projet intitulé Street Heart. Je veux faire venir à Anvers une trentaine d’artistes ultratalentueux en provenance d’un peu partout dans le monde, leur donner la chance de passer un bon moment et leur demander de décorer chacun un mur monumental. Faire descendre l’art en rue aura l’effet d’une bombe, ça va déclencher une vague d’énergie et rassembler les gens, j’en suis certain ! Ces fresques pourraient devenir des lieux de rencontre pour des personnes qui ne se sont peut-être jamais parlé alors qu’elles habitent dans le même quartier depuis vingt ans. Je m’en occuperai en 2018, à mon retour des Etats-Unis… et ensuite, je partirai en voyage !

Quelle sera votre destination ?

Je n’ai pas encore décidé… La vie doit rester pleine de surprises. Il faudrait toujours être dans l’expectative, sentir que quelque chose se prépare sans bien savoir quoi. Cette curiosité est une nécessité. C’est aussi pour cela que j’ai toujours eu du mal à me lier à une compagnie théâtrale : savoir dès l’été quelle pièce je jouerai en février, cela m’angoisse. J’aurai peut-être envie de jouer Hamlet l’année prochaine, mais pour l’instant, je ne sais pas où j’en serai dans mon coeur et dans ma vie à ce moment-là. Peut-être que je ressentirai un besoin irrépressible d’aller m’asseoir au sommet d’une montagne en Crète… et si c’est le cas, je veux pouvoir suivre mon envie.

Trench, Sandro. Tee-shirt, Weekday. Jeans, Lee.
Trench, Sandro. Tee-shirt, Weekday. Jeans, Lee. © Filip Van Roe / Stylisme : Amke Rijkenbarg

Vous disiez, il y a un instant, que l’art doit avoir un sens. Ce critère intervient-il aussi dans le choix de vos rôles ?

Il m’arrive de me laisser convaincre par un scénario fantastique ou par un réalisateur ou un confrère avec qui je rêve de travailler, mais l’histoire et mon propre rôle sont toujours des facteurs déterminants. Même si le scénario est exceptionnel, je n’accepterai pas d’interpréter un personnage qui ne m’intéresse pas. Les collègues aussi ont une importance majeure. Dans les grandes productions, les acteurs principaux ont leur mot à dire dans le choix des rôles secondaires. Quand on se retrouve sur un plateau de tournage avec Jane Fonda et Robert Redford – comme moi dans Nos âmes la nuit, pas encore programmé en salle -, c’est donc parce qu’ils trouvaient que c’était une bonne idée. C’est évidemment une expérience formidable de travailler avec deux stars internationales qui ont marqué la profession et qui sont aussi très engagées sur le plan politique. C’est un réel privilège.

Vous ne contribuez pas toujours autant à façonner votre rôle qu’avec Gino dans Le Fidèle ?

Chaque réalisateur a sa manière de bosser, mais certains aspects du personnage seront toujours développés en concertation. Les costumes et la silhouette, par exemple, représentent une part non négligeable du processus créatif, sans compter que c’est aussi amusant d’y réfléchir. Quel genre de veste porterait-il ? Et quels souliers ? Je prends un plaisir presque enfantin à chercher le chapeau ou les lunettes de soleil idéales : nous sommes tous des Homo ludens, des hommes qui jouent.

Y a-t-il un rôle que vous ne voudriez ou ne pourriez pas interpréter ?

Non, car l’humain me fascine sous toutes ses formes. Je ne dis pas que j’inviterais tout le monde à ma table pour Noël, mais chaque personne reste captivante en soi. Je ne refuse donc jamais un rôle a priori : tout dépend de l’angle d’approche, de la manière dont le personnage sera interprété. J’ai déjà fait des films en costumes d’époque et de guerre, des adaptations littéraires et des histoires contemporaines, mais j’aimerais un jour incarner un super-héros – à condition que le rôle soit bon, évidemment. Pas pour pouvoir en refaire cinquante du même genre par la suite, mais simplement pour l’expérience… Et si le projet tourne à la catastrophe, tant pis ! Il n’est d’ailleurs pas bon de toujours tout réussir, car nos échecs sont souvent riches d’enseignements. Ils nous ouvrent d’autres perspectives, nous donnent l’occasion de réfléchir et de prendre de nouvelles initiatives.

Une carrière internationale d’acteur, c’est aussi passer beaucoup de temps loin de chez soi. Avez-vous déjà pensé à quitter votre ville, Anvers ?

Non, et je ne pourrais vraiment pas vivre aux Etats-Unis ! Il m’arrive d’être un peu fou, voire carrément déchaîné. J’aime faire la fête, mais leur mode de vie ne me correspond pas. L’Europe est beaucoup plus cosy, nous aurions vraiment tort de nous plaindre. New York est une chouette ville, très différente du reste du pays, mais il existe aussi aux USA une vraie culture de la célébrité. Là-bas, j’aurais probablement un paparazzi devant ma porte en permanence. Je ne me vois pas supporter ça ! Ici, heureusement, nous sommes beaucoup plus modérés. Si quelqu’un m’aborde d’une façon respectueuse pour me dire qu’il aime ce que je fais, j’en suis sincèrement reconnaissant. Bien sûr, nous avons aussi notre presse à sensation… mais c’est un peu pour rire, non ? Cela ne m’empêche vraiment pas de dormir la nuit. Vous savez, au fond, on n’a jamais vraiment prise sur l’image que les autres se font de nous et je n’ai pas le temps d’essayer de la changer, j’ai trop d’autres choses à faire. Moi, je m’en fous ; c’est le seul moyen d’être libre.

Vous êtes aussi actif en coulisses, puisque vous êtes impliqué dans le bureau de casting Hakuna…

Hakuna va chercher des diamants bruts dans la rue, en se concentrant tout particulièrement sur un public d’autres origines ethniques. Il y a tant de nationalités dans notre petit pays, mais cela ne se reflète pas dans les médias populaires… Il faut que ça change ! L’idée d’un bureau spécialisé me trottait dans la tête depuis un bout de temps. Quand j’ai su que les réalisateurs Adil El Arbi et Bilall Fallah nourrissaient le même projet, nous avons décidé de lui donner forme ensemble. Pour le casting de leur film Black (2015), nous avons par exemple découvert de véritables perles comme Martha Canga Antonio et Soufiane Chilah.

Votre verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ?

A moitié plein, évidemment… mais si vous me reposez la question dans deux ans, il est possible que je le vois à moitié vide ou que je n’aie plus de verre du tout parce que je l’ai laissé tomber. On ne sait jamais ce que la vie nous réserve. La mienne est particulièrement changeante, tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel, et mes humeurs sont parfois à l’avenant. C’est quelque chose que je dois accepter. Certains affirment que je suis comme ci ou comme ça parce qu’ils ne réalisent pas à quel point mon existence est fragmentée. Les gens veulent comprendre tout le monde et, surtout, ils voudraient que tout le monde soit comme eux : dès que vous sortez de ce moule, c’est que vous avez un problème. Moi, je ne juge pas les autres et j’aimerais qu’ils me rendent la pareille.

Par Nathalie Le Blanc & Amp / Photos : Filip Van Roe / Stylisme : Amke Rijkenbarg

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