Zanzibar, l’île aux épices

Abondantes en poisson, les eaux du lagon de Zanzibar assurent la subsistance des villageois tout le long de la côte. © Philippe Berkenbaum

C’est un morceau d’Afrique noire baigné par tant d’influences étrangères à travers les siècles qu’il forme aujourd’hui une perle à la valeur unique. Au large de la Tanzanie, ce petit paradis allie la richesse culturelle à celle, naturelle, de l’océan Indien.

Une plage qui s’étend à l’infini, bordée par les palmiers et les cocotiers. Une barrière de corail qui retient les vagues les plus impétueuses. Entre les deux, une mer turquoise qui alterne les va-et-vient au rythme indolent des marées, pour former un lagon à nul autre pareil. Sur plusieurs centaines de mètres, parfois un kilomètre ou deux, l’eau se retire à marée basse, découvrant d’innombrables flaques où grouille une vie insoupçonnée. Les femmes – et les enfants – des villages, qui parsèment le littoral, y rivalisent de dextérité pour attraper les poulpes, crustacés, oursins, coquillages et autres petits poissons, ensuite nettoyés tranquillement sur le sable. Pendant que les hommes pêchent au loin, dans les eaux plus profondes, en lançant des filets ou des lignes depuis leurs pirogues traditionnelles à balancier. Ou même depuis la plage. Ainsi coule la vie depuis toujours à Zanzibar, l’île aux épices posée au large de la Tanzanie, à laquelle elle appartient sous un statut d’autonomie avancée.

La culture des algues rouges pour l'industrie cosmétique.
La culture des algues rouges pour l’industrie cosmétique.© Photos : Philippe Berkenbaum

En fait d’île, il s’agit plutôt d’un archipel qui en compte trois principales et plusieurs autres petites, disséminées dans l’océan Indien. Sauf à s’installer dans un resort de luxe coupé de la réalité locale et situé sur un îlot partiellement privatisé, on séjourne plus volontiers sur Unguja, la plus centrale et la plus peuplée, qui abrite la capitale et que l’on désigne usuellement – à tort, donc – sous le nom de Zanzibar. Elle concentre les principaux points d’intérêt de ce coin de paradis bousculé par l’histoire et baigné par de multiples influences culturelles. Celle des Bantous d’origine, celle des Masais longilignes débarqués du continent, celle des Perses puis des Arabes qui l’ont asservie, convertie à l’Islam et baptisée Zang-i-bar, littéralement  » côte des Noirs « , celle des colons portugais puis britanniques, celle encore des marchands indiens. Certains y ont pratiqué le commerce intensif des esclaves enlevés au continent africain, dont Zanzibar fut longtemps une plaque tournante ; d’autres venaient y chercher les épices (clou de girofle, gingembre, muscade, curcuma…) tant prisées de l’Orient jusqu’à l’Occident. Tous ont marqué de leur empreinte le melting-pot culturel et l’architecture typique de l’île et de sa capitale, Stone Town. Où il faut s’immerger pour en apprécier toute la richesse et la diversité.

Une école de filles au coeur de Zanzibar Town.
Une école de filles au coeur de Zanzibar Town.© Photos : Philippe Berkenbaum

Côté terre, la ville de pierre

Classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, qui la considère comme l’un des sites remarquables de la planète à protéger en priorité, Stone Town forme un entrelacs de ruelles sinueuses débouchant sur d’innombrables bâtiments magnifiques souvent ravagés par le temps, ce qui n’enlève rien à leur charme. Elle n’est pas la capitale à proprement parler mais en constitue le coeur, la vieille ville qui s’étend entre l’immense bazar de Darajani débordant de couleurs et d’odeurs, et le bord de mer où viennent flâner les familles au crépuscule.

On s’y perd avec ravissement pour découvrir ici un palais arabe aux fastes défraîchis, là un temple hindou au kitsch revendiqué, ici une mosquée au minaret fièrement dressé, là un jardin ou un patio soigneusement entretenu, ici encore une maison coloniale joliment restaurée ou, parfois, transformée en boutique-hôtel de rêve. Et partout, ces imposantes portes massives en bois sculpté qui ont inspiré tant d’artistes, écrivains, peintres ou photographes fascinés par Zanzibar dont elles sont le symbole. On en compte plus de 500. Le tourisme prospère à Stone Town et les magasins pullulent jusqu’au coeur de certains sites historiques comme le Vieux Fort. Mais on peut y dénicher des perles, au propre – les pêcheurs de nacre y ont longtemps usé leur souffle – comme au figuré : de nombreux artisans, stylistes et designers locaux font preuve d’un talent qui mérite plus qu’ailleurs de consacrer du temps au shopping au gré des pérégrinations urbaines.

Entre jeux de plage et ramassage des oursins.
Entre jeux de plage et ramassage des oursins.© Photos : Philippe Berkenbaum

Du temps, il faut aussi en consacrer à la mémoire et à l’émotion. En s’arrêtant à la basilique anglicane qui n’est pas seulement l’une des plus anciennes et bigarrées de l’est africain, mais qui a également la particularité d’avoir été bâtie dans les années 1860 sur l’un des plus vastes, anciens et prospères marchés aux esclaves de l’époque, celui de Mkunazini. Il reste sous l’église les cachots insalubres où s’entassaient jusqu’à cinquante hommes ou femmes dans quelques mètres carrés et un amas de chaînes, avant de rejoindre la criée où les riches négociants décidaient de leur sort. Une émouvante sculpture leur rend aujourd’hui hommage et un petit musée rend justice aux milliers d’entre eux qui ont succombé à l’inhumanité des négriers dont Zanzibar fut longtemps l’une des places fortes les plus florissantes de la planète.

Le poisson est nettoyé à même la plage.
Le poisson est nettoyé à même la plage.© Photos : Philippe Berkenbaum

On achève la journée sur le front de mer au marché nocturne de Forodhani Gardens, posé au pied de la légendaire Maison des Merveilles, un somptueux palais d’origine omanaise devenu Musée national d’histoire et de culture. Côté terre, les familles se pressent aux étals qui débordent de spécialités locales à grignoter – brochettes de viande, de poulpe ou de poisson, crustacés biscornus,  » naans  » (ces galettes de pain savoureuses d’origine indienne) ou jus de canne pressé. Côté mer, les ados rivalisent d’adresse et de témérité dans une surenchère de plongeons acrobatiques. On jouit du spectacle les pieds dans l’eau jusqu’à la nuit tombée.

Côté mer, le lagon éphémère

De la ville à la plage, il n’y a jamais loin sur cette île qu’on traverse en deux ou trois heures à peine. Pour peu qu’on soit pressé. Car l’intérieur des terres grouille d’une vie animée, et les tentations sont grandes de s’arrêter souvent, pour s’immerger dans une culture villageoise amicale et rieuse. Villages agricoles ou de pêcheurs n’ont pas la richesse architecturale de la capitale, mais celle de la vie de brousse où les enfants s’amusent d’un bout de ficelle et où les femmes vaquent en plein air à leurs tâches ménagères, le voile sur la tête et le sourire aux lèvres, malgré la vie qu’elles mènent.

La faible profondeur du lagon de Zanzibar rend partout la baignade difficile à marée basse, comme évoqué au début de ce reportage. La seule plage où l’on peut s’immerger toute la journée, mais aussi la plus belle, selon les guides, est celle de Kendwa qui s’étend sur plusieurs kilomètres au nord-ouest de l’île. Elle est malheureusement bordée d’hôtels démesurés qui en réduisent le charme mais garantissent une ambiance festive aux amateurs de vacances animées.

On préfère – et de loin – le littoral de la côte est, plus authentique et réservé à la vie locale. Les hôtels sont aujourd’hui présents partout mais, ici, ils savent se faire plus discrets. Aux abords des villages de Jambiani ou de Matemwe, par exemple, le panorama est d’une beauté saisissante, encore peuplé majoritairement d’autochtones. C’est à cet endroit que s’est développée la culture de ces algues rouges qui font la fortune de l’industrie des cosmétiques ou de l’agroalimentaire, assurant un maigre revenu aux femmes qui les ramassent à moitié immergées, courbées toute la journée sous un soleil de plomb. C’est là que la pêche est la plus abondante aussi et que l’horizon se sature de voiles de fortune dès que le vent se lève.

Les fruits du jaquier entreposés dans un village.
Les fruits du jaquier entreposés dans un village.© Photos : Philippe Berkenbaum

On peut emprunter l’une de ces pirogues à voile pour aller batifoler autour de la barrière de corail, il suffit de s’entendre avec un pêcheur croisé sur la plage au petit matin. On peut aussi rallier l’un des nombreux clubs de plongée qui parsèment le littoral pour aller découvrir les fonds superbement préservés autour de l’île de Pemba, baptisée  » l’île des milliardaires  » pour les gros poissons qui y entretiennent une résidence de rêve, du couple Clinton à Naomi Campbell.

On peut enfin rejoindre la pointe nord d’Unguja, idéalement en fin de journée pour s’y trouver à l’heure où le soleil se couche. Outre l’un des marchés aux poissons les plus animés de l’île, où les pêcheurs alignent de splendides espadons, il abrite un étonnant chantier de construction de boutres traditionnels qui envahissent la plage à perte de vue au son des outils de fortune. Une fois sortis de l’agitation de Stone Town, c’est ici que l’on ressent le mieux ce qui fait l’âme de Zanzibar : un mélange de cultures à nul autre pareil, dégageant une harmonie fragile peut-être, mais si enrichissante.

par Patrick Berkenbaum

De l’or dans les plantes

Zanzibar ne doit pas son surnom d’île aux épices au hasard. Elle en est toujours l’un des premiers exportateurs mondiaux, et ce sont elles qui ont attiré autant de convoitises pour ce micro-archipel de l’océan Indien au fil des époques. Jusqu’au début du xxe siècle, elle est d’ailleurs restée le seul producteur mondial de clous de girofle. Les exploitations d’épices y sont encore nombreuses et la plupart se visitent, offrant une plongée au coeur du véritable trésor de Zanzibar, qui fut longtemps sa principale source de revenus avant que le tourisme ne commence à se développer à la fin du siècle dernier. Girofle, vanille, muscade, poivre, cardamome, cannelle, gingembre… Guidés par l’un des jardiniers de la ferme, on en apprend beaucoup sur la culture de toutes ces merveilles qui, pour la plupart, poussent de façon plutôt désordonnée au coeur d’une nature tropicale luxuriante. Un spectacle à la fois haut en couleurs et en odeurs.

En pratique

Formalités

Passeport valable 6 mois après la date du retour. Le visa s’obtient directement à l’aéroport de Zanzibar pour 50 dollars.

Y aller

TUI Fly opère des vols hebdomadaires directs vers Zanzibar au départ de Bruxelles à des prix défiant toute concurrence, jusqu’à deux fois moins chers que ceux des compagnies régulières. A partir de 450 euros A/R.

www.tuifly.be

Santé

Aucune obligation de vaccination si l’on arrive directement d’Europe à Zanzibar sans passer par la Tanzanie. Celui contre la fièvre jaune est néanmoins recommandé.

Se loger et se nourrir

L’Emerson Spice est un splendide boutique-hôtel installé dans l’ancienne demeure d’un riche marchand de Stone Town superbement restaurée et aujourd’hui classée, au coeur de la kasbah. Onze chambres de charme meublées à l’ancienne, chacune dans un style particulier et un rooftop offrant l’une des plus belles vues sur la ville ainsi qu’une excellente cuisine.

www.emersonspice.com

Un match de foot à la télé communautaire.
Un match de foot à la télé communautaire.© Photos : Philippe Berkenbaum
Hommage aux milliers d'esclaves qui ont été enchaînés à Zanzibar.
Hommage aux milliers d’esclaves qui ont été enchaînés à Zanzibar.© Photos : Philippe Berkenbaum
Concours de plongeons acrobatiques sur la plage de Stone Town.
Concours de plongeons acrobatiques sur la plage de Stone Town.© Photos : Philippe Berkenbaum
Le marché de Darajani.
Le marché de Darajani.© Photos : Philippe Berkenbaum
Un salon de coiffure dans Stone Town.
Un salon de coiffure dans Stone Town.© Photos : Philippe Berkenbaum
Les magnifiques portes en bois massif sculpté, au coeur de la vieille ville.
Les magnifiques portes en bois massif sculpté, au coeur de la vieille ville.© Photos : Philippe Berkenbaum

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